: Témoignage "Quand on voit une arme à 10 cm de son visage, on se dit que c'est la dernière fois", confie une magistrate victime d'une tentative d'assassinat
Magali Tabareau, présidente de la cour d'assises de Versailles a été victime d'une tentative d'assassinat à son domicile en juin 2019. La magistrate témoigne aujourd'hui sur franceinfo.
Le 17 juin 2019, Magali Tabareau, présidente de la cour d'assises sur le ressort de la cour d'appel de Versailles, est victime d'une tentative d'assassinat chez elle dans les Yvelines. Deux hommes arrivent chez elle à moto : l'un d'eux tire sur le visage de la magistrate avec une arme à feu. Elle est gravement blessée, transportée à l'hôpital et subit plusieurs opérations chirurgicales.
Une enquête ouverte pour "tentative d'assassinat" et un appel à témoins national et international est lancé le 27 septembre 2022. "Elle a tout de suite pris conscience que ce n'était pas elle qui était visée, mais la fonction, indique son avocate, Me Caty Richard. Sa notion du devoir, de l'ordre public et de la conscience de sa profession a fait qu'elle n'a pas voulu que ce soit eux qui aient raison. Elle a repris ses fonctions dès qu'elle a pu, au plus tôt." Trois ans après, l'enquête piétine, la magistrate décide de témoigner.
#AppelATémoins La #SR de #Versailles recherche un témoin important susceptible de détenir des éléments dans le cadre d'une tentative d'assassinat commise dans les #Yvelines en juin 2019.
— Gendarmerie nationale (@Gendarmerie) September 27, 2022
☎️ Merci de contacter les enquêteurs au
01.39.49.50.50 / 06.75.96.59.52 pic.twitter.com/AWNY6BVgdv
franceinfo : Que s'est-il passé le 17 juin 2019 ?
Magali Tabareau : Aux alentours de 9 heures, quelqu'un sonne à la porte et je constate qu'il y a un homme d'une trentaine d'années qui se trouve devant le portillon et qui a sonné. Il est visage découvert, habillé en vêtements de travail, avec un haut fluorescent, type veste d'éboueur ou quelque chose de cet ordre, avec une casquette. Il se tourne vers moi et me dit : "Bonjour Madame, je viens vous voir parce que vous avez peut être eu un petit problème avec mes collègues la semaine dernière." Je lui dis que non. Il se porte à ma hauteur et on se retrouve donc à un mètre ou un mètre vingt l'un en face de l'autre. Et il me dit : "Je dois vous remettre un courrier". Je dis : "Écoutez, donnez-le moi". Il a une sacoche, il met la main dans la sacoche, il sort une arme, il tend le bras et il tire. Il a tendu le bras en face de mon visage, à une dizaine de centimètres. Donc je vois cette arme noire et je commence à me tourner vers l'intérieur de mon domicile. Et c'est d'ailleurs ça qui me sauve parce que lorsqu'il tire, je ne prends pas la déflagration de face, mais sur le côté droit du visage. Quand on voit une arme dans un canon à dix centimètres de son visage et qu'on entend un gros boum, eh bien , on se dit nécessairement c'est la dernière fois que j'entends un boum.
Trois ans après, où en êtes-vous et où en est l'enquête ?
J'en suis à ma septième intervention chirurgicale. Je suis suivi à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ce sont vraiment des gens extraordinaires. S'agissant de l'enquête, on a pour l'instant rien. Et c'est bien d'ailleurs ce qui a motivé le fait que j'ai décidé cette fois de parler parce que je ne veux pas faire de mon cas, un cas personnel. Mais on est arrivé à un stade supplémentaire de menaces, d'injures, d'agressions dans nos juridictions. On est passé à un stade supérieur qui est celui d'atteinte à la sphère privée. Sincèrement, si les juges commencent à avoir peur, la justice sera rendue non pas en toute égalité et équité, mais elle sera rendue au profit du plus fort. Parce qu'il arrive un moment où nous sommes aussi des êtres humains, même si nous sommes intègres et que nous disons le droit non pas en fonction de notre ressenti, mais en fonction des règles de droit et de la loi. Il arrivera un moment où si l'on a trop peur, on ne pourra plus rendre de décision équitable.
Vous sentiez-vous menacée à cette époque-là ?
Non, je ne me suis absolument pas sentie menacée. Autant j'ai pu me sentir menacée auparavant dans d'autres dossiers, compte tenu du contexte, des infractions ou même des menaces directes dont on peut faire l'objet. Mais là, il y avait rien de particulier, aucun contentieux, tant professionnel que personnel d'ailleurs. Rien.
Fin septembre, un appel à témoins a été lancé. Le visage de votre agresseur a été rendu public. Il ne vous dit rien. Il ne dit rien à personne ?
Non. Pour l'instant, il n'y a aucun retour. Cela me surprend énormément parce que aujourd'hui, la législation a été modifiée depuis plusieurs années sur l'utilisation des témoignages sous X. Donc ça n'est même pas se mettre soi même en danger. Si on a la volonté de témoigner, pour l'instant, il n'y a rien.
Est-ce qu'il a pu vous venir à l'esprit que la personne s'était trompée de cible ? Qu'on vous avait pris pour une autre magistrate ?
Pour une autre magistrate, ça me paraît un peu difficile parce qu'il a quand même fallu qu'on connaisse mon adresse, qu'on vienne jusqu'à mon domicile. Au moment de l'agression, il ne m'a jamais été demandé mon nom. Il ne m'a jamais été demandé si c'était bien moi. Donc, manifestement, je pense que la personne m'a reconnue. L'agression a duré entre 30 secondes et une minute. Il y avait un autre individu qui attendait à moto, dans la rue contiguë et qui a repris en charge le tireur, puis ils sont partis.
Ces menaces dont on peut faire l'objet : est-ce quelque chose dont on parle entre magistrat ou qu'on fait remonter à sa hiérarchie ?
On a beaucoup parlé de l'armée comme étant une "Grande Muette". Mais je crois que nous en sommes aussi une. Dès que l'on fait l'objet de menaces, on différencie déjà la menace et la violence épidermique qui est en fait une réaction à chaud des personnes qu'on a devant soi et ou parfois les paroles dépassent la pensée. Et on arrive quand même avec l'expérience à faire la différence entre cette réaction à chaud de celle qui est pensée, réfléchie, construite et qui peut déboucher sur des violences bien plus graves. Donc, lorsqu'on fait l'objet de menaces, alors souvent on est aussi un peu comme les médecins. On voit tellement de choses que ça glisse sur nous. On peut en parler entre collègues, mais ça sera souvent sur le ton de la boutade. En revanche, lorsque ça devient sérieux, on met un certain temps à le dénoncer pour bien s'assurer qu'on ne commet pas d'erreur. Parce que ça peut avoir aussi des conséquences qui sont celles de nous enlever le dossier pour essayer de nous enlever le danger ou bien de nous proposer éventuellement une autre fonction. Disons que l'autre fonction sera peut être moins exposée. Et lorsqu'on a choisi une fonction, ce n'est pas pour en être démis à la première menace ou injure.
L'enjeu, c'est de vous faire renoncer ?
Oui, l'enjeu, c'est de pouvoir choisir son juge. C'est ça. Choisir son juge et mettre de côté celui qui gêne. On ne peut pas accepter ça, parce que si on commence à accepter ça, il n'y aura plus de droits, il n'y aura plus d'équité, il n'y aura plus rien, il n'y a plus de justice, tout simplement.
Il y a des policiers à l'antiterrorisme qui ont, dans l'exercice de leur fonction, des numéros de matricule. Est-ce qu'il y a un sujet concernant les magistrats sur le fait d'être anonyme ? Et si oui, dans quelles conditions? Quel regard vous portez là dessus ?
Sincèrement, lorsque on a un nom sur une décision, en quoi cela importe ? Je pense que l'anonymisation, malheureusement, on va devoir finir par y parvenir. Actuellement, cela devient aussi, très curieusement, l'une des premières demandes de nos jurés. Ils nous demandent à être anonymisées. Ils ne comprennent pas pourquoi on donne leur nom, on donne leur prénom. Parce qu'avec les nouveaux médias et les réseaux sociaux, c'est tellement simple de trouver l'adresse et les coordonnées de quelqu'un. Je crois que les gens finissent par vivre un peu dans la peur. Donc si ça peut rassurer quelque part, je ne dis pas que ça sera utile. Mais si ça peut rassurer, pourquoi pas ?
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