Cet article date de plus de dix ans.

Pourquoi le gouvernement intervient-il dans les affaires d'Alstom ?

L'Etat n'est plus actionnaire d'Alstom depuis 2006. Pourtant, l'exécutif ne cache pas ses inquiétudes face à un rachat par General Electric de la branche "énergie" de l'entreprise française. Et tente d'agir en coulisses.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, lors de son arrivée à l'Elysée (Paris), pour rencontrer le patron de General Electric, lundi 28 avril 2014. (ALAIN JOCARD / AFP)

"Prenons une image qui soit familière des Français : soit on se fait racheter par Boeing, soit on décide de construire Airbus." Invité à réagir aux propositions de rachat de la branche énergie d'Alstom au micro de RTL, lundi 28 avril, Arnaud Montebourg n'a pas fait grand mystère de sa préférence pour l'offre de l'Allemand Siemens par rapport à celle du géant américain General Electric (GE). 

Cette attitude est d'autant plus surprenante de la part du ministre de l'Economie que depuis 2006, l'Etat n'est plus actionnaire d'Alstom. Que vient faire le gouvernement dans les choix stratégiques d'une entreprise privée ? Francetv info récapitule.

Pour tenter de garder la main sur les choix importants 

L'exécutif, qui a placé la lutte contre le chômage et la réindustrialisation de la France au sommet de la liste de ses priorités, n'est pas franchement emballé à l'idée de voir l'un de ses fleurons industriels passer sous pavillon américain. "A partir du moment où les centres de décisions de grandes entreprises se déplacent, les responsables politiques craignent toujours que les préoccupations locales soient moins prises en compte, notamment en matière d'emploi", explique à francetv info François Lévêque, professeur d'économie à Mines ParisTech et auteur de Nucléaire On/Off (Dunod, 2013). 

Il n'est donc pas franchement étonnant, alors que 9 000 personnes travaillent en France pour la branche énergie d'Alstom, qu'un rapprochement avec un industriel allemand ait les faveurs de l'exécutif. "Mais cette idée est très largement symbolique", juge François Lévêque, pour qui, à la différence de Siemens, Alstom et GE sont "plus complémentaires que concurrentes", ce qui atténue le risque de doublons dans les postes (donc de suppressions d'emplois) une fois les entreprises fusionnées. Les Echos notent ainsi que le Français est très bien implanté dans les secteurs de l'hydraulique, des centrales à charbon et du transport d'électricité, au contraire de l'Américain. Ce dernier est en revanche un poids lourd des centrales utilisant du gaz ou du pétrole, où Alstom "n'est que peu présent".

Le gouvernement, qui a quitté le capital d'Alstom il y a huit ans, n'a en outre pas de moyen de peser directement sur le choix du conseil d'administration de l'industriel français. Il lui reste cependant la possibilité de faire pression en jouant sur le niveau des commandes publiques. "Mais ce n'est pas d'une efficacité formidable, car la demande publique en France n'est plus très importante", tempère François Lévêque. Par ailleurs, une telle décision "mettrait en danger l'activité de l'entreprise, ce qui est difficile à justifier quand le discours du gouvernement est de préserver l'emploi en priorité" ajoute Anna Creti, professeure d'économie à l'université Paris-Dauphine et chercheuse à l'Ecole polytechnique.

Pour préserver l'indépendance énergétique française 

François Hollande s'est montré très concerné par le devenir de la branche énergie d'Alstom. Dans un communiqué publié dimanche soir, alors qu'il réunissait à l'Elysée Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Ségolène Royal, le président expliquait son intervention "au regard des objectifs (...) d'indépendance énergétique" de l'exécutif.

La France n'a pourtant pas vraiment de quoi s'inquiéter à ce sujet. "L'énergie est l'un des quelques secteurs où la balance commerciale du pays est positive", explique Anna Creti, pour qui "l'indépendance énergétique de la France est assurée, notamment par le nucléaire".

Ce secteur, qui représentait les trois quarts de la production française d'électricité en 2012 selon EDF, n'est en outre pas directement le cœur d'activité de la branche énergie d'Alstom. "A la différence d'Areva, Alstom n'occupe pas le marché des îlots nucléaires (qui comprend le réacteur), mais uniquement celui des îlots conventionnels (qui transforme la vapeur émise par le réacteur en électricité)", ajoute François Lévêque. "La véritable indépendance énergétique est assurée par l'approvisionnement de combustibles, nucléaire ou fossile (charbon, gaz et pétrole), résume Le Parisien (article payant). Domaine dans lequel Alstom n'intervient absolument pas."

Pour ne pas être le gouvernement qui aura vendu un fleuron industriel français 

La dernière motivation de l'exécutif pour s'investir dans ce dossier est plus politique que les précédentes. En 2004, l'Etat avait acquis 21,4% du capital d'Alstom, en grande difficulté, pour lui éviter la faillite. A l'époque, le ministre de l'Economie s'appelait Nicolas Sarkozy. Dix ans plus tard, la perspective d'un changement de propriétaire pour le fleuron industriel français permet aux proches de l'ancien président d'attaquer frontalement la politique de la gauche.

Alors que son prédécesseur cultive une image de sauveur, "il ne pourrait qu’être dommageable au chef de l’Etat de paraître impuissant face à une vente d’Alstom", ajoutent Les Echos. Quelle que soit la décision finale, l'Etat espère donc montrer qu'il a été écouté lors des négociations.

Il ne faudrait toutefois pas que l'exécutif soit hanté par le fantôme de Nicolas Sarkozy dans le dossier Alstom. Le Monde.fr relève ainsi que si l'ancien président ne s'est pas privé de cultiver l'image du sauveur de l'entreprise, il a un peu surestimé son rôle. Mario Monti, qui occupait le poste de commissaire européen à la concurrence en 2004, a ainsi révélé en 2007 que les discussions entre la France et Bruxelles en vue de l'entrée de l'Etat au capital d'Alstom étaient déjà "très avancées" lorsque Nicolas Sarkozy a été nommé ministre de l'Economie.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.