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Dans les anciens locaux de "Charlie Hebdo", les nouveaux locataires "font revivre" les lieux de l'attentat

Article rédigé par franceinfo - Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le panneau de la rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, mardi 27 décembre 2016. (RAPHAEL GODET / FRANCE TELEVISIONS)

Deux ans après l’attentat qui a décimé une partie de la rédaction du journal satirique, les bureaux de la rue Nicolas-Appert, à Paris, sont désormais occupés par le Groupe SOS. Ses dirigeants ont accepté d’ouvrir leurs portes à franceinfo.

Ce n’est pas vraiment un haut-le-cœur, plutôt une gêne, quelque chose de "bizarre" qui vous traverse le corps. Il y a d'abord cet escalier qu'il faut emprunter parce que l’ascenseur est en panne. Il y a ensuite ce couloir, celui du deuxième étage. Froid, très froid, le couloir. Et là, à droite, une porte d’entrée. La porte d’entrée. C’était celle de Charlie Hebdo, jusqu'à l'attentat du 7 janvier 2015. C’est aujourd’hui celle du Groupe SOS. "Beaucoup de personnes qui viennent nous voir pour la première fois sont un peu émues, doit bien reconnaître Nicolas Froissard, le vice-président de cette entreprise spécialisée dans l’économie sociale et solidaire. Moi, je m'y suis fait avec le temps".

En mars, cela fera un an que son équipe a posé ses cartons au numéro 10 de la rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, là où le journal satirique avait un temps installé ses crayons.

Bien sûr qu’il y a une charge émotionnelle quand tu entres ici. Mais regardez autour de vous, ces lieux revivent, non ?

Nicolas Froissard, vice-président du Groupe SOS

à franceinfo

Il n'y a qu'à voir ce qu'est devenue l'ancienne rédaction. C'est aujourd’hui un grand open space de 242m2. On voit des ordinateurs partout, posés sur des bureaux plus ou moins bien rangés. Des classeurs, des chemises en carton, des calepins, des agendas. Un sapin de Noël qu’il faudra bientôt penser à descendre. Sur les murs, une vieille carte de France a été punaisée. Quelques photos des équipes ont aussi été collées. Dans un coin, trône un vélo d’appartement brinquebalant, qu’un salarié a trouvé dans la rue "lors d’une soirée de boulot".

Nicolas Froissard, vice-président du Groupe SOS, à son bureau situé dans les anciens locaux du journal "Charlie Hebdo", à Paris, mardi 27 décembre 2016. (RAPHAEL GODET / FRANCE TELEVISIONS)

Des mois de réflexion sur l'avenir du lieu

La vie a repris, mais c'est pourtant là, dans ces locaux carrés, que les frères Kouachi ont abattu froidement une bonne partie de l'équipe de l'hebdomadaire, un matin de janvier 2015. Le temps de l'enquête, des expertises et des assurances, les bureaux ont été indisponibles pendant huit mois. Puis les scellés ont été retirés. Et en octobre de la même année, les ouvriers se sont mis au travail. Casser les cloisons. Boucher avec du plâtre les impacts de balles. Laver, relaver. Et repeindre, tout repeindre. Ce sera du blanc pour les murs et du gris clair pour le sol. 

"On s’est longtemps demandé ce qu’on devait faire des lieux, se rappelle Serge Contat, le directeur général de la Régie immobilière de la Ville de Paris, propriétaire de l’immeuble. Fallait-il les transformer en lieu de mémoire ? On en a discuté avec l’équipe de Charlie Hebdo, et tout le monde était d’accord pour les remettre en location. Ça s’est fait par le bouche-à-oreille. On ne voulait pas louer à n’importe qui, plutôt à une association ou une entreprise qui respecte certaines valeurs humaines. Le Groupe SOS avait le profil idéal." 

En réalité, les entreprises ne se sont pas bousculées au portillon. "Il y a eu trois ou quatre visites", affirme-t-on à la RIVP. Il n'a pourtant jamais été question de brader les tarifs pour attirer les prétendants. "Le mètre carré est à 180 euros environ, ce qui est conforme à ce qui se pratique dans cet immeuble qui date des années 1980", calcule Serge Contat.

L'entrée du 10, rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, mardi 27 décembre 2016. (RAPHAEL GODET / FRANCE TELEVISIONS)

Les travaux, "une protection entre le passé et l'avenir"

Les dirigeants du Groupe SOS cherchaient des locaux plus grands. "On voulait quelque chose pas trop loin du siège de la boîte, explique Nicolas Froissard. On a entendu dire que les anciens locaux de Charlie étaient vacants. Bon, ce n'est pas une adresse comme les autres. Mais on n'a pas réfléchi longtemps."

On s'est dit : les gars, on va se lancer un défi, celui de faire revivre ces lieux, une sorte de passage de flambeau. C'était une vraie démarche.

Nicolas Froissard, vice-président du Groupe SOS

à franceinfo

Avant de signer le bail, une discussion a eu lieu avec le reste de l’équipe. "Certains étaient un peu surpris par ce choix de locaux, se rappelle très bien Nicolas Froissard. Moi-même, lors de la toute première visite, ça m'a fait quelque chose. Après, on essaie d'y penser le moins possible." Quand ils ont récupéré les clés au début du printemps 2016, ils ont aménagé à leur manière ce grand espace entièrement vide. "Ici, à gauche, on a ajouté quelques parois pour créer des salles de réunion, montre du doigt Nicolas Froissard. Là, au milieu, c'est bonne ambiance, on se parle, on rit, on, s'interpelle, ça vit !"

Ils sont une vingtaine à travailler aujourd'hui dans les locaux du 10, rue Nicolas-Appert. Et chacun a mis plus ou moins de temps à se faire à l'endroit. "C'est humain, intervient Morgane Dereeper, la chargée de communication du groupe. Moi aussi, ça m'a un peu chamboulée au début. Il y a la plaque commémorative, accrochée à la façade du bâtiment, que je vois tous les jours." ll a aussi fallu rassurer certains proches qui ne comprenaient pas "pourquoi on allait bosser ici désormais." "Il y a eu des travaux, c’est comme une protection entre ce qui s'est passé et l'avenir."

Après l'attentat, j'ai lu les journaux comme tout le monde. Mais je ne cherche pas à me refaire le film, à me dire qu'ils sont passés par là, puis là.

Morgane Dereeper, chargée de communication du Groupe SOS

à franceinfo

"On ne donne le code de l'immeuble à personne"

Passé le temps des doutes et des hésitations, il y a aujourd'hui une "vraie fierté" de l'équipe, celle d'avoir "redonné des couleurs à l’endroit", répète Nicolas Froissard. La bande a déjà ses habitudes. Des gens y viennent pour un café, pour "se marrer un coup", ou pour parler "sérieux." Celui qui reçoit descend toujours chercher son invité en bas : "On ne donne le code d’entrée de l’immeuble à personne."

Il y a parfois des surprises, malgré tout. Des petits malins arrivent à se faufiler pour faire les curieux. "Ils cherchent dans les étages, toquent à notre porte et nous demandent : 'c’était là, Charlie Hebdo ?'", s’agace Nicolas Froissard. Pourtant, strictement rien dans les locaux ne rappelle la vie d’avant. A moins de fouiller dans les étagères et de tomber sur cet exemplaire de Charlie, celui sorti quelques jours après l’attentat, le "numéro des survivants" comme il a été surnommé, "parce qu'il y a des lecteurs ici".

Dans un meuble, entre deux livres, le "Charlie Hebdo" sorti quelques jours après l'attentat de janvier 2015. (RAPHAEL GODET / FRANCE TELEVISIONS)

Dans l'immeuble, comme sur le trottoir d'en face, tout le monde semble "ravi" de savoir "les lieux de nouveau en activité." Christophe Segura, le directeur de la Comédie Bastille, est persuadé que "ça va faire du bien à la rue Nicolas-Appert" : "Il ne fallait pas que ça devienne un sanctuaire." Il est d'ailleurs en ce moment en pourparlers avec la mairie pour "dynamiser encore plus cette rue qui a trop souffert". Pour autant, "pas question de faire n'importe quoi" avec les lieux, prévient Nicolas Froissard. "On n'acceptera pas tout, on est plus vigilants." Voilà pourquoi vous ne verrez pas de plan large des locaux du Groupe SOS, "question de respect par rapport à ce qui s'est passé ici." 

Le Groupe SOS reçoit parfois la visite de personnes proches des victimes de l'attentat, bouquets de fleurs à la main, qui veulent se recueillir : "On leur ouvre la porte et on les laisse faire, c'est leur histoire, pas la nôtre." Jusque-là, aucun membre de Charlie Hebdo, dont la rédaction est aujourd'hui installée dans des locaux ultra-sécurisés dans le sud de Paris, n'est venue partager un café avec les équipes de Nicolas Froissard. "Si un jour, ils en ont envie, ils seront évidemment les bienvenus."

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