Décès de Suzanne Citron : l’historienne qui a déconstruit le mythe national
Suzanne Citron a consacré une partie de ses travaux à la question du roman national.
Elle est l’auteure du livre Le mythe national. Suzanne Citron s’est éteinte à Paris ce lundi 22 janvier, à l’âge de 95 ans. L’historienne et enseignante s’était fait connaître pour ses travaux sur la construction du roman national sous la IIIème République. Elle appelait à dénationaliser et réinventer l'histoire de France. Retour sur le parcours de cette femme dont l’essai Le mythe national a marqué l’historiographie contemporaine.
J’ai trouvé dans l’histoire scolaire, une histoire de la raison d’État
Suzanne Citron
Née en 1922 en Moselle sous le nom Grumbach, Suzanne Citron est issue d’une famille "qui se considérait comme française-israélite. L’ordre étant important." Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle franchit clandestinement la ligne de démarcation en 1941 pour fuir la partie de la France occupée. Elle poursuit ses études d’histoire à Lyon et participe en parallèle à la Résistance. En juillet 1944, elle est arrêtée par la Gestapo et transférée à Drancy. Elle échappera à la déportation et sera libérée par les Alliées en août.
Après la guerre, elle devient militante socialiste et anticolonialiste. Marquée par la guerre d’Algérie, Suzanne Citron se met à questionner l’histoire de France et le roman national, construit notamment par l’historien Ernest Lavisse autour de figures comme Vercingétorix, Charlemagne et Jeanne d’Arc. Dans son livre précurseur Le mythe national. L’histoire de France revisitée, publié en 1987, Suzanne Citron expose une thèse très critique à l’égard de l’enseignement : "J’ai trouvé dans l’histoire scolaire, une histoire de la raison d’État". Elle estime que le récit national tel qu’il est enseigné à l’école depuis la IIIème République est le fruit d’une construction politique ayant servi à reconstruire l’unité nationale au lendemain de la chute du Second Empire. Une histoire édulcorée et européoctrée.
Toute sa vie, elle a milité pour un récit national inclusif et universel : "Si on veut inscrire dans notre histoire plurielle aussi bien d'ailleurs les Juifs que les descendants d’esclaves, c’est un espace planétaire dans lequel il faut inscrire notre récit national."
Un enseignement de l’histoire qui fracture le débat politique
La question de l'enseignement de l’histoire de France est une ligne Maginot au sein du débat politique en cela qu’il cristallise les questions d’intégration de nouvelles populations au sein de la communauté nationale. En 2016, lors d’un meeting pour la primaire de la droite, Nicolas Sarkozy défendait sa vision de l’intégration : "À un moment où vous devenez Francais, vos ancêtres se sont les gaulois et c’est Vercingétorix !". Une vision de l’histoire que ne partageait pas François Mitterand : "Nos ancêtres les Gaulois, un peu Romains, un peu Germains, un peu Juifs, un peu Italiens, un petit peu Espagnols, de plus en plus Portugais (...) et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu Arabes." déclarait-il en 1987.
François Fillon, alors candidat à la présidence en 2017, s’était vu offrir sur le plateau de "L’Émission politique" le livre de Suzanne Citron. Alors invitée à débattre avec le candidat LR, l'historienne Laurence de Cock : "Je voudrais vous faire un petit cadeau (...) un livre qui est paru pour la première fois en 1987 de Suzanne Citron (...) qui est la première historienne à avoir fait une déconstruction très méthodique du récit national." À la suite de l’émission, les ventes du livre ont été relancées et une semaine plus tard, rupture de stock.
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