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Tribune "Priorité à la discrimination dans le logement ?" : des associations dénoncent les effets pervers de la loi Elan pour les personnes handicapées

L'Assemblée doit voter la loi Elan mardi. Sept associations expriment leur colère devant un texte qui prévoit de faire passer de 100% à 10% la part des logements neufs accessibles.

Article rédigé par franceinfo - Associations représentant les personnes handicapées
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Publié Mis à jour
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Une personne en fauteuil dans un appartement à Nice (Alpes-Maritimes), le 15 novembre 2016. (A. NOOR / BSIP / AFP)

L'Assemblée nationale doit voter, mardi 12 juin, le projet de loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (la loi Elan). Le texte souhaite modifier la part de logements neufs accessibles aux personnes handicapées de 100% à 10%. Le gouvernement demande en revanche que tous les logements soient évolutifs pour permettre de les rendre accessibles. Insuffisant et inquiétant pour sept associations représentant les personnes handicapées, qui dénoncent une régression.


Un an après que le candidat Emmanuel Macron a donné sa "carte blanche" au handicap pendant le débat de l'entre-deux-tours de la dernière élection présidentielle, et après que l’actuel gouvernement a publiquement déclaré au début de son mandat "le handicap : priorité du quinquennat ", force est de constater que les actes diffèrent profondément des paroles…

La part de nouveaux logements accessibles réduite à 4%

En effet, l'actuel projet de loi logement dit Elan prévoit de faire régresser le nombre de logements accessibles de 100 à 10%. Dans les faits, ce sera même 4% de logements accessibles qui seront construits puisque ce quota de 10% ne s’appliquera qu’aux logements de quatre étages et plus. Or, il s'en construit 40% annuellement, si bien qu’il faut appliquer le quota de 10% aux 40% d’immeubles de quatre étages et plus construits chaque année en France.

Depuis de nombreux mois désormais, nos associations expliquent inlassablement au gouvernement en quoi le projet Elan est en décalage total avec l’aspiration légitime des Français à vivre dans une société accueillante, et donc accessible ; et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, le principe d'un quota de logements accessibles, abandonné dans les années 1970, est contraire à toute idée d'une société inclusive prônée par le gouvernement et ne répond aucunement à l'insuffisance de logements accessibles.

Une discrimination indirecte va apparaître 

Ensuite, il est irresponsable de ne pas anticiper le vieillissement démographique de la société, puisque selon l’Insee, nous savons d’ores et déjà que près de 25% de la population aura plus de 65 ans d’ici à une dizaine d’années alors qu'une immense majorité de Français (entre 76 et 83% selon les instituts de sondage) préféreraient vivre à domicile durant leurs vieux jours. Données auxquelles il faut ajouter le taux de prévalence du handicap selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), compris entre 10 et 15% de toute population.

Une discrimination indirecte va apparaître dans les faits.

En effet, quel intérêt aurait un bailleur social à loger une personne avançant en âge ou en situation de handicap puisqu’il lui faudra faire et payer des travaux ? Réponse : aucun.

Et quel intérêt aurait un bailleur privé à louer face à une candidature d’une personne âgée ou en situation de handicap ? Réponse : aucun. Pourquoi ? Parce que le gouvernement renvoie vers des organismes d’aide au financement partiel.

C’est ainsi oublier que l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (Anah) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) rendent leurs décisions après six à dix-huit mois d’attente, et ce, sans possibilité d’anticiper les travaux sous peine de ne pas percevoir les aides, et sans oublier le reste à charge financier… Quel serait alors mon intérêt de bailleur privé de laisser mon logement vacant pendant qu’un candidat locataire attend l’éventuel accord d’organismes financeurs ? Réponse : aucun.

Complexifier la vie

Ce projet est de plus totalement incohérent avec trois autres politiques publiques engagées par le gouvernement. Première incohérence : la transformation de l’offre médico-sociale, portée par la secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, consiste à ce que les personnes en situation de handicap, résidant actuellement en établissement, puissent vivre à terme comme tout le monde en logement ordinaire, en pleine ville. Cet objectif d’inclusion est pleinement partagé par les associations. Alors pourquoi raréfier à ce point l’offre de logements accessibles ?

Deuxième incohérence : Agnès Buzyn, ministre de la Santé, veut porter le taux d’hospitalisation en ambulatoire à 66% et développer l’hospitalisation à domicile. Pourquoi une telle volonté politique avec seulement 4% de logements accessibles ? Troisième incohérence : le gouvernement a mandaté le député Adrien Taquet pour proposer des mesures de simplification des démarches administratives effectuées par les personnes en situation de handicap. Or, en matière d’accès au logement, renvoyer les personnes vers des organismes de financement partiel, avec des délais d’attente de six à dix-huit mois, leur complexifiera la vie quotidienne. En aucun cas l’accès au logement ne leur sera simplifié…

Quel coût économique pour la société ?

La France, réputée pays des droits de l'homme, peut-elle s’asseoir sur les principes d’accessibilité universelle et de libre choix du mode de vie, alors qu’elle a signé la Convention internationale des droits des personnes handicapées ? Ces principes fondamentaux, ratifiés par la France en 2010, ne peuvent être niés. Enfin, les pouvoirs publics ont-ils seulement évalué le coût économique de l’inaccessibilité pour la société ?

Les trois grandes lois sur l’accessibilité mises en place en quarante-trois ans nous ont appris qu’au-delà des personnes âgées et en situation de handicap, l’accessibilité sert à tous et à chacun : aux parents, avec les 2,5 millions de poussettes qui circulent chaque jour, aux voyageurs avec bagages, aux déménageurs, aux livreurs, etc. Gageons que le mot "inclusion", utilisé à l’envi par les décideurs politiques, se transcrira concrètement dans les faits...

Associations signataires par ordre alphabétique : Alain Rochon, président APF France handicap ; Joseph Krummenacker, président de la FNAPAEF (Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles) ; Sylvain Denis, président de la Fnar (Fédération nationale des associations de retraités) ; Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath ( Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés) ; Louis Bonet, président du GIHP (Groupement pour l'insertion des personnes handicapées physiques) ; Luc Gateau, président de l'Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, anciennement : Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés).

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