Le marché du logement est-il allé droit dans le mur à cause de Duflot?
Manuel Valls s'apprête à annoncer un nouveau "plan de relance", qui détricotera probablement le dispositif de l'ancienne ministre du Logement accusée d'avoir paralysé la construction immobilière. Mais est-elle vraiment responsable ?
Cécile Duflot, coupable idéale ? Les professionnels de l'immobilier accusent l'ancienne ministre du Logement d'avoir gelé les constructions immobilières. Une critique relayée aussi par Manuel Valls : pour lui, la loi pour l'Accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) de Cécile Duflot "ne permet pas le redémarrage du logement" et nécessite des "modifications". Le Premier ministre s'est emparé lui-même du dossier et s'apprête à annoncer un nouveau "plan de relance", qui détricotera probablement la loi, dont la majorité des mesures n'est pas encore appliquée.
Une décision justifiée, du côté de l'exécutif, par des chiffres inquiétants pour le secteur. Entre août 2013 et juillet 2014, le nombre de logements neufs mis en chantier affiche un recul de 10,8%, selon les statistiques du ministère du Logement, publiées le 26 août. Mais est-ce vraiment la faute de Cécile Duflot ?
Oui, elle a privilégié la protection des locataires
Ses détracteurs lui reprochent une "erreur de diagnostic", mais elle a surtout suivi une ligne politique, celle de François Hollande. Cécile Duflot voulait une loi "profondément de gauche", qui s’attaque aux "causes profondes de la crise du logement". Résultat : après plusieurs mois de navette parlementaire, des mesures avantageuses pour les locataires, dont l'encadrement des loyers, promis par le chef de l'Etat pendant sa campagne sont votées.
Le dispositif, testé depuis 2012 dans les grandes agglomérations et entériné par la loi Alur, interdit aux propriétaires de louer leurs biens plus de 20% au-dessus du prix médian du marché. Par conséquent, il peut réduire la rentabilité locative et ainsi décourager les investisseurs et les propriétaires. "On n’aboutit qu’à une chose : produire moins de logements, c’est-à-dire accentuer le problème français du logement", critiquait Benoist Apparu, ancien ministre UMP du Logement, en août 2013.
En outre, la loi Alur change le mode de fixation des loyers, désormais jugé "trop complexe" par l'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI).
Oui, elle a limité l'accès au prêt à taux zéro
Sous la houlette de Cécile Duflot, le prêt à taux zéro (PTZ) a été restreint aux biens neufs et réorienté vers les ménages les plus modestes, dans les zones manquant de logements. Le nombre de PTZ souscrits est ainsi passé de 80 565 en 2012 à moins de 40 000 en 2013, selon Le Monde. Cette baisse a accentué le recul de la construction de maisons par des particuliers, moyen privilégié des primo-accédants à la propriété, passant de 126 000 en 2012 à 106 000 en 2013, affirme le quotidien.
Oui, son image a desservi son dispositif
Pour remplacer le dispositif Scellier, favorisant l'investissement locatif, en vigueur de 2009 à 2012, l'ancienne ministre du Logement a crée le dispositif Duflot, qui semble moins séduire les investisseurs. "Il ne devrait pas se vendre plus de 30 000 'Duflot' en 2013, quand la ministre en escomptait 10 000 de plus (en regard des 72 400 Scellier de 2010)", écrit Le Monde.
Reposant sur le même schéma, le "Duflot" est pourtant aussi avantageux que son prédécesseur, pour les petites surfaces et les investisseurs moyens au moins, explique La Tribune. Comment expliquer alors ce désintérêt ? L'ancienne ministre du Logement aurait un problème d'image. "Bon nombre d'acteurs du monde de l'immobilier, qu'ils soient investisseurs, propriétaires ou professionnels perçoivent, en effet, la ministre comme un personnage politique trop interventionniste et à la pensée trop socialisante sur un marché où les 'libertés individuelles' devraient, selon eux, régner", explique le quotidien économique.
"Le nom ou l'image du ministre associé à un dispositif fiscal ne devraient pas avoir d'impact sur la perception du dispositif, explique à La Tribune Daniel Znaty, directeur immobilier de l'Union financière de France (UFF). Mais, force est de constater qu'on peut observer ce phénomène pour le 'Duflot'."
Non, deux de ses mesures auraient dû faciliter la construction
Des propositions moins médiatiques avaient pourtant été accueillies positivement par les professionnels de la construction.
La suppression du COS. La loi Duflot a supprimé le coefficient d'occupation des sols (COS) dans les règles des plans locaux d'urbanisme (PLU). Cette mesure, qui favorise la densité urbaine plutôt que l'étalement, a pour objectif de pallier le manque de foncier, notamment dans les zones urbaines, les plus touchées par la pénurie de logement, en augmentant le nombre des terrains constructibles. Elle doit donc faciliter l'attribution de permis de construire, explique VotreArgent.
Le transfert des compétences d'urbanisme. La loi Duflot prévoit que les PLU soient élaborés à l'échelle de l'intercommunalité et non plus de la commune. Une mesure jugée nécessaire pour mettre fin à l'adage "un maire bâtisseur est un maire battu", explique La Tribune. En effet, certains édiles sont souvent réticents à élaborer des programmes de construction de logements, particulièrement en période électorale, car les électeurs associent souvent les constructions nouvelles à une baisse leur qualité de vie. Le dernier scrutin, en mars 2014, peut en partie expliquer les très mauvais chiffres de 2014.
Non, ça fait un bail que le marché est atone
Aucun gouvernement n'est parvenu à réaliser l'objectif de 500 000 logements neufs par an depuis 1975, rappelle Le Monde. En cause, les coûts du foncier et, surtout, de la construction, en hausse constante, notamment en raison d'une accumulation de normes (normes sismiques, places de parking, accessibilité aux personnes à mobilité réduite…), mises en place par les gouvernements successifs. L'indice du coût de construction, que mesure l'Insee chaque trimestre, est passé de 1 225 au premier trimestre 2004 à 1 648 au premier trimestre 2014.
Par ailleurs, "l’activité des promoteurs est conditionnée par la conjoncture économique nationale", explique Libération. Le quotidien rappelle que "la baisse avait été tout aussi importante en 2008, avec 385 484 logements autorisés, et encore plus sévère en 2009, avec 329 790 logements, une année noire marquée par la récession suivant la crise des subprimes". La faible croissance, la baisse du pouvoir d'achat, les hausses d'impôts et les perspectives économiques moroses n'encouragent pas à l'achat de logement, projet coûteux sur un long terme.
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