Y a-t-il autant d'agressions que l'affirme le député Eric Ciotti ?
D'après l'élu du parti Les Républicains, "les agressions se multiplient" et près de 1 000 personnes font l'objet de violences chaque jour en France. Un constat à nuancer en raison de l'absence de statistiques générales et du taux de dépôt de plainte très fluctuant.
"On n'est plus au temps du discours, on doit être au temps des actes." Par ces mots prononcés le 13 août sur RTL, le député Les Républicains Eric Ciotti a accusé la "politique pénale" de n'avoir "jamais été d'une telle faiblesse" en France. Des propos qui font suite au décès d'un policier au Mans (Sarthe), mort en intervenant auprès d'un conducteur ivre et récidiviste, endormi au volant de son véhicule.
"Il y a un affaiblissement de la force contraignante de la loi", a estimé sur RTL l'élu des Alpes-Maritimes. Et Eric Ciotti d'affirmer : "On voit que les agressions se multiplient. Je rappelais les chiffres : autour de 1 000 agressions par jour, 100 policiers ou gendarmes agressés chaque jour dans notre pays." Franceinfo a cherché à vérifier ces statistiques, qui permettent au député LR d'assurer que "la réponse pénale n'est pas à la hauteur".
Des chiffres plus élevés pour les forces de l'ordre
D'après les données mensuelles du ministère de l'Intérieur relatives aux crimes et aux délits enregistrés par les services de police et de gendarmerie, ce sont 38 519 procédures pour "violences" contre les personnes dépositaires de l'autorité publique qui ont été ouvertes en 2019. Soit, en moyenne, 105 par jour en France, ce qui corrobore les propos d'Eric Ciotti.
Ce nombre est d'ailleurs en augmentation de 4,6% par rapport à 2018 et de 15,4% par rapport à 2017. Le sénateur LR du Val-de-Marne, Christian Cambon, avait ainsi interpellé le ministère de l'Intérieur en 2019, lui "demandant mettre en place pour garantir la sécurité et l'intégrité" des forces de l'ordre, après des incidents en marge des manifestations du mouvement des "gilets jaunes".
Mais Eric Ciotti ne précise pas la nature des "agressions" qu'il évoque : sont-elles physiques ? Sont-elles verbales ? Considérés par le Code pénal comme portant "atteinte à [la] dignité ou au respect dû à [la fonction]" des membres des forces de l'ordre, 30 000 outrages envers les forces de l'ordre ont également été enregistrés en 2019 – un nombre lui aussi en augmentation par rapport aux deux années précédentes.
Au total, donc, si l'on ajoute ces outrages aux violences, ce sont finalement 187 agressions envers les forces de l'ordre qui sont enregistrées en moyenne chaque jour en métropole et dans les Outre-mer. Un nombre plus élevé encore que celui avancé par Eric Ciotti.
Plus de 1 800 agressions par jour en France
Quid des agressions envers la population ? Dans une étude du ministère de l'Intérieur, 260 500 faits de coups et blessures sur des personnes de plus de 15 ans ont été enregistrés par les services de police et de gendarmerie en 2019, soit environ 714 par jour sur le territoire français – c'est 8% de plus qu'en 2018, selon les statisticiens de la place Beauvau. Ce chiffre atteint même 1 051 agressions quotidiennes quand on ajoute toutes les autres violences dites "non crapuleuses", c'est-à-dire ayant un objet autre que le vol, selon la classification de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (PDF).
Mais il ne tient compte ni des violences physiques dites crapuleuses (92 208 en 2019), ni des violences sexuelles (57 030), ni des menaces de violence (141 306), qui constituent aussi des "agressions". Au total, les "atteintes volontaires à l'intégrité physique", qui regroupent l'ensemble de ces catégories d'après l'ONDRP, ont occasionné pas moins de 674 203 procédures en 2019 (soit 1 847 par jour).
Des plaintes ne sont pas toujours déposées
Mais en réalité, ces estimations ne constituent que le sommet de l'iceberg de la délinquance et de la criminalité. En effet, seuls sont comptabilisés les faits "portés à la connaissance de l'institution judiciaire" et "les infractions suffisamment constituées juridiquement pour pouvoir être poursuivies par un tribunal", exprime la note documentaire des données de la place Beauvau.
Les taux de dépôt de plainte s'avèrent en cela très variables. "C'est avant tout le type d'agression subie, qui pousse la victime à porter plainte", écrivaient en 2011 trois statisticiens pour la revue Economie et statistique de l'Insee afin de décrire "l'économie de la plainte", où entrent également en compte le contexte de l'incident, l'âge ou la catégorie socioprofessionnelle de la victime.
En 2018, le ministère de l'Intérieur estimait ainsi que seuls 10% des violences physiques ou sexuelles au sein du ménage donnaient lieu à une plainte, de même que 22% pour les violences physiques hors du ménage (en dehors des cas de viol). Les vols avec violence ou menaces, eux, seraient dénoncés à hauteur de 63%, un taux proche des faits de cambriolages (62%).
D'après le rapport d'enquête "Cadre de vie et sécurité" 2019 établi par l'Insee, ce sont ainsi 710 000 personnes qui auraient été victimes en 2019 de violences physiques, en dehors du ménage et des situations de vol. Soit près de 1 950 agressions chaque jour. Quant aux "violences physiques et/ou sexuelles" par des personnes vivant "au sein du ménage", 373 000 victimes seraient à déplorer en moyenne annuellement entre 2011 et 2018. Autrement dit, plus de 1 020 personnes agressées chaque jour.
Une augmentation des violences à nuancer
Quant à savoir si ces agressions "se multiplient", comme le suggère le député Eric Ciotti, là encore, l'enquête de victimation de l'Insee apporte quelques repères. Entre 2010 et 2018, les violences physiques perpétrées par une personne hors du foyer auraient progressé de seulement 2,2% mais le nombre de victimes de vol ou de tentatives de vol avec violences ou menaces auraient diminué de 45%, soit presque de moitié. Et sans évolution annuelle estimée pour tous les types d'agression, impossible d'émettre une conclusion générale.
En résumé, l'augmentation des atteintes volontaires à l'intégrité physique enregistrées par les forces de l'ordre peut être le fruit de dépôts de plainte plus nombreux, sans que le nombre d'agressions ait nécessairement augmenté, comme l'affirme Eric Ciotti. En 2018, déjà, Libération avait épinglé les chiffres "incomplets" des agressions et des cambriolages et leur analyse donnés par le député des Républicains à partir des seules données de dépôt de plainte.
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