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Contrat de sous-marins rompu par l'Australie : on vous explique pourquoi la France estime avoir reçu un "coup dans le dos"

L'Australie a annulé mercredi le gigantesque contrat qui la liait à la France depuis 2016. Un contrat à 56 milliards d'euros, pour la fourniture de 12 sous-marins. 

Article rédigé par Solène Leroux, franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
François Hollande, alors président de la République française, reçoit un modèle de sous-marin lors d'une visite au siège de Naval Group, à Paris, le 26 avril 2016. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / AFP)

Un "coup dans le dos", pour Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, et un véritable coup de tonnerre pour les relations franco-australiennes. Dans la nuit du mercredi 15 au jeudi 16 septembre, l'Australie a annoncé qu'elle rompait le contrat signé en 2016 avec la France portant sur l'achat de 12 sous-marins pour un montant de 56 milliards d'euros.

"Ce n'est pas un changement d'avis, c'est un changement de besoin", a déclaré le Premier ministre australien Scott Morrison pour justifier cette décision. Un choix qui s'inscrit dans une nouvelle alliance de sécurité entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie dans la zone indo-pacifique face à la Chine. Franceinfo revient sur l'historique de ce contrat inédit, et ce qu'implique cette rupture.

Quels étaient les contours de ce contrat ?

Cet accord intergouvernemental, d'une valeur de 31 milliards d'euros à sa signature il y a cinq ans, a gonflé au fil du temps en raison de dépassement de coûts et d'effets de change. Il était qualifié de "contrat du siècle" pour l'industrie française. Le groupe industriel français Naval Group avait été sélectionné en 2016 pour construire en Australie 12 sous-marins à propulsion diesel-électrique. L'Australie souhaite alors remplacer ses six sous-marins pour faire face à la pression chinoise dans le Pacifique. "Avant même sa signature, l'accord est décrié en Australie, rappelle à franceinfo Céline Pajon, chercheuse au centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Ce contrat n'a jamais été un long fleuve tranquille."

En 2016, Naval Group s'engage à produire des sous-marins Attack dérivés des futurs sous-marins nucléaires français Barracuda. "Le contrat est un montage assez complexe, notamment car les Australiens souhaitaient un transfert de technologies, et qu'une partie de la construction se passe directement sur place", retrace la chercheuse de l'Ifri. L'option nucléaire n'est pas retenue pour la construction, car l'Australie souhaite pouvoir naviguer sur l'ensemble de la zone Pacifique. Or, la Nouvelle-Zélande n'autorise pas d'engin nucléaire dans ses ports depuis 1985, une interdiction prise à la suite d'essais nucléaires français dans le Pacifique.

Un second contrat signé en 2019, de partenariat stratégique cette fois, devait encadrer les relations des deux parties pour cinquante ans. "Ensuite, s'enchaînent des contrats de réalisation. Une première phase de conception s’est terminée le 15 septembre. On aurait dû entamer en septembre le deuxième contrat que nous étions en train de négocier", précise à France 3 Normandie Emmanuel Gaudez, directeur du pôle média de Naval Group. "Ce contrat de cinquante ans était structurant pour la France, il ancrait durablement sa stratégie dans la zone indo-Pacifique", abonde Céline Pajon.

Quelles sont les conséquences pour le groupe français Naval Group ?

Le site de Naval Group à Cherbourg (Manche) devait entamer une deuxième phase de contrat avec l'Australie en septembre. Le contrat australien, sur lequel 650 personnes travaillaient en France, essentiellement dans les bureaux d'étude, représente 10% du chiffre d'affaires de l'entreprise. Sa rupture constitue un fait "conséquent mais ça ne remet pas en cause l'avenir de Naval Group", estime l'entreprise à l'AFP.

L'industriel doit construire encore cinq sous-marins Barracuda d'ici à 2030, prépare la conception des quatre futurs sous-marins lanceurs d'engins et du futur porte-avions nucléaire français. Il construit également six sous-marins conventionnels pour l'Inde, quatre pour le Brésil et espère remporter de nouveaux contrats aux Pays-Bas et en Inde.

L'Australie va-t-elle être sanctionnée pour cette rupture de contrat ?

En engageant une rupture de contrat, l'Australie encourt des pénalités financières. S'il est encore trop tôt pour connaître le montant exact de ces indemnités, déterminées par un contrat soumis à des clauses de confidentialité, Naval Group entend demander une "somme importante", d'après Emmanuel Gaudez. "On va demander une indemnisation au titre de la rupture prématurée de l'engagement qu'ils avaient pris pour la réalisation des sous-marins", ajoute-t-il.

Un journaliste du Financial Review (en anglais), plus grand quotidien économique australien, a estimé mercredi que l'Australie pourrait devoir se soumettre à une pénalité de 400 millions d'euros (en anglais).

Autre conséquence attendue : la dégradation des relations franco-australiennes, qui étaient pourtant "très étroites depuis plusieurs années", rappelle à franceinfo Pierre Servent, expert en stratégie militaire. Cette décision risque également de tendre les relations entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande. "Cette dernière se plaint déjà de la décision, car à terme cela va nucléariser la zone", souligne-t-il. 

Quelle est la réaction de la France après ce coup de théâtre ?

Les Etats-Unis, sans remettre en cause le nouvel accord, ont assuré que "de hauts responsables de l'administration américaine ont été en contact avec leurs homologues français pour discuter [du nouveau partenariat], y compris avant l'annonce". Ce dialogue, non confirmé par la France, n'empêche pas les ministères de la Défense et des Affaires étrangères de fustiger un "choix américain qui conduit à écarter un allié et un partenaire européen comme la France d'un partenariat structurant avec l'Australie (...) marque une absence de cohérence que la France ne peut que constater et regretter".

"C'est une question de confiance, explique Céline Pajon. Cette rupture donne l'impression que la France a été mise de côté et que, pour les Etats-Unis, les Alliés se réduisent au Royaume-Uni." Au-delà de la France, "ça pose réellement la question de la place de l'Union européenne dans cette zone stratégique indo-pacifique", souligne-t-elle. L'UE déplore d'ailleurs de ne pas "avoir été informée", ni "consultée" a annoncé son chef de la diplomatie Josep Borrell.

Dans la foulée, les autorités françaises ont annulé une soirée de gala prévue vendredi à Washington. Cette réception, à la résidence de l'ambassadeur de France à Washington, était censée célébrer l'anniversaire d'une bataille navale décisive de la guerre d'indépendance des Etats-Unis, conclue par une victoire de la flotte française sur la flotte britannique, le 5 septembre 1781.

Du côté du Pacifique, la colère est aussi palpable. La Nouvelle-Zélande a d'ores et déjà annoncé que les futurs sous-marins de son voisin et allié australien ne seraient pas les bienvenus chez elle. De son côté, la Chine dénonce une vente "extrêmement irresponsable". Le porte-parole de la diplomatie chinoise a accusé les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie de faire preuve d'une "mentalité de guerre froide" et d'utiliser l'armement nucléaire à des fins géopolitiques.

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, estime de son côté que cette livraison allait contribuer à la "paix et sécurité" dans la région indo-pacifique. 

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