Déborah de Robertis, l'artiste "pudique" qui s'exhibe nue dans les musées
Cette Luxembourgeoise de 31 ans est connue pour avoir exposé son sexe devant "L'Origine du monde" de Gustave Courbet. Ses performances interrogent sur le rapport entre l'art et la nudité.
"Je suis extrêmement pudique." Cette phrase de Déborah de Robertis a de quoi faire sourire lorsqu'on connaît le travail de l'artiste. Car celle qui reçoit dans l'appartement lumineux d'une amie à Pantin (Seine-Saint-Denis) est connue pour s'être dénudée, deux fois, devant des œuvres du musée d'Orsay. La dernière, c'était samedi 16 janvier et depuis, "tout est allé très vite".
Placée en garde à vue pour exhibition sexuelle après s'être fait exfiltrer du musée, elle a passé deux nuits en cellule. La jeune femme de 31 ans s'en est tirée, lundi, avec un simple rappel à la loi. Après une nuit passée sur le montage du film de sa performance, Déborah de Robertis n'a toujours pas achevé sa vidéo et les images, prises par son amie, l'artiste visuelle Rim Battal, s'annoncent décevantes. "Je crois qu'on ne voit pas grand-chose dessus", regrette-t-elle.
"J'ai l'impression de n'avoir même pas pu me déshabiller"
Tout était pourtant organisé d'une main de maître. La Luxembourgeoise, nue sous une veste, devait se déshabiller et s'allonger devant le tableau de L'Olympia de Manet, au milieu de la foule venue voir l'exposition "Splendeurs et misères, Images de la prostitution 1850-1910". "J'avais tout préparé : la caméra portative, la perruque rousse, la pose, le bouquet… Mais les gardes m'ont repérée. Ils se sont tout de suite mis devant moi, raconte Déborah à un débit impressionnant. Finalement, j'ai l'impression de n'avoir même pas pu me déshabiller."
Devant l'intervention "disproportionnée" des surveillants, l'artiste a dû improviser. Elle a demandé au public de rester, puis a joué au chat et à la souris avec la sécurité. "Ils me couraient après, alors j'allais dans l'autre sens, ça faisait une jolie chorégraphie", s'amuse-t-elle.
Pendant la demi-heure qu'a duré sa performance, Déborah n'a eu de cesse de réclamer le directeur du musée, qu'elle avait prévenue la veille par e-mail. Il n'est jamais descendu. "Ce que je voulais, c'était lui donner le bouquet" de cette Olympia moderne et en faire un acteur du tableau revisité. Mais les surveillants ont appelé la police et Déborah s'est fait embarquer. Comme la dernière fois.
Sa vulve exposée au grand public
En mars 2014, elle avait choisi de recréer L'Origine du monde de Gustave Courbet, dans le même musée. Sous les applaudissements d'un faux public composé d'amis artistes, elle avait traversé la salle pieds nus, le corps moulé dans une robe dorée. Sans un mot, elle s'était assise sous le tableau, face au public, regard fixe, jambes écartées et sexe bien visible. Une surveillante de salle s'était immédiatement précipitée pour la cacher des visiteurs réticents à quitter la salle, comme on peut le voir sur la vidéo de la prestation.
Mais pourquoi se mettre nue dans les musées ? D'emblée, Déborah de Robertis regrette d'être toujours réduite à son plus simple appareil. "Pour Mémoires de l'Origine, ce qu'on a vu, c'est le sexe. Mais il fait deux millimètres et j'ai aussi donné un visage, un regard à l'œuvre !" souligne-t-elle. L'artiste, qui réfléchit depuis longtemps à la place du modèle nu féminin, insiste : "Ma performance, ce n'est pas me mettre nue. Ce qui m'intéresse, c'est d'inverser le point de vue. C'est comment la représentation de la loi, les rapports de force sont bousculés par la nudité."
Une strip-teaseuse qui regarde ceux qui la matent
Son champ de recherche "l'oblige" donc à se dénuder depuis ses 22 ans. Alors étudiante à l'Ecole de recherche graphique de Bruxelles (Belgique), elle se fait engager par un club de strip-tease de la ville, "assez proche du bordel". L'expérience de l'effeuillage lui fait prendre conscience du rapport entre femme-objet et femme-sujet. "Je trouvais très intéressant de me mettre dans la position de celle qui était regardée. Du coup, j'ai renversé le rapport : j'ai écrit un texte sur une strip-teaseuse qui regardait les clients, le tenancier...", raconte-t-elle.
L'ensemble de son travail, axé sur la vidéo, tourne autour de ce statut d'artiste donné au modèle. Son film Les Hommes de l'art la montre en train de filmer des critiques ou galeristes. Derrière la caméra, la jeune femme apparaît entièrement nue. On s'étonnerait presque qu'elle reçoive vêtue d'une longue robe grise...
Déborah de Robertis est-elle sûre de ne pas être un peu exhibitionniste ? Elle part d'un éclat de rire en guise de réponse. "J'aime mon corps, je suis bien dans ma peau, mais c'est difficile de le montrer en public", avoue-t-elle en rougissant. Son amie Rim acquiesce : "C'est une violence pour elle. A chaque fois, elle ne sait pas quelle partie du corps elle veut montrer. Elle fait beaucoup de méditation avant de se lancer dans une performance."
Peau blanchie et seins redessinés
Les deux plaintes pour exhibition sexuelle, déposées par le musée d'Orsay, la font enrager. "Pour moi, ça annule le message. C'est une forme de censure, une manière de dénier le point de vue artistique. L'institution replace le modèle en position d'objet, s'agace-t-elle. L'exhibition sexuelle, c'est une perversion. Là, ce n'est pas du tout le cas."
Au contraire, tout est contrôlé. Déborah de Robertis tient à préserver son intimité de l'exposition au public. Le week-end dernier, elle est restée 3h30 entre les mains de sa maquilleuse Aurélie. "Mon corps est toujours maquillé, mes photos sont toujours photoshopées et la couleur de mon sexe est toujours modifiée", confie-t-elle. Pour L'Olympia, son corps a été entièrement blanchi, ses seins redessinés, sa taille plus marquée, son menton rendu plus pointu.
"Il y a la femme publique et la femme privée"
Les curieux peuvent se rhabiller pour aller au-delà de ce "modèle" façonné de toutes pièces. Les questions privées font toutes rougir Déborah. Elle ne veut pas s'étendre sur ses parents, un tailleur et une banquière à la retraite, qui "respectent" son travail. Elle élude lorsqu'on cherche à savoir comment elle vit de cette profession qui l'occupe à plein temps : "Je me débrouille. Tout ce que je peux dire, c'est que je cherche des sponsors, des mécènes, des galeristes", déclare-t-elle lapidaire, mais toujours souriante.
Déborah de Robertis maîtrise si bien son art qu'elle redevient, alternativement, "objet" ou "sujet", lorsque cela l'arrange. Cheveux en bataille et maquillage de la veille, l'artiste aux grands yeux bleus se fait surprendre par la séance-photo impromptue pour illustrer cet article. "Ce n'est pas une question d'esthétique, s'empresse-t-elle de déclarer. Mais il y a la femme publique et la femme privée..." Elle finit par accepter... armée du bouquet qu'elle n'a pas pu donner au directeur du musée d'Orsay.
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