: Vidéo Antilles : enquête sur des yaourts toujours trop sucrés
La loi Lurel, votée en 2013 pour lutter contre un taux de sucre plus élevé dans les produits alimentaires vendus en outre-mer, ne serait toujours pas appliquée selon un rapport de l’administration que “l’œil du 20 heures” s’est procuré.
Souvenez-vous : il y a dix ans, la France découvrait que les yaourts étaient plus sucrés en Outre-mer. Pour interdire cette pratique, la loi Lurel, du nom du ministre des Outre-mer de l’époque Victorin Lurel, est votée en 2013. Huit ans après, les desserts vendus dans les îles sont-ils moins sucrés ? “L’œil du 20 heures” a activé ses papilles.
En Guadeloupe, la promesse de yaourts pas plus sucrés que dans l’Hexagone est-elle tenue ? Nous avons acheté deux fois le même panier de desserts, à Pointe-à-Pitre et à Paris. Résultat : à 7000 kilomètres de distance, des taux de sucres encore différents pour des produits identiques.
L’emballage d’un yaourt à la mangue acheté à Paris affiche 11,4 grammes de sucres pour 100 grammes. Le même acheté en Guadeloupe indique 14 grammes, soit 23 % de sucre en plus. Une crème dessert à la pistache est 15 % plus sucrée, un yaourt à boire à la fraise : 33 % plus sucré.
Des yaourts en moyenne 15 % plus sucrés aux Antilles
Selon une étude financée par l’Agence nationale de la recherche, qui a comparé près de 3000 références, les produits laitiers antillais ont “une teneur moyenne en sucres supérieure de 15 % à celle de l’Hexagone”. Une différence que des consommateurs antillais disent remarquer : “c’est vraiment sucré, comparativement à la métropole,” estime une mère de famille croisée au supermarché.
A l’hôpital guadeloupéen de Basse-Terre, le Docteur André Atallah est irrité par ces quelques grammes de sucre en plus dans les yaourts destiné aux ultramarins. Selon lui, les conséquences peuvent être graves à long terme : “mettez vous à la place d’un petit jeune en Guadeloupe qui tous les jours va manger ce yaourt, par rapport à un jeune de l’Hexagone.”
Ca va faire 17 kilocalories par jour de plus, soit un kilo de plus par an. Sur dix ans, ça fait dix kilos. Lorsqu’on a un surpoids ou une obésité, on a deux fois plus de risque de devenir diabétique ou hypertendu.
Dr André Atallah, cardiologue au Centre Hospitalier de Basse-Terreà France 2
Pour ce médecin qui a vu affluer les patients Covid en surpoids dans les services de réanimation, c’est un enjeu de santé publique. La Guadeloupe compte deux fois plus de femmes et d’enfants obèses que l’Hexagone.
C’est bien pour lutter contre le surpoids et l’obésité que depuis huit ans, la loi prévoit qu’“aucune denrée alimentaire [distribuée dans les départements d’outre-mer] ne peut avoir une teneur en sucres ajoutés supérieure [au même produit] de la même marque distribué en France hexagonale.”
Or, selon un rapport de la direction générale des outre-mer jamais publié, que "l'œil du 20 heures" s'est procuré, “l’application de la loi n’apparaît pas effective”.
Selon l’ancien ministre Victorin Lurel, qui a porté ce texte à l’époque, l’Etat se serait désinteréssé du problème.
L’administration s’est un peu endormie, les lobbies ne dorment jamais et donc il continuent à surdoser en sucre. Parce que plus vous mettez de sucre plus [le produit] dure, plus vous vendez, plus votre chiffre d’affaires augmente.
Victorin Lurel, sénateur (PS) de Guadeloupe, ancien ministre des outre-merà France 2
"Les gens ont l'habitude de ce goût-là"
Les fabricants se défendent de sucrer plus pour conserver les yaourts ultramarins plus longtemps. Contactés, deux grands groupes assurent respecter la loi : ils disent ne pas mettre plus de sucres ajoutés. Mais selon eux, l’usage de poudre de lait -riche en sucres naturels, qui facillite la fabrication des yaourts sur place, explique un taux de sucre général plus élevé en outre-mer.
Par téléphone, la représentante d’un industriel affirme travailler à la diminution du sucre dans ses produits, et met en avant un argument commercial pour justifier le temps que cela prend : “ils vont le faire,” assure-telle, “mais ils ne peuvent pas faire une réduction totale d’un seul coup. Ce sont des produits qui sont commercialisés avec une teneur en sucre plus élevée, donc les gens qui achètent ces produits ont l’habitude de ce goût-là.”
Aujourd’hui, la loi Lurel ne prévoit aucune sanction pour les industriels qui ne la respecteraient pas.
Parmi nos sources :
Rapport final de la Direction générale des outre-mer sur l'évaluation des conditions de mise en oeuvre de la loi Lurel, décembre 2020
Groupe Danone
Groupe General Mills (Yoplait)
Syndifrais
Liste non exhaustive.
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