L'article à lire pour comprendre pourquoi l'inflation décolle avec la reprise de l'activité économique post-crise du Covid-19
La sortie de la crise sanitaire a entraîné une forte reprise économique qui fait gonfler les prix ces derniers mois. Cette inflation inquiète mais elle n'est pas nécessairement un handicap, tant qu'elle ne dépasse pas un certain seuil.
Un litre de sans plomb 98 à près de 2 euros dans certaines stations-service à Paris, une hausse de 12,6% des tarifs du gaz au 1er octobre, une forte augmentation à venir des tarifs de l'électricité... Les prix de l'énergie s'envolent. Mais ce ne sont pas les seuls puisque ceux des services ou de l'alimentation augmentent aussi depuis plusieurs semaines.
Selon les derniers chiffres publiés par l'Insee, mercredi 30 septembre, les prix à la consommation ont augmenté de 2,1% en septembre par rapport au même mois l'année passée. Un niveau qui, sans être dramatique, n'avait plus été atteint depuis l'automne 2018. D'où vient cette reprise de l'inflation ? La crise du Covid-19 a-t-elle joué un rôle ? La France est-elle le seul pays à la subir ? Quelles sont les conséquences sur le porte-monnaie des Français et sur l'économie dans son ensemble ? On vous explique ce phénomène de hausse des prix.
Qu'est-ce que l'inflation et pourquoi tout le monde en parle ?
Sur son site internet, l'Insee définit l'inflation comme "la perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix". L'économiste Stéphanie Villers précise : "L'inflation est une hausse générale, une progression des prix sur un ensemble de biens et de produits contenus dans le panier moyen de la ménagère". Pour la calculer d'une année sur l'autre, l'Insee prend donc en compte tous les types de biens, de l'énergie à l'alimentation en passant par le tabac, l'alcool ou les services.
Si ce sujet occupe l'espace public depuis plusieurs semaines, c'est que l'inflation est en pleine augmentation. En France, les prix ont augmenté de 2,1% sur un an en septembre (1,9% au mois d'août). La hausse des prix observée en ce moment est tirée par l'énergie (+14,4%), et dans une moindre mesure par les services (+1,5%), le tabac (+4,8%) et l'alimentation (+1%).
Pourquoi augmente-t-elle depuis quelques mois ?
Cette hausse, quasi continue depuis décembre 2020, coïncide avec la reprise économique liée à la sortie de la crise du Covid-19. Durant les premiers mois de la pandémie, au printemps 2020, l'inflation était inférieure à 0,5%, soit un niveau "dramatiquement bas", assure Stéphanie Villers.
"La pandémie a eu un effet important car elle a perturbé le marché de l'offre et de la demande pour les biens et les services. On assiste depuis plusieurs mois à une réouverture de la demande et de la mobilité après une période où la consommation et la mobilité étaient contraintes", éclaire Paola Monperrus-Veroni, économiste, manager de la zone euro au Crédit Agricole. "Il y a un excès de la demande par rapport à l'offre, donc les prix augmentent."
"C'est souvent à cause de l'énergie qu'il y a de l'inflation, parce que ses prix sont les plus volatiles", note Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au sein du cabinet d'analyse BDO. Prenons l'exemple du gaz. "Nous en consommons beaucoup plus qu'en 2020 et à peu près le même niveau qu'en 2019, 2018 et 2017", rappelle la spécialiste. Sauf que, dans le même temps, la production de gaz a chuté, a expliqué la semaine passée sur franceinfo Thierry Bros, professeur à Sciences Po et spécialiste de la géopolitique de l'énergie.
Quels sont les effets de cette inflation sur ma vie quotidienne ?
La hausse des prix dans certains secteurs comme l'énergie ou l'alimentation, pour ne citer qu'eux, "affecte le pouvoir d'achat des Français", avance Anne-Laure Delatte, économiste chercheure au CNRS et autrice du podcast "Un shot d'éco". "Il faut faire attention aux ménages à bas revenus, car ce sont les plus touchés par des hausses de prix", poursuit-elle. C'est effectivement dans les foyers les plus modestes que la part des dépenses en alimentation et en énergie est la plus importante.
Face à cette situation, le gouvernement a annoncé mi-septembre une rallonge de 100 euros pour les bénéficiaires du chèque-énergie, une mesure qui concerne 5,8 millions de foyers. Jeudi, le Premier ministre a par ailleurs promis un "bouclier tarifaire" pour contrer la hausse des prix de l'énergie. Un chèque alimentaire est également à l'étude, mais sa mise en place n'interviendra "pas avant 2022", selon le gouvernement.
Est-ce que cette hausse des prix va durer ?
"L'inflation devrait se poursuivre dans les prochains mois. On table sur 4% au dernier trimestre de cette année et 3% pour le premier trimestre 2022", selon les estimations de Paola Monperrus-Veroni. En cause : l'activité économique, longtemps amorphe en raison de la crise sanitaire, qui redémarre fortement. "Ce sont des chocs temporaires sur l'offre et la demande dus au rattrapage économique. Malheureusement, le retour à la normale n'est pas pour tout de suite et on risque de subir d'autres mouvements de prix", éclaire Anne-Laure Delatte.
"Cette période d'inflation est transitoire, mais on ne sait pas combien de temps cela va durer, résume Stéphanie Villers, il faut passer la vague." L'offre et la demande pourraient toutefois se rejoindre prochainement selon Paola Monperrus-Veroni, qui table sur "une détente des tensions sur l'offre en 2022". "A l'horizon 2023, on pourrait même avoir un excès d'offre car les capacités auront été étendues et la demande se sera normalisée", anticipe-t-elle.
La France est-elle le seul pays concerné ?
La reprise étant mondiale, ce retour de l'inflation est constaté dans tous les pays. Dans la zone euro, le taux d'inflation annuel a bondi en septembre à 3,4% sur un an (PDF), au plus haut depuis 13 ans, a annoncé Eurostat vendredi 1er octobre. Depuis juin, l'inflation a progressé chaque mois dans la zone euro. Elle avait atteint 2,2% en juillet et 3% en août. En Espagne, en Allemagne ou au Royaume-Uni, l'inflation navigue autour des 4% actuellement.
De l'autre côté de l'Atlantique, l'inflation est même bien plus forte, notamment aux Etats-Unis. En juillet, les prix avaient augmenté de 5,4% sur un an. Sur l'année en cours, l'inflation devrait être plus élevée que prévu, selon la Fed (la Réserve fédérale américaine) et atteindre 4,2%. L'inflation a fortement accéléré aux Etats-Unis depuis le mois d'avril. La différence était alors énorme entre les prix du printemps 2020, qui avaient plongé sous l'effet des premiers confinements, et ceux du printemps 2021, en plein boom économique sous l'effet conjugué des aides financières versées aux ménages et de la vaccination contre le Covid-19.
Les salaires vont-ils augmenter pour compenser la hausse des prix ?
Un seul revenu est indexé sur l'inflation aujourd'hui : le smic. Les salariés qui le perçoivent touchent 34,20 euros (brut) supplémentaires depuis le 1er octobre en raison de la hausse des prix. Une hausse automatique, prévue par le Code du travail lorsque l'inflation dépasse un certain seuil. Pour les syndicats, cette revalorisation reste largement insuffisante. Mais le gouvernement n'entend pas donner de "coup de pouce" supplémentaire au salaire minimum. Et les employeurs ne sont pas tenus d'augmenter les salaires supérieurs au smic.
Fin septembre, le Premier ministre a toutefois demandé l'ouverture de négociations dans certaines branches professionnelles comme l'hôtellerie-restauration et les industries agroalimentaires. Certaines ont déjà engagé des discussions, avec des accords conclus par exemple dans le commerce de détail (hausse des salaires de 1,5% à 2% selon les niveaux de qualification).
Mais une augmentation générale des salaires "n'est pas forcément une bonne solution" pour diminuer les effets de l'inflation. "Si les salaires augmentent, les entreprises vont faire grimper leurs prix pour conserver leurs marges, cela créerait une spirale dangereuse", estime l'économiste Stéphanie Villers. Jusque dans les années 1980, les salaires en France étaient indexés sur l'inflation. Un mécanisme auquel François Mitterrand a mis fin lors du tournant de la rigueur, afin justement de lutter contre une inflation devenue incontrôlable.
L'inflation est-elle forcément une mauvaise chose pour l'économie ?
L'augmentation des prix est rarement une bonne nouvelle pour les ménages et leurs comptes en banque. "On peut légitimement comprendre qu'une famille moins aisée subisse de plein fouet la hausse du prix du gaz par exemple", acquiesce Anne-Laure Delatte. Avec le risque toujours présent de conséquences sociales, comme l'a montré l'émergence du mouvement des "gilets jaunes" en novembre 2018, en pleine flambée des prix du carburant.
Lorsqu'elle devient trop forte et incontrôlable – on parle alors d'inflation galopante – l'envolée des prix peut provoquer une grave crise économique. L'Argentine a ainsi enregistré au cours des douze derniers mois une inflation de 42,6%, après 36% en 2020 et 54% en 2019, notait en avril dernier l'hebdomadaire économique Challenges. Des hausses de prix démesurées qui "laminent le pouvoir d'achat" des Argentins, dont 42% vivent dans la pauvreté, rappelait Le Monde dans un reportage fin mai. Une situation sans commune mesure avec la situation en France et en Europe.
Mais, à l'inverse, une inflation trop basse peut être tout aussi néfaste. Jusqu'à provoquer une baisse durable des prix, aussi appelée "déflation". Les agents économiques reportent alors leurs décisions d'achat à plus tard, et c'est toute l'économie qui peut entrer en dépression.
Une "bonne" inflation est donc une inflation contenue, par exemple entre 0,5% et 2%. La Banque centrale européenne (BCE) a d'ailleurs défini comme cible à atteindre une inflation de 2%, une "marge de sécurité" qui permet de contrebalancer d'éventuels phénomènes déflationnistes dans certains pays. Par ailleurs, une inflation modérée peut s'avérer bénéfique pour les finances publiques. Car une augmentation des prix s'accompagne mécaniquement d'une augmentation du montant des taxes perçues par l'Etat. "L'inflation permet des rentrées fiscales plus élevées pour l'Etat", confirme l'économiste Julien Pinter.
Que peut-on faire si l'inflation s'envole ?
Avec une inflation de 2,1% en septembre, la France reste tout juste dans le cadre idéal fixé par la BCE, qui ne devrait pas modifier sa politique monétaire. Sa présidente, Christine Lagarde, a appelé à "prendre du recul" sur la poussée d'inflation actuelle. Jerome Powell, le patron de la Fed, pense la même chose de l'autre côté de l'Atlantique. Si cette inflation continuait à augmenter, les banques centrales pourraient en revanche remonter leurs taux d'intérêt, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la reprise économique. "Si les taux augmentent – prenons l'exemple du crédit –, un prêt coûte plus cher à rembourser, moins de ménages ou d'entreprises sont éligibles et la consommation et l'investissement ralentissent", explique Paola Monperrus-Veroni.
La BCE a déployé depuis le début de la pandémie des mesures exceptionnelles de soutien à l'économie faites de taux d'intérêt maintenus à leur plus bas historique et de rachats massifs de dettes sur le marché à hauteur actuellement d'environ 100 milliards d'euros par mois. "Si la BCE commence à prévoir une hausse générale du niveau des prix au-delà de sa cible de 2% par an, elle coupera les robinets et ce serait très problématique car notre économie tient grâce à l'argent public des plans de relance", alerte Anne-Laure Delatte.
"Si on augmente trop tôt les taux d'intérêt pour contenir l'inflation, on va couper les jambes à la croissance qui vient de repartir."
Paola Monperrus-Veroni, économisteà franceinfo
J'ai eu la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?
L'inflation, dont le taux est calculé chaque mois par l'Insee, est une hausse générale des prix sur un ensemble de biens et de produits contenus dans le panier moyen des foyers. En France, dans les pays de la zone euro ou encore aux Etats-Unis, elle est fortement repartie à la hausse depuis plusieurs mois en raison de la reprise de l'activité économique après des mois de sommeil forcé lié à la crise du Covid-19. Le prix de l'énergie a notamment considérablement grimpé. Cette augmentation a un impact direct sur les ménages, notamment les plus modestes, car elle touche leur portefeuille en faisant diminuer leur pouvoir d'achat.
Pourtant, actuellement, cette inflation ne représente pas une menace pour l'économie mondiale car elle reste maîtrisée, autour de 2%. Mieux, elle est synonyme de reprise économique. Attention toutefois à ce que cette inflation ne s'envole pas, car les Banques centrales pourraient alors intervenir en augmentant les taux d'intérêt et donc tuer dans l'œuf une reprise encore très récente et fragile. Cette solution n'est pour l'instant pas envisagée par les dirigeants des institutions économiques, qui estiment que cette inflation devrait encore durer quelques mois.
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