: Vrai ou faux Climat : envoyer un email de moins par jour permet-il d'économiser 16 tonnes de CO2 ?
Diminuer les envois de mail a un impact limité sur les émissions CO2, selon les experts en environnement, mais il peut s'agir d'un levier pour prendre de meilleures habitudes de consommation numérique.
Faut-il envoyer moins d'emails pour lutter contre le réchauffement climatique ? A l'approche de l'hiver, face à la crise énergétique, le gouvernement encourage les Français à réduire leur consommation. Parmi les gestes recommandés : baisser le chauffage à 19°C, régler de son chauffe-eau à 55°C, programmer ses machines à laver l'après-midi ou la nuit…
En mai, Agnès Pannier-Runacher, la toute récente ministre de la Transition énergétique, évoquait un autre écogeste, sur BFM. "On va éteindre la lumière en pensant qu'on a fait de grosses économies d'énergie et on va envoyer derrière un mail un peu rigolo à nos amis avec une pièce jointe et on aura consommé beaucoup plus d'énergie", déclarait-elle. S'agit-il vraiment d'un geste efficace ?
"16 allers-retours Paris-New-York" ?
Au Royaume-Uni, le fournisseur d'énergie OVO Energy publiait en 2019 une étude (en anglais) concluant que si chaque Britannique envoyait un mail de moins par jour, les émissions de CO2 reculeraient de 16,433 tonnes par an. Ce chiffre (qui ne concerne que le Royaume-Uni en 2019) circule en France, avec en outre une approximation dans la traduction. On peut y lire que "supprimer un mail est égal à 16 tonnes de CO2 économisées", au lieu de "supprimer un envoi de mail". Ces 16 tonnes économisées sont équivalentes à "16 allers-retours Paris-New York", peut-on lire sur une infographie partagée sur Twitter et LinkedIn.
"Un email pollue dès lors qu'il est envoyé, par son trajet sur les réseaux", explique Francis Vivat, ingénieur de recherche au Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS) affilié au CNRS. L'envoi d'un courriel consomme de l'énergie en sollicitant le serveur émetteur et le serveur récepteur par lesquels il transite. Cet impact peut varier selon le nombre de destinataires et la taille des pièces jointes mais aussi du mix énergitique, si l'électricité consommée est produite par des moyens de production à fortes émissions de CO2, comme par exemple des centrales au charbon. À cela, il faut ajouter la pollution générée par le temps qu'ont pris les différents interlocuteurs pour écrire le mail et le lire sur un ordinateur ou un mobile.
Supprimer un email est aussi une activité polluante, tient à souligner Frédéric Bordage, fondateur du collectif Green IT qui réunit des experts de la sobriété. "Le temps passé pour la suppression" annule le bénéfice "de l'impact évité du stockage", prévient l'expert.
Des millions de courriels "inutiles"
Selon l'étude d'OVO, il serait possible de diminuer les émissions de CO2 liées aux emails rien qu'en évitant d'envoyer des mails de remerciements. Chaque jour, "64 millions de mails inutiles" contenant seulement les mots "Thanks" ou "Thank you" sont échangés au Royaume-Uni, selon cette étude de 2019.
S'il est difficile de mesurer de manière précise l'impact environnemental d'un envoi, les estimations se basant sur des méthodologies souvent contestables d'après le GDS EcoInfo, un groupe d'experts environnementaux affiliés au CNRS, selon la revue anglaise spécialisée dans l'environnement Carbon Literacy, l'empreinte carbone d'un courriel peut varier de 0,03 g à 26 g de CO2 (pour un mail envoyé à 100 personnes). Un mail court de type 'merci' génère bien "aux alentours d'1 g d'équivalent CO2", précise l'expert en pollution numérique Frédéric Bordage. Si un utilisateur en envoie un de moins par jour, il évite l'émission de 365 g de CO2 par an. Multipliée par le nombre d'internautes adultes au Royaume-Uni (un peu plus de 45 millions, selon OVO), cette économie peut permettre une réduction de 16,433 tonnes de CO2 pour l'ensemble du Royaume-Uni soit effectivement l'équivalent des émissions de 16 allers-retours Paris-New York (un aller-retour générant une tonne de CO2, selon l'Aviation civile).
L'impact carbone d'une réduction d'envoi de mail est cependant "epsilonesque" par rapport aux autres sources de pollution, juge Frédéric Bordage. Si éviter d'envoyer un email est un geste "positif" pour l'expert en environnement, les courriels sont "l'arbre qui cache la forêt" de l'empreinte générée par la production des appareils. "Dans le cas d'un smartphone conservé trois ans, 80% des émissions sont réalisées durant sa construction et 20% pendant son usage", abonde Didier Mallarino, ingénieur de recherche au CNRS à l'OSU Pythéas et co directeur du GDS EcoInfo.
Regarder des vidéos de chatons est-il nécessaire ?
"L'empreinte de la totalité des mails envoyés par un professionnel pendant un an s'élève à 75 kg de CO2 alors qu'acheter un deuxième écran génère 530 kg de CO2", ajoute Frédéric Bordage. Il faut donc plutôt "allonger la durée de vie des équipements et éviter de se suréquiper" pour réduire efficacement la pollution numérique, juge le fondateur de Green IT.
Parmi les usages, l'envoi de mail n'est pas non plus le plus polluant. "Le mail représente une part relativement insignifiante de l'ensemble des usages du numérique", insiste Didier Mallarino. "Si on fait un top 10 des utilisations de la bande passante, les emails n'y apparaissent pas", assure Emmanuelle Frenoux, maîtresse de conférences au Laboratoire Interdisciplinaire des Sciences du Numérique (LISN) à l'Université Paris-Saclay. Les trois usages les plus importants sont "le streaming (60% du trafic), la navigation web (13%), le gaming (8%)".
S'astreindre à envoyer moins de mails peut être un moyen de "prendre des bonnes habitudes", juge toutefois l'universitaire. "Si on commence à se poser la question s'il est utile d'envoyer un mail de remerciement, on peut espérer qu'on va aussi se demander s'il est nécessaire de regarder des vidéos de chatons sur YouTube". Selon le groupe de réflexion The Shift, le visionnage de vidéos en ligne est à l'origine de près de 1% des émissions mondiales de CO2 (PDF).
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