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"On était fiers de travailler chez Bridgestone": un mois après la fermeture de l'usine, le vague à l'âme des ex-salariés

En septembre 2020, 863 salariés de l'usine Bridgestone de Béthune, dans le Pas-de-Calais, apprenaient qu'ils allaient perdre leur emploi. Un mois après la fermeture du site, l’émotion reste vive et beaucoup d'entre eux sont restés sur le carreau.

Article rédigé par Maureen Suignard
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min

Francky Cagniart, 45 ans, a passé 18 ans de sa vie chez Bridgestone. 
 (MAUREEN SUIGNARD / RADIO FRANCE)

L’annonce de la fermeture du site de Bridgestone de Béthune dans le Pas-de-Calais a été un coup de massue pour toute une partie de la région. En septembre dernier, le géant du pneumatique japonais annonce la fermeture du site en invoquant une surcapacité de production en Europe et la concurrence asiatique à bas coûts alors que l’usine aurait dû fêter ses 60 ans d’existence cette année. Pour les syndicats, la direction de Bridgestone a volontairement sacrifié le site, en lui confiant les productions de modèles les moins rentables et en réduisant les investissements de manière drastique.    

Francky Cagniart, 18 ans chez Bridgestone

En septembre 2020, ce sont ainsi 863 salariés qui apprennent qu’ils vont perdre leur emploi. Ce souvenir est gravé dans la mémoire de Francky Cagniart, 45 ans, dont 18 ans passés chez Bridgestone. Entre son arrivée et son départ, l’usine passe d’une production de 25 000 pneus par jour à 7 000 et il a vu l’activité de l’usine s’essouffler.

Le site Bridgestone de Béthune, dans le Pas-de-Calais. (MAUREEN SUIGNARD / RADIO FRANCE)

Jusqu’à l’annonce, fracassante le 16 septembre 2020. "À 10h30, ma femme appelle et me dit, comme ça, que ça y est, on ferme, explique-t-il. Quand j'ai appris la nouvelle, je n'y croyais pas. Pour nous, c'est la mort de notre travail, des copains, de l'ambiance, tout ça. C'était cette ambiance qui faisait qu'on était bien à l'intérieur. C'était une deuxième famille qui disparaissait."

Francky est tout simplement intarissable sur cette ambiance si particulière. "On était fiers de travailler chez Bridgestone", dit-il encore. Mardi 1er juin, un mois après la fermeture, le choc est encore là. "À l'heure actuelle, je me sens plus ou moins bien, confie Francky. Je pense aux copains qui ne retrouveront pas de travail dans l'immédiat. À ceux qui ont vécu Bridgestone depuis le début et qui ne savent que bosser là." Pour les habitants du secteur Bridgestone, c’était le navire qui ne pouvait pas couler. Cette semaine Francky est retourné sur le site pour enfin acter son départ et sceller l’accord entre lui et l’entreprise.

"Ce qui était bon, en y retournant, c'était de sentir à nouveau la gomme en entrant à l'intérieur. Ça, c'était bon ! Comme pour un fumeur avec sa première cigarette du matin qui lui fait du bien."

Francky Cagniart

à franceinfo

Mais l’avenir s’éclaircit quand même : il se transforme en cuistot et lance une crêperie solidaire qui emploiera des personnes en situation de déficience intellectuelle à Béthune. Il a bénéficié d’une aide de 20 000 euros de Bridgestone.   

L'avenir n'est pas si sombre

Les salariés ont tout de même pu partir dans de "bonnes conditions" grâce à des semaines de négociations, insistent les syndicats. Le PSE, le plan de sauvegarde de l'emploi, prévoit pour chaque salarié une indemnité de 46 500 euros ainsi que 2 500 euros par année d’ancienneté. Ils bénéficient aussi d’un congé de reclassement de deux ans, pour se réinsérer, se former, ou créer leur entreprise. Mais un mois après la fermeture, beaucoup sont encore sur le carreau. 547 précisément, selon la CFDT. Puis, il y a aussi les sous-traitants : 311 entreprises sont directement touchées par cette fermeture.

Mais l’avenir ne semble pas aussi sombre que ce qu’on avait prévu : le site ne devient pas une friche industrielle et le groupe nordiste de logistique Log's le reprend, avec 300 emplois à la clef. Les syndicats espèrent bien que le maximum d’anciens salariés de Bridgestone pourront y travailler même si ce n’est pas le même cœur de métier explique Stéphane Lesix de la CDFT.  "Vu qu'on a un grand congé de reclassement de 24 mois, l'idée est que le futur repreneur qui a besoin de CDI privilégie ceux de Bridgestone, pour qu'ils puissent se former et être prêts quand ça va ouvrir", indique-t-il.

"Ce qui nous rassure, c'est qu'à l'extérieur, je veux dire dans le monde politique, tout le monde a compris que le suivi va être important..."

Stéphane Lesix, CFDT

à franceinfo

D’autres entreprises ont aussi déposé des projets d’implantation : si on ne connaît pas encore leur identité, parmi eux se trouve un projet de reconditionnement de pneus. Tous les acteurs croient unanimement dans l'avenir de l'industrie, si elle est plus innovante. La communauté d’agglomération de Béthune explique que la crise les a poussés à revoir leur feuille de route industrielle. Après une période de transition, le solde des emplois sera même positif, selon elle. Même analyse du côté de la région : pour Philippe Ourdain, le président de la Chambre de commerce et d’industrie des Hauts-de-France, l’industrie n’est pas morte.

"On se bat tous pour ça, défend-il. On a la culture de l'industrie. Ce qu'il faut, c'est s'adapter au monde qui change et aller chercher des industries qui sont totalement innovantes et des entreprises proches de la logistique. Parce qu'avec l'arrivée du canal Seine-Nord, notre volonté de devenir un hub logistique des entreprises industrielles qui ont vraiment un gros besoin de logistique, de transport maritime et autre, c'est le meilleur emplacement." Philippe Ourdain reste cependant vigilant vis-à-vis de la filière automobile qui dans la région reste pour le moment plus tournée vers l’automobile traditionnelle.  

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