: Vidéo Fermeture de Whirlpool à Amiens : peut-on se fier à la mention "Made in France" dans l'électroménager ?
L'usine de sèche-linge de Whirlpool Amiens, qui comptait 300 salariés, est officiellement délocalisée en Pologne ce vendredi 1er juin. Le genre de décision qui pourrait inciter certains à privilégier les produits étiquetés "Fabriqué en France". Mais est-ce vraiment une solution ?
En pleine campagne présidentielle, l'an dernier, l'annonce de sa fermeture avait fait l'effet d'une douche froide, cristallisant les critiques sur la casse sociale dans le secteur industriel français et sur les dérives de la mondialisation. Ce jeudi 31 mai 2018, l'usine de sèche-linge de Whirlpool Amiens, qui employait 300 salariés, ferme ses portes et voit son activité délocalisée en Pologne. Face à ce genre de phénomène, des voix s'élèvent pour rappeler les vertus du "Made in France". Mais avec quelle réalité dans les magasins ? Reste-t-il encore une production d'appareils électroménagers en France ? Peut-on se fier à la mention "Fabriqué en France" aperçue ici ou là dans les rayons, parfois agrémentée d'un joli drapeau tricolore ? Éléments de réponse.
"Une partie des consommateurs sont sensibles au fait d’acheter français"
Interrogation préalable : cette mention "Made in France" est-elle vendeuse ? "Une partie des consommateurs sont sensibles au fait d'acheter français, soit parce qu'ils en déduisent une idée de qualité, difficile à vérifier, soit parce qu'ils sont sensibles à l'impact de leurs achats sur l'activité, ce qui est indéniable", répond Benjamin Douriez, le rédacteur en chef adjoint du magazine 60 millions de consommateurs, qui consacre une enquête au sujet dans son numéro du mois de juin.
Une sensibilité difficile à mesurer. Les dernières études mises en avant par la Fédération indépendante du "Made in France" (Fimif) datent de 2014. A en croire le Crédoc, "50% des Français déclarent privilégier le 'Made in France' lors de leurs achats et 61% se disent prêts à payer plus cher des produits 'Made in France'". Tout feu, tout flamme, la vice-présidente de la Fimif, Amandine Hesse, ne voit que des bénéfices au fait maison: "Quand on achète français, on crée trois fois plus d'emplois que si l'on achète quelque chose qui est fait en Chine."
Consommer français n'est pas forcément plus cher. On achète moins, mais mieux, plus durable, et en réduisant le coût carbone.
Amandine Hesse (Fédération indépendante du "Made in France")à franceinfo
Le "Made in France", une mention définie au niveau européen
Encore faut-il se plier à des règles. Avant d'être un argument de vente hexagonal, le "Made in France" est une mention douanière européenne. "Si l'entreprise souhaite utiliser ce marquage pour l'un de ses produits, elle s'adresse à nos services pour savoir si elle y est autorisée ou non, au regard de la réglementation européenne en matière d'origine. Les règles varient en fonction du numéro de nomenclature douanière du produit concerné (classement tarifaire). En 2017, les douanes ont reçu 270 demandes d'entreprises et en ont refusé 50", explique Marc Dagorn, chef du bureau de la politique tarifaire et commerciale à la Direction générale des douanes. Avant de compléter :
S'agissant des lave-linge : pour que le produit soit considéré comme 'Made in France', les règles européennes prévoient que ce qui est fait en France (valeur ajoutée) doit représenter au moins 45% du prix 'départ usine'. Entrent en compte le coût des pièces, de la main-d’œuvre, la recherche et développement, les frais de commercialisation, les frais de fabrication ...
Marc Dagorn, de la Direction des douanesà franceinfo
Des critères jugés trop "lâches" par le député UDI Yves Jégo, auteur en 2010 d'un rapport parlementaire intitulé "En finir avec la mondialisation anonyme". Avec ce seuil de "45% de valeur ajoutée acquise en France", souligne-t-il, un objet "en partie fait au Maroc et terminé en France" peut avoir droit à la mention "Made in France".
Des sanctions théoriques, mais peu de contrôles
Plus encore, Yves Jégo s'indigne de l'absence de contrôle et de multiples imitations ("Tradition française", "Recette française", "Produit français" ...) qui flirtent avec la pratique commerciale trompeuse." Avec des mentions telles que 'Conçu en France', 'Imaginé en France', 'Designé en France', certains jouent avec la limite. Ça veut généralement dire 'Fabriqué à l'étranger', mais ça prête à confusion", surenchérit Benjamin Douriez.
Le plus simple serait de rendre publique la liste des produits "Made in France" agréée par les douanes. Tel n'est pas le cas. Rappelons néanmoins que les infractions au "Made in France" sont passibles de sanctions.
L'indication d'une mention fausse ou de nature à induire en erreur le consommateur peut constituer une infraction punie au maximum de 2 ans d'emprisonnement et au plus d'une amende de 300 000 euros.
La DGCCRF (répression des fraudes)à franceinfo
La DGCCRF (Direction général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) ne fournit pas de statistiques sur les contrôles, mais indique que "les plaintes en la matière sont peu nombreuses (tant de la part des consommateurs que des professionnels)."
L'électroménager produit en France, un oiseau rare
Reste qu'en cas de doute, il existe des indices pour vous alerter. Si vous voyez un drapeau tricolore ou une mention "Made in France" sur une cafetière ou une bouilloire ordinaire, méfiez-vous. Au tournant des années 2000, la délocalisation de l'industrie électroménagère, en Asie ou ailleurs, a été massive, avec des milliers d'emplois supprimés chez Moulinex. En 2006, le groupe Seb, repreneur de Moulinex, supprimait à son tour "890 emplois en France, sur un effectif total de plus de 7 500 salariés", rapporte Le Monde, et les syndicats dénonçaient "la politique du tout-chinois".
Quel est l'état des lieux aujourd'hui ? Pour le gros électroménager, après la fermeture de l'usine Whirlpool, "seules quatre sociétés continuent à produire [en France] fours, cuisinières et hottes aspirantes : Gaggenau, marque haut de gamme, Roblin, Rosières et surtout le groupe Brandt (...) avec 650 emplois", explique 60 millions de consommateurs.
Du côté du petit électroménager, précise le mensuel, "c’est surtout le groupe tricolore Seb et ses quelque 6 000 personnes qui tire la production vers le haut". "En 2017, précise l'entreprise à franceinfo, les dix sites industriels français du groupe ont produit environ un quart de ses ventes mondiales." En 2012, selon Les Echos, Seb réalisait "38% de sa production en France".
Recentrée sur "des produits à forte valeur ajoutée"
Sous les marques Moulinex, Tefal, ou Krups sont ainsi fabriqués, ou assemblés, de Lourdes à Vernon et de Selongey à Rumilly, hachoirs, autocuiseurs, crêpières, yaourtières ... Mais quels types d'appareils sont réellement "Made in France" ? "Les produits à forte valeur ajoutée", précise-t-on chez Seb. L'entreprise évoque ainsi sa déculpabilisante "friteuse sans huile" fabriquée à Is-sur-Tille (Côte-d'Or). Ou encore la star du moment, le robot cuiseur i-Companion, petit engin connecté fabriqué à Mayenne, dans le département du même nom. Dans une usine, complètent Les Echos, qui "emploie 420 salariés, dont une centaine en recherche et développement". Soit un quart de cols blancs.
C'est en revanche pour mieux garantir l'emploi des "cols bleus", des ouvriers, qu'Yves Jégo (encore lui) a créé Pro France, en 2010. Cette association à but non lucratif gère la marque Origine France Garantie, qui s'inspire de l'exigeante législation suisse sur le "Swiss made". Pour obtenir ce label, explique son secrétaire général Romain Bertrand, "il faut que les caractéristiques essentielles du produit viennent de France et que 50% au moins du prix de revient unitaire soit acquis en France. Mais attention : dans ce pourcentage, nous ne prenons pas en compte le marketing, et la recherche et développement est plafonnée à 10%. Il s'agit de critères intelligents permettant de vérifier que le produit est réellement fabriqué en France, avec un processus de certification décerné par un organisme agréé" (type Veritas ou Afnor). Au final, presque aucune entreprise n'est certifiée dans l'électroménager.
Origine France Garantie donne son label à 2 000 gammes de produits, de 600 entreprises. Mais il n'en reste plus qu'une seule dans l'électroménager, Brandt. Il y avait Whirlpool jusqu'il y a peu.
Romain Bertrand, secrétaire général de France Proà franceinfo
Ce "label rouge" non alimentaire est coûteux. Selon sa directrice du marketing Tanja Lefèvre, Brandt France débourse 10 000 euros par an pour certifier ses appareils de cuisson. Fours, cuisinières, tables à induction, hotte, toute la gamme ou presque y passe, sauf les plaques vitro-céramiques, trop difficiles à produire en France. Les autres appareils sont-ils pour autant 100% "Made in France" ? "Non, reconnaît-elle : la proportion varie de 50 à 90%. Produire 100% français coûterait trop cher alors que la plupart de nos concurrents produisent à l'étranger avec un coût du travail moindre. La question est : jusqu'à quel prix peut aller le consommateur ? On veut produire en France, mais aussi rester compétitifs."
Le précieux label fournit toutefois d'appréciables avantages. Il garantit la "french touch" dans l'art si français de la cuisson. "Il prouve, poursuit la responsable marketing, une démarche de prise en compte des spécificités françaises. On fournit d'ailleurs, avec les appareils de cuisson, des recettes de viande ou, dans d'autres pays, des recettes typiques de pâtisserie française : des cannelés, des macarons..."
Ça nous aide à l'export, où le 'Made in France' est un argument. Nos appareils haut de gamme s'exportent très bien sur le marché asiatique.
Tanja Lefèvre, directrice du marketing de Brandt Franceà franceinfo
Le "Made in France" favorise ainsi l'export. Mais aussi l'innovation : Amandine Hesse, de la Fédération du "Made in France", cite notamment les pièces remplaçables de Tefal (groupe Seb) ou encore le projet fou de "L'increvable", une "machine à laver garantie à vie", "conçue pour que n’importe qui puisse la réparer le plus simplement possible". Vantée depuis trois ans dans la presse, celle-ci n'est encore qu'une promesse non accessible aux consommateurs. Pas de quoi ressusciter tout de suite l'électroménager "Made in France".
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