Areva en difficulté : la filière du nucléaire est-elle en train de tomber en panne ?
Le groupe Areva annonce une perte record de 4,8 milliards d'euros, mercredi 4 février.
En 2012, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg vante le nucléaire, "filière d'avenir". Trois ans plus tard, le géant du secteur Areva annonce une perte record de près de 4,8 milliards, mercredi 4 mars.
Bien que le Premier ministre, Manuel Valls, évoque encore une filière d'avenir, le nucléaire français semble marquer un coup d'arrêt.
Oui, les premiers EPR ont refroidi les attentes
Avec tout de même des bémols. En Finlande, le réacteur EPR Olkiluoto 3 est attendu au mieux en 2018, avec neuf ans de retard. Les pertes estimées sont déjà colossales : presque 4 milliards d'euros. A Flamanville (Manche), l'EPR rencontre les mêmes difficultés. La mise en service est prévue en 2016, avec quatre ans de retard. "En effet, ce sont des échecs économiques, mais ça n'en est pas en Chine, où deux réacteurs sont construits dans les temps", relativise le chercheur François Lévêque, auteur de Nucléaire On/Off (éd. Dunod).
Malgré la vente de deux réacteurs au Royaume-Uni, les espoirs en Inde et en Arabie Saoudite, le nucléaire français a tout de même pris un coup derrière la tête. Lors de la nomination de Philippe Knoche au poste de directeur général, des syndicats se sont interrogés : Areva doit-il revoir la technologie des EPR et la 'simplifier' ? La question reste d'actualité. Mercredi, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a d'ailleurs évoqué une offre renforcée de réacteurs moyenne puissance.
Oui, EDF et Areva peinent à travailler ensemble
La France reste en pointe dans la technologie nucléaire mais ses concurrents montent en régime, comme l'AP1000 de l'Américain Westinghouse ou l'APR1400 du Coréen Kepco. Ce dernier remporte même un appel d'offres aux Emirats arabes unis, en 2009, grâce à la guerre intestine entre les deux géants français, Areva et EDF. Ce fiasco made in France précipite le départ d'"Atomic Anne" Lauvergeon. Surtout, il démontre qu'il n'existe pas d'équipe de France du nucléaire.
Un an plus tard, EDF choisit Toshiba-Westinghouse plutôt qu'Areva pour démanteler la centrale de Chooz A, dans les Ardennes. Un choix de mauvais augure avant le "grand carénage" du parc nucléaire français.
Aujourd'hui, EDF réalise plus de la moitié de ses opérations de conversion d'uranium auprès d'entreprises russes ou canadiennes, alors même qu'Areva construit une usine dédiée, Comurhex 2, prévue pour 2017 à Pierrelatte (Drôme). Pourtant, "quand Areva investit un milliard d'euros sur ce site, c'est comme si l'Etat investissait un milliard", souligne Jean-Pierre Bachmann, coordinateur CFDT d'Areva. Une façon de dénoncer le manque de cohérence et de stratégie au sommet de l'Etat.
Longtemps taboue, la question d'un rapprochement est désormais évoquée par Emmanuel Macron, ministre de l'Economie. Interrogé dans Le Figaro, mercredi, il juge que la "refonte" du partenariat pourrait aller "jusqu'à un rapprochement, y compris capitalistique". Voici donc Philippe Knoche et Jean-Bernard Lévy dos à dos.
Non, car Areva ne représente pas toute la filière
"Areva est en crise et c'est un acteur important, mais non, la filière nucléaire n'est pas en crise", résume François Lévêque. Il y a d'autres poids lourds, comme EDF, Alstom, Bouygues, Vinci. Et en 2010, un rapport parlementaire sur l'avenir du nucléaire en France évoquait "une vingtaine d'entreprises de taille intermédiaire et plusieurs centaines de PME". Le nombre d'emplois liés à la filière reste difficile à évaluer, mais se situerait entre 125 et 400 000 selon les sources, indiquait Le Monde en 2013.
Le nucléaire français, "ce n'est pas un fiasco, c'est une réussite technique et humaine qui date de 40 ans, sur laquelle on peut capitaliser", assure de son côté Jean-Pierre Brachmann. Avec son modèle intégré des mines aux déchets, Areva supporte beaucoup de risques. "En investissant dans les mines, c'est nous qui avons pris des risques financiers pour couvrir les risques industriels de nos clients, y compris EDF", explique le syndicaliste. Au risque de commettre des erreurscoûteuses : en 2007, le groupe dépense ainsi une fortune (1,8 milliard d'euros) pour acquérir la société minière UraMin... Jugée sans valeur ou presque quelques années plus tard. Un fiasco qui plombe durablement les comptes.
Non, la France songe déjà aux prochains réacteurs
Voilà presque cinq ans que le Comité de l'énergie atomique est maître d'ouvrage d'Astrid, un réacteur dit de "quatrième génération", à neutrons rapides refroidis au sodium, qui n'a pas besoin d'uranium enrichi. Cette technologie est simplement en phase "d'avant-projet sommaire", mais 500 personnes travaillent déjà dessus.
Plusieurs dizaines de partenaires étrangers ont sollicités, mais les entreprises françaises sont aussi sur les rangs, comme Areva, EDF, le CEA, Bouygues et Alstom. Date estimée de mise en service ? Pas avant 2050. Selon Le Monde, certaines sources estiment le coût du projet à 5 milliards d'euros.
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