Rassemblement de livreurs Deliveroo : "C'est un conflit qui illustre vraiment le particularisme des travailleurs des plateformes"
"On est parfois dans des conditions de subordination énormes", a expliqué l'économiste Gilbert Cette, alors que des livreurs contestent leur nouvelle grille tarifaire.
Le rassemblement de livreurs Deliveroo, samedi à Paris, contre les nouveaux tarifs annoncés, "est un conflit qui illustre vraiment le particularisme des travailleurs des plateformes", a estimé dimanche 4 août sur franceinfo Gilbert Cette, économiste à l'université d'Aix-Marseille. Plusieurs dizaines de ces travailleurs indépendants ont protesté, à l'initiative du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap 75) contre la nouvelle grille tarifaire, qui prévoit une hausse de la rémunération pour les courses longues et une baisse pour les courses courtes.
franceinfo : Les livreurs de Deliveroo ont-ils vraiment la possibilité de lutter contre les plateformes ?
Gilbert Cette : Oui et ils le font déjà en s'associant pour cesser l'activité, exactement comme des salariés le peuvent en faisant jouer le droit de grève. La loi El Khomri d'août 2016 a ouvert cette possibilité aux travailleurs des plateformes, ce qui est une très bonne chose car ils sont vraiment, dans de très nombreux cas, des travailleurs dont les conditions de subordination sont très comparables à celles des salariés. La plateforme décide des tarifs, évalue le travail du prestataire et a souvent pouvoir de sanction, ce qui est très important pour le juge quand il doit apprécier s'il peut requalifier le travailleur indépendant en salarié.
C'est un conflit qui illustre vraiment le particularisme des travailleurs des plateformes. La loi d'orientation des mobilités (LOM), qui est en discussion au Parlement et doit être adoptée à l'automne, essaie justement d'aller un peu plus loin sur ce terrain-là en incitant les plateformes à élaborer des chartes pour définir leurs conditions de relation avec les travailleurs, en termes tarifaires, de séparation, de quantité de travail... Cela vise à changer ces relations pour l'instant complètement déséquilibrées. Pour l'instant, le texte prévoit que ce soit des chartes unilatérales, élaborées par les plateformes elles-mêmes. C'est donc un pas, mais qui reste timide et modeste. Il faut aller plus loin pour aboutir à ce que ces chartes soient élaborées de façon réciproque et équilibrée entre les plateformes et les travailleurs concernés. C'est vraiment l'étape suivante.
Faut-il créer un nouveau droit de ces travailleurs ?
Absolument. C'est ce que je préconise. Je propose qu'à terme, on ait un droit du travail plus couvrant, qui ne protège pas simplement les salariés mais aussi les indépendants. Cette protection des indépendants serait liée à leur degré de subordination par rapport à leurs donneurs d'ordres. Dans le cadre des plateformes numériques, on est parfois dans des conditions de subordination qui sont parfois énormes, tout à fait comparables à celles que connaît un salarié.
Faudrait-il alors leur donner le statut de salarié ou créer un statut à mi-chemin ?
Il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Le travail indépendant et l'arrivée des plateformes permettent une forme de flexibilité, des créations d'activité qui ne se feraient pas sinon. Quand on regarde Uber et le transport urbain en VTC, on se rend compte que l'émergence de ce type d'activité a permis de contourner le monopole des taxis et d'offrir au consommateur la possibilité de se déplacer dans des conditions de rapidité et de confort qui n'existaient pas toujours auparavant. Néanmoins, au nom de cette création d'activité, on ne peut pas accepter tout et n'importe quoi. Dans le cas de nombreuses plateformes, on va trop loin dans le déséquilibre, avec des conditions de subordination extrême et quasiment aucun droit des salariés concernés. La loi El Khomri a été une première étape, la LOM en sera une deuxième mais il faut aller beaucoup plus loin.
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