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Procès des attentats du 13-Novembre 2015 : le difficile récit des policiers qui auraient "tous voulu faire plus" au Bataclan

Cette dixième journée du procès a été marquée par les témoignages de deux policiers intervenus en premières lignes dans la salle de concert. 

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Au procès du 13-Novembre, à Paris, le commissaire intervenu le premier au Bataclan livre son témoignagne mercredi 22 septembre 2021.  (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

A quoi ressemble un héros ? Qui est ce commissaire de la brigade anticriminalité (BAC) qui a osé pénétrer dans le Bataclan, sans attendre les renforts, neutralisant avec une simple arme de poing l'un des trois terroristes ? C'est peu dire que son témoignage était attendu, mercredi 22 septembre, pour la dixième journée d'audience du procès des attentats du 13-Novembre.

L'homme, costume noir et chemise blanche, débute son exposé dans une salle fébrile, plus remplie qu'à l'accoutumée. Pas moins de 176 parties civiles sont présentes. Des familles de victimes mais aussi des rescapés sont venus écouter le récit de celui à qui certains doivent leur survie. Mais c'est par une pensée aux défunts, à ceux qui n'ont pas pu être sauvés, que le commissaire de la "BAC75N", la brigade anticriminalité de nuit de Paris, choisit de débuter son propos.

"Nous avons fait le maximum et nous sommes même allés au-delà de nos capacités opérationnelles. Nous aurions tous voulu faire plus et nous portons le poids de la culpabilité comme tous les policiers, depuis ce jour."

Le policier qui est entré en premier dans le Bataclan

devant la cour d'assises spéciale

En préambule, il adresse aussi "une pensée particulière aux policiers de la BAC de nuit qui ont risqué leur vie pour sauver la vie des victimes". Sa voix est posée, son émotion contenue. "La seule satisfaction que j'ai eue cette nuit-là, c'est de les ramener vivants chez eux au petit matin."

"La confusion est totale sur les ondes"

Ce vendredi 13 novembre 2015, l'homme prend ses fonctions à 18 heures avec son équipier dans un véhicule banalisé. "Un vendredi banal" jusqu'à cet appel reçu à 21h25. Il est informé d'une explosion au Stade de France. Puis les attaques s'enchaînent sur les terrasses. "La confusion est totale sur les ondes" de sa radio. 

A 21h47, il intercepte un autre appel pour des tirs au Bataclan. Sans réfléchir, il demande alors à son coéquipier de "foncer" vers la salle de concert. A l'arrivée, des coups de feu incessants, "une scène immédiate de chaos" avec des corps gisant devant le Bataclan Café.

"Je me suis dit : 'Ça y est, on y est.' On savait depuis janvier qu'un attentat allait survenir. Notre question n'était pas 'Est-ce qu'il va survenir ?' mais 'Quand et où ?'"

Le policier qui est entré en premier dans le Bataclan

devant la cour d'assises spéciale

A l'époque, la sidération le gagne quelques instants. Puis "l'aspect professionnel revient". Son attention se porte immédiatement vers l'entrée de la salle de concert. Il décrit alors une scène chaotique : "Les portes se sont ouvertes d'un seul coup et une masse compacte a couru vers nous en hurlant. Une trentaine de personnes dans mon souvenir. Cette masse a un visage et une voix. Le visage d'une femme totalement prostrée, terrifiée. La voix d'un homme qui hurle : 'Vite, vite, il y a ma femme à l'intérieur'." 

Avec son collègue, le policier décide de franchir les portes de la salle. Sans être sûr d'effectuer le chemin du retour. A l'intérieur, "aucun mot" ne peut décrire ce qu'il voit. "L'éclat des spots apporte une sorte de halo blanc. Et des corps, des tapis de corps. Les gens s'étaient jetés les uns contre les autres", décrit-il sur un ton toujours calme, en décalage avec l'horreur de son récit.

"J'ai pris ma visée comme à un stand de tir"

Il progresse dans la salle avec son coéquipier et, arrivant vers le bar, aperçoit Samy Amimour, l'un des trois terroristes. Ce dernier ordonne à un homme de se coucher. "Il allait l'abattre", explique le policier à la barre. Il s'avance alors jusqu'à une rambarde pour ajuster son tir : "J'ai pris ma visée comme à un stand de tir. Nous étions suffisamment entraînés pour ça." Il vise le corps, plutôt que la tête, "qui était trop petite". Il tire quatre fois, son binôme, deux fois. Le terroriste s'écroule dans un gémissement.

"Quelques secondes après, une explosion retentit dans le plafond, plutôt au-dessus de la fosse avec une sorte de crépitement et de pluie de confettis qui s'avèrera être de la chair humaine."

Le policier qui est entré le premier dans le Bataclan

devant la cour d'assises spéciale

Il pense alors que les comparses du terroriste ont jeté une grenade depuis le plafond. Samy Amimour vient en fait de déclencher le détonateur de son gilet explosif.

Des tirs retentissent alors dans sa direction : les deux autres terroristes les prennent pour cible. Il décide d'abord de sortir, avant de rentrer dans l'enfer de la salle de concert pour tenter de sauver les blessés les plus graves. Entre temps, une douzaine de policiers de la BAC l'ont rejoint. "Je les envoyais à la mort. Malgré ça, ils ont suivi avec un courage admirable", commente le commissaire. Il raconte comment ils ont passé la soirée à évacuer les premières victimes, "extrêmement lourdes car elles avaient baigné dans le sang". Et comment l'un de ses collègues est allé chercher un petit garçon de 5 ans, vivant, mais sous un corps, avec son casque antibruit.

"Je me souviens avoir croisé un homme qui a dit : 'Merci, grâce à vous, je vais revoir mes enfants.'"

Le policier qui est entré le premier dans le Bataclan

devant la cour d'assises spéciale

Son récit s'achève dans un lourd silence. Face aux questions du président, Jean-Louis Périès, l'homme se veut modeste, assurant qu'il n'a pas fait preuve de "bravoure déplacée". Les avocats des parties civiles se relaient pour le remercier. Très ému, l'avocat représentant la famille de l'enfant de 5 ans se lève pour dire que ses parents sont présents à l'audience, venus spécialement de Lyon : "Je tiens à vous dire en leur nom leur très profonde reconnaissance, leur grande admiration."

"Ce n'est pas de moi dont vont venir les critiques" 

Puis c'est au tour de Christophe Molmy, ancien patron de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de témoigner. Il a coordonné l'assaut contre les deux derniers terroristes, retranchés avec leurs otages dans un couloir du Bataclan. Cette fois, l'exposé est beaucoup plus distancié, explicatif. Le ton est presque professoral : l'officier de police est venu avec un PowerPoint pour présenter la BRI, son histoire et ses missions.

Vêtu d'un costume sombre et d'une chemise bleu clair, il n'élude pas les polémiques dont il a été la cible et s'attache au contraire à redorer l'image de la brigade d'élite parisienne accusée, notamment par la commission d'enquête parlementaire, de ne pas avoir été assez efficace sur les lieux de la tuerie. Minute par minute, il revient sur la préparation de l'assaut, défendant bec et ongles ses décisions sur le terrain.

En décrivant l'assaut, il rappelle à quel point l'opération était délicate puisqu'il fallait libérer des otages retenus dans un "couloir très étroit, 8,5 mètres de long et 1,35 mètre de large".

"Tactiquement, le couloir, c'est redoutable. Il n'y a rien pour se cacher, ça ne laisse vraiment pas beaucoup de place."

Christophe Molmy, ancien patron de la BRI

devant la cour d'assises spéciale

Le président se range de son côté. "C'est une situation complètement inédite de chaos. (...) C'était certainement très compliqué à gérer. Ce n'est pas de moi que vont venir les critiques sur les dysfonctionnements éventuels", annonce-t-il en conclusion de l'exposé du policier. Pas de "mercis" pour Christophe Molmy, contrairement au précédent témoin. Mais une série de questionnements sur ses choix tactiques.

"Deux unités, ça crée des complications"

Comme attendu, une assesseure lui demande pourquoi la force d'intervention de la police nationale (FIPN) n'a pas été activée. Ce dispositif permet de mobiliser les unités du Raid, en complément de celles de la BRI. Il a beaucoup été reproché à Christophe Molmy de ne pas avoir demandé leur soutien. "Dès que vous mettez deux unités ensemble à travailler, ça crée nécessairement des complications. On peut avoir des protocoles parfois un peu différents", justifie-t-il. 

Sylvie Topaloff, avocate d'une dizaine de parties civiles, s'arrête quant à elle sur l'heure passée à tenter de négocier avec les terroristes. "Est-ce qu'on ne perd pas de temps à essayer de négocier avec ce type de personnes ?". Le commissaire s'agace :

"Moi je dis et j'assume qu'il est de notre devoir d'essayer de négocier. Imaginez Madame que l'on arrive devant cette porte, que l'on se dise que ça ne sert à rien de négocier et que quelqu'un de votre famille meure dans l'assaut. Il n'aurait pas fallu essayer de négocier ?"

Christophe Molmy, ancien patron de la BRI

devant la cour d'assises spéciale

Après cet interrogatoire délicat, d'autres avocats finissent par congratuler l'ancien chef de la BRI pour son travail effectué ce soir-là. Gérard Chemla, qui défend 132 victimes, transmet ainsi les remerciements des otages du couloir, tous libérés sains et saufs. 

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