"C'est la solidarité qui nous permet de ne pas crever" : à La Souterraine, la vie en sursis des salariés de GM&S
Alors que le tribunal de commerce de Poitiers a prolongé, mercredi, la période d’observation de leur entreprise en vue d’une reprise, les employés de l'équipementier automobile souffrent d'une absence totale de perspectives.
"Nous allons reprendre le travail dès lundi, pour relancer notre trésorerie", souffle Patrick Brun, salarié et délégué syndical CGT de l'équipementier automobile GM&S. Placée en redressement judiciaire en 2016, l'entreprise située à La Souterraine, dans la Creuse, a vu sa période d'observation prolongée d'un mois par le tribunal de commerce de Poitiers, mercredi 24 mai.
Un sursis pour les 283 salariés qui ne savent pas encore quel sera leur repreneur ou si l'entreprise sera placée en liquidation judiciaire et définitivement fermée. En attendant, les syndicats du sous-traitant automobile annoncent le "déminage" du site que les salariés avaient piégé avec des bouteilles de gaz, le 11 mai. "On attend de voir s'il existe des offres de reprises sérieuses. Si rien ne bouge, on reprendra les actions", lâche toutefois Patrick Brun.
Des bonbonnes de gaz pour attirer l'attention
La veille, l'ambiance n'était guère plus à l'optimisme parmi les salariés rassemblés devant les portes du tribunal de commerce. Leur seule satisfaction ? Avoir réussi à médiatiser leur combat. "Ce qui a payé, c'est votre mobilisation", lance Vincent Labrousse, syndicaliste, salué par une salve d'applaudissements et des crépitements de pétards.
Juste avant de l'entrée des représentants de GM&S au tribunal de commerce de Poitiers pic.twitter.com/579lrqxv57
— Manuel Jardinaud (@manujar) 23 mai 2017
Pour alerter sur le sort de l'entreprise, les salariés sont allés jusqu'à piéger leur usine avec des bonbonnes de gaz, menaçant de tout faire exploser. "On l'a fait parce que c'était notre dernier recours, avance-t-il. Ça ne nous ferait pas plaisir de détruire notre outil de travail." Dans l'assistance, un salarié soupire : "On a tout essayé avant." Ses yeux sont cernés, il a assuré une permanence d'une soixantaine d'heures à l'usine durant la semaine qui a précédé la décision du tribunal.
"On a sillonné la France en car, ça nous a coûté 30 000 euros, détaille-t-il. On a bloqué l'entrée des usines Renault et PSA, nos fournisseurs. On est même partis à 300 gars pour défiler à Paris." Personne ne s'est ému, alors, du sort de l'entreprise, placée en redressement judiciaire le 2 décembre 2016, le troisième en huit ans, regrette-t-il. "Deux jours après avoir piégé l'usine, deux caméras de télévision ont débarqué."
Et dimanche 21 mai, les deux principaux clients de GM&S, PSA et Renault, se sont engagé à augmenter leurs commandes. Des engagements qui, selon le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, devraient permettre d'atteindre un chiffre d'affaires 2017 proche de 25 millions d'euros. Insuffisant pour les syndicats, sachant que l'équilibre de l'entreprise requiert, selon eux, un carnet de commandes de l'ordre de 35 à 40 millions d'euros annuels.
"Nos actionnaires ont tout fait pour couler la boîte"
Cette lutte, certains salariés n'en sont pas sortis indemnes. "Un voisin m'a dit : vous voulez tout exploser, vous êtes des terroristes", soupire Claude*, venu protester devant le tribunal avec des collègues. A 50 ans, il ne dort plus que quatre heures par nuit. "Moi, j'essaie juste de sauver mon emploi pour donner à manger à mes enfants. En revanche, nos actionnaires, qui ont tout fait pour couler notre boîte, ne sont pas inquiétés", enrage-t-il.
Patrick Brun, délégué syndical CGT, évoque des années de mauvaise gestion financière, qui ont mené GM&S au redressement judiciaire : "Deux procès sont en cours, dont un pour détournement de fond et la brigade financière est venue inspecter les locaux en 2014", assure-t-il. La société familiale, fondée en 1963 était, au début, prospère.
Quand je suis arrivé il y a quarante ans, on embauchait à tour de bras. Il n'y avait pas besoin de CV, il suffisait de se présenter devant le portail un lundi matin.
Un employé de GM&Sà franceinfo
Le site passe dans le giron du groupe industriel Aries en 1991. Depuis, les changements de propriétaire et les plans sociaux s'enchaînent. Aries devient Sonas, Halberg puis Altia et enfin GM&S. "A chaque fois, c'est la même chose, s'insurge Patrick Brun. Les actionnaires s'attribuent des salaires très importants et captent le plus d'argent possible sans jamais investir." Selon lui, seul un directeur a débloqué des fonds pour moderniser les outils et augmenter les commandes. "Il a été limogé car l'argent était investi pour développer l'entreprise et ne revenait plus aux actionnaires", affirme-t-il. Contactées, les entreprises Altia et GM&S n'ont pas répondu aux sollicitations de franceinfo.
Une situation que Thomas* n'a pas supportée. "Je suis parti sur un coup de tête, je ne pouvais plus travailler là-bas", dit-il. L'ancien salarié de GM&S a repris un bar-tabac dans le centre de La Souterraine : "C'était ça où j'en venais aux mains avec les dirigeants." Pour lui, rien ne changera tant que les actionnaires pourront faire ce qu'ils veulent.
Ils rachètent l'entreprise 3 ou 4 euros et se font le plus d'argent possible sur le dos des salariés.
Thomas, ancien salarié de GM&Sà franceinfo
Sans attache, il a pris le risque de démissionner. "Mais les offres d'emploi sont rares ici", confie-t-il. Un panneau à louer orne la porte d'une agence d'intérim fermée, en face du café. Plusieurs commerces ou entreprises ont définitivement baissé le rideau ces dernières années dans la petite ville de 5 000 habitants.
Accoudé au comptoir, Emile* évoque la fermeture de l'usine Vetsout, en 1991, qui fabriquait les costumes de la marque De Fursac. "Environ 230 salariés, surtout des femmes, se sont retrouvés au chômage. Une grande partie d'entre-elles n'ont rien retrouvé, explique-t-il. Si GM&S ferme, la catastrophe sera de la même ampleur." Thomas acquiesce. "Même pour les commerçants, ce sera compliqué. Sans les salariés de GM&S, il y aura forcément un manque à gagner."
"C'est impossible de faire des projets"
David*, la quarantaine, a multiplié les CDD et les contrats d'intérim avant d'être recruté par GM&S comme manutentionnaire. "C'est la deuxième plus grosse entreprise privée de la Creuse. Si ça ferme, je ne sais pas ce que je pourrai trouver", explique-t-il. En pantalon de travail, il fume une cigarette devant l'usine, à l'arrêt depuis mai. "La seule chose que Pôle emploi m'a proposée, c'est un poste au smic en Alsace, à l'autre bout de la France. Toutes mes attaches sont ici." Ceux qui l'entourent parlent de leurs enfants, scolarisés dans la commune, ou des pavillons dont ils doivent rembourser le crédit. Aucun d'entre eux ne veut quitter le département.
Depuis le début de l'occupation du site, ses collègues de l'équipe de nuit et lui hantent les locaux de l'entreprise. "On discute, on joue à la pétanque. Ça aide à passer le temps." Une certaine lassitude s'est emparée des troupes, usées par les menaces de fermeture qui planent depuis sept ans. "C'est impossible de faire des projets, de prendre des vacances quand on ne sait pas si on aura encore du travail dans un mois", soupire un salarié. Son collègue ajoute : "Et c'est encore pire lorsqu'on a besoin de contracter un crédit."
Essayez d'entrer dans une banque de La Souterraine avec un tee-shirt GM&S et regardez comment vous êtes reçus.
Un salarié de GM&Sà franceinfo
Sans autre perspective, les salariés de GM&S, dont la moyenne d'âge est de 49 ans, sont suspendus au verdict du tribunal de commerce. Celui-ci a décidé de prolonger jusqu'au 30 juin la période d'observation pour l'entreprise, en vue d'une reprise du site, et plusieurs repreneurs se sont manifestés. "C'est la solidarité qui nous permet de ne pas crever", glisse un salarié. "Sans ça, on aurait baissé les bras depuis longtemps. Mes collègues, je les connais depuis trente ans. On est une famille."
* Les prénoms ont été changés.
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