"Le gouvernement sacrifie la santé pour réduire les coûts" : pourquoi les internes en médecine sont en colère
Des internes en médecine ont manifesté mardi contre la réforme de leurs études. Franceinfo est allé à leur rencontre.
"Internes mal formés, cancer assuré. Internes mal formés, patients mal soignés" : les slogans, scandés par plusieurs centaines d'étudiants en médecine, résonnent devant le ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, mardi 18 avril. Blouses blanches sur le dos et banderoles multicolores à la main, ils protestent contre la réforme du troisième cycle des études médicales –également appelé internat – qui sera applicable à la rentrée prochaine.
Une mesure en particulier déclenche la colère des manifestants, qui ont appelé à la grève : le maintien d'un cursus en quatre ans dans certaines spécialités alors que l'InterSyndicat national des internes (Isni) voudrait l'étendre à cinq. C'est le cas de la cardiologie, de la néphrologie et de l'hépato-gastro-entérologie.
Franceinfo vous explique pourquoi cette décision met, selon les manifestants, la santé des patients en danger.
Des formations jugées trop courtes
"Cela fait des années que l'on demande que notre internat soit allongé", souffle, excédé, Abdellah Hedjoudje, vice-président de l'Isni. Pour lui, les raisons de cette décision sont budgétaires : "Le ministère nous a rétorqué qu'une année de formation d'un interne coûte 36 000 euros à l'Etat." Une justification que ce trentenaire peine à comprendre : "Le gouvernement sacrifie la santé pour réduire les coûts."
"En France, notre formation en cardiologie est plus courte que partout ailleurs en Europe. Forcément, on est moins compétents que les autres." Guillaume, interne en cardiologie à Bordeaux, ne mâche pas ses mots. Le jeune homme ne comprend pas pourquoi la durée de son internat n'est pas allongée à cinq ans, comme c'est le cas dans la majorité des pays de l'Union européenne. "Les étudiants risquent de fuir pour se former à l'étranger." A quelques mètres de lui, Aymeric Menet, cardiologue et chef de clinique à Lille, acquiesce. "La plupart des étudiants en cardiologie continuent leur formation pendant deux années supplémentaires, ce qui est optionnel. Sans ça, il peut être difficile de maîtriser certaines techniques comme la mise en place d'un pacemaker."
"Après quatre ans de formation, on n'est pas aptes", confirme Antoine. Cet interne en gastro-entérologie cite des gestes techniques difficiles à maîtriser, comme la coloscopie, qui permet d'explorer le côlon à l'aide d'une sonde. "Certaines pratiques sont à peine survolées au cours de stages, on a l'occasion de s'entraîner seulement une ou deux fois", déplore Anna*, qui s'est spécialisée dans le même domaine. Pour Antoine, cinq ans ne sont pas de trop pour maîtriser le rapport humain, aspect souvent oublié de la médecine : "Au début, quand j'annonçais à un patient qu'il avait une maladie grave, j'avais tendance à le préserver. Avec le temps, j'ai appris qu'il valait mieux dire les choses comme elles sont."
Quand une société évolue, il faut évoluer avec elle. C'est la maxime de Charlotte Loheac, interne en néphrologie dans un hôpital parisien. "Les progrès scientifiques et les innovations techniques dans le domaine de la médecine demandent d'acquérir de plus en plus de compétences, explique l'étudiante. Sans parler du vieillissement de la population." Pourtant, selon elle, la durée de formation n'a pas évolué depuis trente ans.
Une dernière année en autonomie totale
La réforme prévoit en outre que la dernière année de formation de quatre ans soit effectuée en autonomie. Les internes seront responsables de leurs actes devant les patients sans que l'aval d'un encadrant soit nécessaire. Un "raccourcissement indirect de la formation", selon l'Isni, puisque actuellement, ce n'est possible qu'après l'internat. "C'est une année d'assistanat déguisé, fulmine Charlotte Loheac. Pendant cette année, on n'est plus vraiment interne, on fait office de titulaire."
Anna est révoltée. "Je suis en quatrième année d'internat et il m'arrive encore de poser de mauvais diagnostics, confie-t-elle en baissant la voix. Heureusement qu'on me supervise, sinon je mets la santé de mes patients en jeu." Pensive, elle ne sait pas si elle pourrait continuer ses études s'il fallait assumer toutes ses décisions seule. "J'ai le ventre qui se tord rien que d'y penser, soupire-t-elle. C'est une responsabilité trop lourde pour un étudiant." Elle compte se "sur-spécialiser" et passer un diplôme complémentaire de deux ans, pour se sentir prête le moment venu.
Cette année de pratique en autonomie ne permettrait plus aux internes de multiplier les stages, notamment dans un domaine de spécialisation différent. "La transversalité, c'est important : si je veux m'installer dans un cabinet en ville un jour, je dois être capable d'orienter mes patients vers différents praticiens, donc d'avoir des notions en cancérologie, par exemple", explique Antoine. Charlotte a ainsi profité de son internat pour effectuer un semestre de stage en réanimation, et elle est en train de se former sur l'hypertension, car c'est une cause commune de dysfonctionnements rénaux.
Une réforme floue, appliquée dans six mois
Ces mesures seront applicables aux étudiants qui débuteront leur internat en novembre 2017. Ce qui ne manque pas de faire paniquer certains d'entre eux, convaincus par les syndicats de venir manifester avec leurs aînés. "On ne sait pas ce que ça va changer pour nous car personne ne nous a tenus au courant", expliquent, dubitatifs, Paul et Benjamin. Et pour cause : l'Isni affirme dans un tract que "beaucoup de textes ne sont pas encore écrits. C'est le cas des modalités de formation ou des statuts de l'étudiant." Les deux garçons réajustent leurs calottes en papier vert. "On est là pour faire poids et faire reporter cette mesure", disent-ils en chœur.
Alors que sa spécialité fait partie de celles dont la durée a été allongée d'un an par la réforme, Thomas* reste sceptique. Cet étudiant brestois en ophtalmologie ne sait pas à quoi il doit s'attendre. "Tout n'est n'est pas encore très bien fléché, on ne sait pas en quoi vont consister les enseignements."
Une revalorisation salariale pas encore déterminée
"A l'approche de la trentaine, on est encore à 1 700 euros par mois", se désole Arthur*, interne en médecine générale. Un statut difficile pour ceux qui multiplient les heures de travail. "On bosse, au minimum, 48 heures par semaine. Rapporté a un taux horaire, on est en dessous du smic", détaille-t-il. Le jeune homme hésite à se spécialiser en médecine d'urgence : "Parce qu'être en autonomie à ce coût-là, c'est du travail dissimulé."
La revendication salariale n'est pourtant pas celle qui est mise en avant ce mardi par les manifestants. "Bien sûr qu'on aimerait avoir un salaire plus élevé, mais le plus important c'est d'avoir une formation correcte", martèle une étudiante en gastro-entérologie. "On traite des patients, pas des feuilles de papier qu'on pourrait plier, s'emporte Charlotte. Des vies sont en jeu." Le mouvement de grève devrait se poursuivre chaque jour dans une ville différente, prévient l'Isni.
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