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GRAND FORMAT. "Urgentiste, c'est une vie de fou" : immersion pendant 24 heures aux urgences de l'hôpital de Martigues

Guillemette Jeannot le mardi 8 octobre 2019

Une infirmière prodiguant les premiers soins à un patient installé dans le couloir des soins, dans le service des urgences du centre hospitalier de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, le lundi 23 septembre 2019. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

Une angoisse, une blessure ou une douleur… Puis des mots qui rassurent et des gestes qui soignent à toute heure du jour ou de la nuit. Bienvenue au service des urgences du centre hospitalier de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône. Durant 24 heures, du dimanche 22 au lundi 23 septembre, franceinfo s'est immergée au sein des équipes martégales, qui sont en crise depuis plusieurs mois, comme de nombreux autres services des urgences en France. Tous dénoncent un manque de moyens et de reconnaissance et réclament plus de lits et de bras. De nouvelles actions de sensibilisation sont prévues, samedi 30 novembre, à l'initiative des collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux.

"La nuit, l'angoisse est multipliée par deux"

Panneau affiché dans le hall d'accueil du service des urgences du centre hospitalier de Martigues, le dimanche 22 septembre 2019. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

"J'ai du mal à respirer." Isabelle, assise derrière une vitre siglée "Accueil admissions", échange avec un jeune homme à la respiration saccadée. Asthmatique, sa prise de ventoline ne l’a pas calmé. Ce dimanche soir, Isabelle, secrétaire médicale, est accompagnée de Valérie, l'infirmière organisatrice d'accueil, nommée IOA dans le jargon hospitalier. Installées aux avant-postes, elles forment un duo essentiel pour le bon fonctionnement du service. Ce tandem, basé sur la confiance, gère toutes les arrivées, mais doit également composer avec l'agressivité, les insultes "faciles" et la détresse des patients.

"Vous avez votre carte de Sécu ? Et celle de votre mutuelle ?"enchaîne Isabelle, en inscrivant le jeune de 19 ans dans le Terminal Urgences, ou TU, le logiciel de gestion ouvert sur tous les postes. Valérie, l’IOA, prend alors le relais et fait entrer le jeune asthmatique dans un petit local situé juste à côté de l’accueil. "De un à dix, vous mettriez quelle note à votre douleur ?", demande Valérie, en mettant le tensiomètre autour du bras du patient. Sa mission est d’estimer au plus juste le niveau de douleur et d’éliminer une à une les pistes afin de délivrer un pré-diagnostic sur l'état de la personne.

<span>Dire 'Qu'est-ce que vous avez ?', c’est déjà thérapeutique.</span>

Valérie, infirmière urgentiste

L'IOA "est le poste d'infirmier le plus dur aux urgences car il n'y a pas de médecin sur qui se reposer, contrairement à l'arrière (à l'intérieur du service)", constate Valérie. Un code "gravité 3" est attribué au jeune homme, qui devra attendre près d'une heure avant de voir un médecin. Gradué de un à cinq, ce code détermine l'urgence de l'état du patient ainsi que son temps d'attente. "Le '1', c'est une urgence vitale", détaille Valérie. "Nous installons le patient dès son arrivée en salle de déchoquage." Les urgences de Martigues comptent trois salles de déchoquage, nommées SAUV (salle d'accueil des urgences vitales) 1, 2 et 3. Ce soir, elles sont toutes occupées. Quant aux codes 4 et 5, ils relèvent du médecin traitant et représentent en moyenne 50% des entrées du service.

La soirée est exceptionnellement calme pour un dimanche soir, remarque l'équipe. "Aucune maladie ne résiste à la pluie", sourit Isabelle. Le cliquetis des gouttes qui tombent dans des seaux résonne dans le couloir de l'unité d’hospitalisation de courte durée, l’UHCD. Créée il y a une vingtaine d’années, lorsque les urgences ont été totalement réorganisées, l’UHCD permet d’éviter une hospitalisation dans d'autres services, grâce à ses huit lits occupés, "normalement", pour une nuit. Malgré la réfection des locaux il y a moins d’une dizaine d’années, le personnel doit composer avec les infiltrations récurrentes.

Qui dit peu de monde, dit peu d'attente en ce début de nuit. La semaine, les patients attendent en moyenne cinq heures, assis sur un des nombreux sièges gris de la double salle d’attente ou allongés sur un brancard dans le couloir "zone de soins", quand leur état le nécessite. Le week-end, l’attente monte jusqu'à huit heures. "Quand on peut, on essaie de les rediriger vers une des quatre maisons médicales", explique Isabelle. L'accès à ces maisons de santé est l'une des douze mesures présentées par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pour désengorger les urgences. L’une d'entre elles, ouverte les week-end jusqu’à minuit, est située à cinquante mètres des urgences du centre hospitalier de Martigues. "Mais ils n’y prennent pas le tiers payant et certains patients qui ne peuvent pas payer préfèrent attendre ici", souligne Isabelle.

La secrétaire d'accueil du service des urgences de l'hôpital de Martigues, gère de 18 heures à 6 heures du matin les arrivées des patients, le dimanche 22 septembre 2019. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

Même au compte-gouttes, les arrivées s'enchaînent. Les pompiers amènent un nourrisson de 15 mois avec des symptômes de bronchiolite ; une ambulance dépose une jeune fille prise de vertiges et de nausées ; une mère de famille arrive avec la bouche et la langue qui grattent. Suspectant un œdème de Quincke, elle est tout de suite prise en charge par l’IOA. Arrivent ensuite de jeunes parents inquiets pour leur fils de 7 mois recouvert de plaques rouges. Puis les pompiers déposent un homme plié en deux à cause de coliques néphrétiques.

Suivi quelques minutes plus tard par deux mamans, l’une avec son fils qui a vomi du sang, l’autre parce que le sien n'arrive pas à respirer. Bilan : gastro-entérite pour le premier et rhinopharyngite pour le second. "La nuit, l’angoisse est multipliée par deux", relève Isabelle, qui enchaîne sa quatrième année au sein de l'équipe nocturne. "Les jeunes parents justifient leur venue en assurant que c'est leur médecin qui leur a dit d'aller aux urgences si la fièvre persistait." La secrétaire médicale, après une vingtaine d'années dans le milieu hospitalier, déplore une dégradation du système.

<span>A l'époque, il y avait encore de l'humain à l’hôpital. Maintenant, quand les gens veulent de l'humain, ils appellent les urgences.</span>

Isabelle, secrétaire médicale

Profitant d'une courte trêve, Isabelle, assise dans la pénombre pour reposer ses yeux, renseigne "les indicateurs canicule". Mis en place en 2003, ils ont été pérennisés pour mesurer quotidiennement la fréquentation des urgences. De samedi minuit à dimanche minuit, le service a enregistré 127 entrées. En 2017, les urgences de Martigues ont reçu en moyenne 131 patients par 24 heures, dont 28 qui ont nécessité une hospitalisation. Mais le temps presse car toutes les nuits, à 2h45, les ordinateurs se réinitialisent, pendant quasiment une heure. Écran noir sur tous les postes. L'équipe en profite, en général, pour faire une pause. "Ça coupe un peu la nuit", note Mathieu, qui enchaîne sa troisième nuit de garde. Mais l'équipe reste en alerte. "On ne peut pas réellement se poser car on ne sait pas ce qui peut arriver"confie l’infirmier.

Une solidarité à toute épreuve

Les personnels hospitaliers de l'équipe de nuit des urgences de Martigues dans leur salle de travail, "l'aquarium", dimanche 22 septembre 2019.&nbsp; (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

Dans la cuisine, renommée SAUV 4, chacun dépose ce qu’il a préparé sur la grande table qui occupe pratiquement toute la pièce. "En vingt ans de nuit, j’ai pris quinze kilos", lâche Christine. "Nous développons plus de problèmes d’obésité, d'hypertension et de cancer du sein", complète-t-elle sans se morfondre car elle aime travailler la nuit. Sur le grand tableau plaqué sur le mur du fond, des messages à destination des autres membres de l’équipe – ceux que l'on ne croise pas, entre les gardes de nuit et les jours de récupération.

Chacun se salue d'un "bonjour"malgré l'heure tardive, et s'embrasse. Ici, pas de hiérarchie, pas de distinction vestimentaire entre les fonctions. Aides-soignants, infirmières, secrétaires médicales, internes, médecins ou cadre de santé, tous œuvrent à la bonne organisation du service et s’épaulent quand la mort s'invite parmi les patients et qu'il faut accompagner les proches qui s'effondrent. "Il y a parfois des histoires qui résonnent et la seule façon d'avancer, c’est d'en parler entre nous", résume Mathieu.

<span>Le quotidien des urgences, ça soude. On peut tous en parler, pleurer, rire tous ensemble. Il y a une ambiance particulière.</span>

Mathieu, infirmier urgentiste

Cette nuit, la conversation tourne autour d’un petit garçon de 5 ans, mort d’un arrêt cardiaque dans le service il y a quelques jours. Il avait été admis à la suite d’une importante chute et personne ne se doutait de sa malformation cardiaque.

L'équipe de nuit s'accorde un temps de pause en salle de repos, dimanche 22 septembre 2019. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

La nuit, l'équipe fait également front face à l'agressivité des patients. "On reçoit beaucoup de négatif de la part des gens", se désole Valérie. "Tout est dû, c'est le 'tout, tout de suite'. Certains ne comprennent même pas que nous fassions passer les enfants avant eux." Mathieu a cependant remarqué que sa présence à côté de la secrétaire médicale calmait la misogynie de certains patients.

<span>Je pense que, quand les gens viennent ici, ils ne sont pas dans leur état normal. Si on devait faire un signalement à chaque fois que nous sommes agressés verbalement, on n'arrêterait pas. On en ferait au moins un par jour.</span>

Isabelle, secrétaire médicale

Après plusieurs agressions, des caméras ont été installées partout dans le service. Récemment, en pleine journée, une personne est entrée dans le local de l'accueil et a menacé physiquement la secrétaire médicale. Depuis, un des deux agents incendie, présents 24 heures sur 24, reste sur place quand son coéquipier part faire sa ronde dans le reste de l’hôpital. Avec l'agent de sécurité, il ne se passe pas une journée ou une nuit sans qu'ils n’interviennent pour calmer une personne agressive ou en crise.

Des gyrophares bleus se reflètent dans les vitres de l'accueil. "C'est pour une réquisition", alerte Isabelle. Trois policiers, encadrant un jeune homme, entrent d'un pas décidé dans le couloir des circuits courts. Ils ont besoin qu'un médecin vérifie qu’il n'y a pas de contre-indication de santé pour la garde à vue du suspect. Bien qu'ils ne soient pas prioritaires, Isabelle essaie toujours de les faire entrer rapidement, tant pour les autres patients que pour les policiers eux-mêmes. "Avant, c'était le médecin qui se déplaçait au commissariat. Maintenant, on vient ici trois, quatre fois dans la nuit et, pendant ce temps-là, on ne patrouille pas", se désole l’un des officiers. Ils reviendront quatre heures plus tard, pour une prolongation de garde à vue.

Trois policiers accompagnent un&nbsp;suspect&nbsp;pour une autorisation médicale préalable à sa mise en garde à vue, dimanche soir 22 septembre 2019 au service des urgences de Martigues. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

Même si les douze ou vingt-quatre heures de garde pour le personnel commencent à se faire ressentir, avec des yeux rougis et seulement une courte pause dans une chambre de garde, le calme et la bienveillance règnent dans l’équipe. Chacun sait ce qu'il doit faire, et quand. "Ciao, bonne nuit", lance Isabelle à 6 heures du matin. Suivie une demi-heure plus tard par Mathieu qui, après deux années de nuits aux urgences, le "paie physiquement" et n'en peut plus.

"On ne fait que croiser des vies"

L'équipe du Smur fait le réassortiment des équipements : le sac "circulation" (en rouge au premier plan) et "l'ampoulier" (au second plan), lundi 23 septembre 2019, au service des urgences de Martigues. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

Le soleil n'est pas encore levé que l'équipe du Service mobile d'urgence et de réanimation (Smur), médecin et infirmière, est sur le départ. Une jeune fille de 15 ans a été renversée, tôt ce matin, par une voiture à Port-Saint-Louis (Bouches-du-Rhône), à environ une vingtaine de minutes. C'est la première sortie du lundi pour les urgentistes. A Martigues, 90% de ces sorties sont pour du médical, du malaise à la douleur thoracique. "C'est un camion hyper armé, on peut même réanimer plusieurs personnes", décrit l'infirmière. Deux "lignes Smur" sont rattachées à l’hôpital, ce qui n’est pas le cas de tous les centres hospitaliers. L'inconvénient, c'est qu'à chaque sortie, le service des urgences perd deux soignants, voire quatre, quand les deux véhicules sont réquisitionnés, comme c'est souvent le cas.

"Vous n'êtes pas en forme ces derniers temps", remarque Marine, une infirmière qui se penche auprès de Fred, un homme d’une cinquantaine d’années sans domicile fixe. Arrivé au petit matin, en état d'ébriété, il tend son bras pour une prise de sang. "On va essayer de se doucher dans la matinée ?", lui propose Marine. Mais Fred ne semble pas d’accord. Également placée en "gravité 3, attente longue", une petite dame aux cheveux gris, elle aussi "fidèle" du service, mène sa vie au milieu des va-et-vient.

Trois des huit brancards installés autour de "l'aquarium, au service des urgences de Martigues, dimanche 22 septembre 2019. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

Face à "l'aquarium", le bureau du personnel soignant positionné stratégiquement au centre du service, huit brancards sont installés de façon permanente et occupés une majeure partie du jour et de la nuit. Un simple rideau sépare trois d’entre eux mais n’offre aucune intimité à ses occupants. "Je ne supporte plus de voir des personnes âgées comme ça, allongées tant bien que mal sur des brancards dans le couloir. Ce n’est pas possible, on manque de place", déplore Olivier, un des médecins de garde. Stéphane Luigi, le chef de service, renchérit en rappelant que si les chambres communes ont été supprimées dans les années 1970, aujourd'hui c’est "pire".

<span>Les patients sont tous ensemble dans le couloir. Hommes, femmes, ceux à l’hygiène précaire ou les personnes séniles. Même si nous évitons au maximum d'installer les enfants près d'eux, ils les voient forcément.</span>

Stéphane Luigi, chef du service des urgences

La lumière du jour pointe, les infirmières de chambre font le tour des patients hospitalisés. Ils sont six en UHCD ce matin. Température, prise de sang, vérification de la tension et petit déjeuner pour chacun. A côté, dans une des salles de déchoquage, les deux infirmières "box" forment une troisième consœur au maniement des outils. Un peu plus loin, deux autres collègues font le réassort des médicaments.

Il est 9 heures, une alarme retentit. Comme tous les matins, les agents incendie effectuent des tests. Médecins et internes sont enfermés dans la salle de réunion pour faire un point sur chaque patient. La relève des infirmiers et aides-soignants a eu lieu une heure plus tôt. Le va-et-vient incessant des ambulances et des camions de pompiers a commencé. Enfants accidentés dans la cour d'école et personnes âgées tombées dans leur salle de bain se succèdent. "Certaines maisons de retraite n'assurent pas un suivi médical approprié et nous retrouvons les pensionnaires aux urgences", souffle un interne.

Pour limiter l'engorgement matinal, un circuit court a été mis en place avec trois box de consultations équipés comme un cabinet de médecin. "Plus vite on évalue, plus la prise en charge peut être rapide", explique Florence, l'IOA du matin. A l'instar de ce petit garçon de 8 ans, qui, peu de temps après une chute "en rentrant de récréation", est suturé par un interne.

Parmi les patients se trouvent également des urgences psychiatriques. Au sein de l'équipe, une infirmière et un psychiatre de garde, trois jours par semaine, assurent le suivi de ces personnes. "Dites-lui de partir, je vais la tuer ! Dites-lui !", éructe une femme d’une soixantaine d’années que les pompiers ont retrouvée au bord de sa fenêtre. Rabia, l'infirmière-psy, tente de la calmer.

<span>Souvent, nous sommes contraints d’attacher les patients 'psy'. Alors que le confinement suffirait. Mais on manque cruellement de place.</span>

Rabia, infirmière-psy

"Il faut prendre aussi le temps de rassurer les proches", ajoute Rabia, avant de tenter de déculpabiliser une mère qui a appelé les urgences pour son fils de 17 ans qu'elle n'arrivait plus à maîtriser. "Derrière des urgences psy, il y a parfois des histoires familiales lourdes", pointe l'infirmière. Dans l'urgence, les équipes médicales doivent trouver le temps. "C'est compliqué car on ne fait que croiser des vies", reconnaît un médecin qui ne s'est pas aperçu immédiatement que la jeune fille qu'il venait d'ausculter après une crise de spasmophilie avait des scarifications sur le ventre, les poignets et le cou.

A l’accueil, Safia, la secrétaire médicale de jour, rappelle à un patient qui s'agace que "ce n'est pas l'heure d’arrivée qui détermine son passage mais le degré d'urgence". Dans la queue, derrière lui, un homme souhaite renouveler son arrêt de travail, une maman demande à faire ôter le plâtre de sa fille. Un jeune homme s'est lui réveillé en boîtant après avoir joué au foot pendant le week-end. En milieu de journée, 24 patients sont en salle d'attente et 36 en soins.

Des urgences en "souffrance"

Un médecin de garde, installé dans "l'aquarium", dans la nuit du dimanche 22 au lundi 23 septembre 2019. Au premier plan, le Terminal Urgences&nbsp;qui permet de gérer l'ensemble des patients arrivés dans le service. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

"Vous êtes en grève ?", interroge un homme venu accompagner sa femme, en début d'après-midi. Un peu partout dans le hall, des affichettes "Urgences en souffrance" ou "Hôpital en tension" indiquent que le service a rejoint le mouvement national de grève courant juin. Depuis, les autres services du centre hospitalier de Martigues se rallient au fur et à mesure. Tenus d'assurer la continuité des soins, les "grévistes" portent comme signe distinctif un tee-shirt noir avec le logo du collectif Inter-urgences, qui fédère les 264 services d'urgences actuellement en grève. 

La crise des urgences est le symptôme d'un système hospitalier en dysfonctionnement. Il est nécessaire d’évoluer.

Stéphane Luigi, chef du service des urgences

A la tête du service depuis 2011, le docteur Stéphane Luigi fait état d'une difficulté grandissante à recruter. "La désertification médicale gagne aussi les hôpitaux. Même à 40 km de Marseille, on n'arrive pas à recruter. Il y a un problème réel d’attractivité dans nos professions." "Une suture la nuit est mieux payée qu'une garde rémunérée 9 euros", ajoute un interne, plaisantant à moitié. Dans les étages, au sein des autres services de l’hôpital, le personnel fait également défaut, surtout la nuit.

Soutenues dans leur mouvement par la population, les équipes tiennent. Mais "c'est une vie de fou, urgentiste", lâche le psychiatre de garde. "Vous savez qu'une personne sur cinq risque de sortir avec le mauvais diagnostic. Vous êtes en tension perpétuelle entre l'hôpital et les familles", précise-t-il. Selon une étude publiée dans la revue médicale Journal of Affective Disorders, la moitié des médecins urgentistes décrochent en état d'épuisement total dans les dix années de service. "Ici, même quand c'est plein, ça continue d'arriver", renchérit un interne. Pas de répit pour le service des urgences de Martigues qui, en trente ans, est passé de 9 000 à... 48 000 entrées. "Les locaux ont été refaits il y a neuf ans mais c'était pour une capacité de 30 000 entrées, fait observer le chef de service. Même s'ils sont relativement récents, ils ne sont plus adaptés."

Un interne lit les radiographies d'une patiente arrivée aux urgences de l'hôpital de Martigues, lundi 23 septembre 2019. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

Il est plus de 18 heures et la lumière décline doucement à l'extérieur. Les internes commencent à appeler les autres services de l'hôpital pour trouver une place à leurs patients, installés dans une chambre ou sur un brancard dans le couloir. Très souvent, ils se voient demander des examens supplémentaires, qui retardent d'autant le départ des malades vers d'autres unités. Les internes sont "pris en otage", critique Olivier, le médecin de garde. Selon lui, les chefs des autres services se renvoient la balle entre eux, prétextant que la pathologie du patient n'est pas de leur ressort. "Et pendant ce temps-là, le patient reste chez nous", déplore-t-il, pointant la dérive du système.

L’Unité d'hospitalisation de courte durée est devenue un système tampon, avec des hospitalisations de plusieurs jours.

Stéphane Luigi, chef du service des urgences

Cette nuit, le cadre de santé fera à nouveau le point sur les lits disponibles. Régulièrement, "on téléphone à l'Agence régionale de santé et au Samu pour qu'ils redirigent les patients sur d'autres hôpitaux. Mais c'est souvent peine perdue", constate celui qui a le rôle de "bed manager", une fonction que souhaite développer la ministre de la Santé. 

Il est presque 20 heures, 112 patients sont déjà passés aux urgences et le Smur est sorti huit fois. "Mais la journée n'est pas finie", signale la secrétaire médicale en ouvrant à trois policiers venus pour une prolongation de garde à vue. Les équipes des urgences de Martigues se préparent à vivre une nouvelle nuit agitée. 

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                                       Images et texte : Guillemette Jeannot

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