Attentat de Manchester : le Brexit est-il un obstacle à la lutte contre le terrorisme pour le Royaume-Uni ?
A quelques jours des élections législatives, cruciales pour les négociations sur la sortie de l'UE, l'attentat de Manchester pose la question de la coopération entre pays européens pour prévenir de futures attaques.
Le Royaume-Uni sera-t-il plus fort tout seul ? La question se pose outre-Manche, au lendemain de l'attentat de Manchester, qui a coûté la vie à 22 personnes. Le pays insulaire a beau être isolé du reste du continent, ce qui lui permet de contrôler plus facilement les entrées sur son territoire, cela ne l'a pas empêché de connaître deux attaques terroristes en 2017, avec celle du Parlement à Londres, en mars. Le métro de la capitale avait également été la cible d'un attentat, revendiqué par Al-Qaïda, en 2005.
A deux semaines des élections législatives, le terrorisme bouleverse. La Première ministre Theresa May et le leader travailliste Jeremy Corbyn ont d'ailleurs décidé de la suspendre. Le scrutin est pourtant crucial, car il doit renouveler la Chambre des communes, dans l'optique des négociations sur le Brexit. Face à la vague d'attaques qu'a connues l'Europe ces dernières années, la nécessité d'une meilleure coopération entre services de renseignement est souvent évoquée par les spécialistes. Mais la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne semble aller dans le sens contraire.
Des précieuses bases de données européennes
Le journal The Guardian, opposé au Brexit, est le premier à s'inquiéter. Dans un article intitulé "Pourquoi l'absence d'accord sur la sécurité européenne est dangereux", publié avant l'attentat de Manchester, le quotidien pointait le risque qu'encourt le pays à se couper des réseaux d'informations auxquels il a actuellement accès. A commencer par la base de données fournie par la Commission européenne au sein du Schengen information system (SIS), dont le Royaume-Uni serait un grand utilisateur.
Selon The Guardian, le SIS contient des informations sur 8 000 individus suspectés d'être liés au terrorisme et se révèle particulièrement efficace dans le suivi des combattants étrangers partis en Syrie et en Irak. Il pourrait donc comporter des informations cruciales sur les 350 Britanniques revenus sur l'île. Le Royaume-Uni aurait d'ailleurs sollicité ce fichier plus de 500 000 fois en 2016.
En cas de Brexit, tout se jouera lors des négociations car des pays extracommunautaires peuvent y être associés comme la Norvège, la Suisse ou l'Islande. Interrogé par le quotidien, Julian King, le commissaire européen chargé de l'union de la sécurité, avertit : "Si vous n'avez pas accès au SIS, vous n'aurez pas accès aux informations d'alerte, la plateforme est la pierre angulaire de cet échange d'informations." Un commissaire européen de nationalité... britannique. Les Echos soulignent également que le Royaume-Uni est aujourd'hui le principal contributeur à l'Office européen de police contre la criminalité transfrontalière et le terrorisme (Europol).
La relation americano-britannique comme modèle
Mais, quand ils y ont intérêt, les Etats coopèrent entre eux même s'ils n'appartiennent pas aux mêmes ensembles communautaires. Les services de renseignement américains et britanniques s'échangent ainsi beaucoup d'informations et ce sans accord communautaire. Une sortie du Royaume-Uni de l'UE n'est donc pas forcément synonyme de la fin de la coopération avec les services des pays européens. Dès le lendemain de l'attentat de Manchester, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a d'ailleurs déclaré : "Demain, nous travaillerons côte à côte pour combattre ceux qui tentent de détruire notre mode de vie."
En France, Les Echos rappellent que la DGSE et la DGSI travaillent déjà avec les MI-5 et MI-6, ses homologues outre-Manche : "Personne ne garde pour soi une information, si elle met en cause la sécurité d'un pays tiers", affirme la DGSE au quotidien économique.
Londres va totalement sortir de l’Europe de la sécurité, sans qu’on en connaisse exactement l’issue. On devrait néanmoins aboutir à un accord raisonnable : l’Europe comme le Royaume-Uni auraient tout à perdre d’un mauvais accord en la matière.
Pierre Berthelet, chercheur en sécurité européenne à l’université Laval de Québecà "Libération"
Pour le Royaume-Uni, le risque est surtout de rater la dynamique qui semble à l'œuvre depuis quelques années au sein de l'Union. En février 2017, une directive a été approuvée pour harmoniser les codes pénaux des différents pays et le "PNR" a également été adopté afin de garder une trace des données des informations fournies par les passagers lors de leurs voyages en avion.
Interrogé par Libération, le spécialiste Pierre Berthelet estime que "le Brexit est un réel problème" en matière sécuritaire car "le système relèvera du droit international et sera donc plus compliqué et moins performant". Et que si les négociations "devrait néanmoins aboutir à un accord raisonnable", concernant "les avancées législatives, le Royaume-Uni sera en revanche exclu du club".
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