: Vidéo Menaces de mort sur internet : "Il faut que la peur change de camp, que cette impunité cesse", estime Zineb El Rhazoui
Cette ancienne journaliste de "Charlie Hebdo" reçoit quotidiennement des messages haineux. Elle a assisté mercredi au procès d'un jeune homme, qui avait proféré des menaces de mort sur Twitter contre elle.
"Il faut que la peur change de camp, il faut que justice se fasse, il faut que cette impunité cesse", a déclaré jeudi 4 juillet sur franceinfo Zineb El Rhazoui, ex-journaliste de Charlie Hebdo, après le procès mercredi d'un jeune étudiant en école de commerce de 20 ans qui a proféré des menaces de mort contre elle. Le procureur a requis contre lui huit mois de prison avec sursis, le jugement sera rendu le 10 juillet.
franceinfo : Combien de menaces de mort avez-vous reçu après cette émission sur CNews où vous avez dit que "l'islam doit se soumettre aux lois de la République, à l'humour, à la raison à la critique (…) comme toutes les autres religions" ?
Zineb El Rhazoui : D'innombrables menaces de morts, des milliers de commentaires dont beaucoup étaient des commentaires insultants à contenu raciste, voire des menaces caractérisées de mort comme celles qui ont été évoquées lors du procès qui s'est tenu hier [mercredi 3 juillet]. Vous savez, ceux qui profèrent des contenus de haine sur les réseaux sociaux ne brillent pas par leur courage. On peut me reprocher mes propos ou pas, mais je les tiens la tête haute, à visage découvert, sous ma vraie identité, ce qui n'est pas le cas de ceux qui me menacent. Si ces personnes sont en France, il est possible de parvenir jusqu'à elles.
Vous avez assisté au procès mercredi de cet étudiant de 20 ans, qui avait écrit sur Twitter "j'ai envie de lui mettre 46 boulets dans son crâne". Vouliez-vous voir son visage ?
Oui j'avais envie de voir le visage de la haine, le visage de la bêtise, le visage de ce qu'est un cyber-défenseur de l'islam, à quoi ça ressemble. Ce n'est ni un 'Abou Qatada' avec sabre et barbe hirsute, ni quelqu'un qui serait en turban et en kalachnikov. Non, c'est un jeune, avec boucle d'oreille et costume. Il a expliqué que ce n'était rien du tout et qu'il était choqué par mes propos qui, je le rappelle, ne critiquaient même pas l'islam mais qu'il fallait pouvoir le critiquer normalement en France. Ces propos l'ont choqué au point de lui donner envie de me mettre 46 balles dans la tête. Il a expliqué qu'il disait ça à son petit frère, que ce n'était rien du tout.
À aucun moment il ne s'est excusé. Il a dit qu'il les avait retirés parce que cela nuirait un jour à son ambition professionnelle qui est celle de devenir commissaire aux comptes. Je pense qu'il faut aussi frapper ces gens au porte-monnaie, il faut que ça leur coûte un peu de proférer des choses comme ça, de badiner avec la vie des autres, badiner avec la sécurité d'autrui, ce sont des gens qui ne se rendent pas compte que de tels propos peuvent briser la vie de quelqu'un. Donc j'estime qu'il faut que ça leur coûte un peu au portefeuille. Peut-être que ça leur dissuaderait dans l'avenir de tenir des propos pareils.
Il y a une forme d'impunité sur les réseaux sociaux. À quoi l'attribuez-vous ?
Je l'attribue à une difficulté, voire une impossibilité souvent pour la police de trouver l'identité de ceux qui profèrent des menaces de mort. Mais c'est la première fois en presque cinq ans de menaces cycliques, régulières, que j'arrive enfin à parvenir à quelqu'un, à un visage, un nom, un individu. Généralement, toutes les plaintes que j'ai pu porter par le passé sont restées lettres mortes. Ce procès qui a eu lieu hier n'est que le début d'une série de procès, il y en aura cinq autres et même plus dans l'avenir, je l'espère en tout cas.
Je pense qu'il faut que la peur change de camp, il faut que justice se fasse, il faut que cette impunité cesse et pour que l'impunité cesse, il faut mettre en place des dispositifs juridiques, des moyens de travail pour la police qui ne sont pas à la hauteur aujourd'hui. Lorsque je vois la loi Avia qui est en cours à l'Assemblée nationale, mon Dieu, cette loi ne règlera rien, elle risque de compliquer davantage les choses pour nous, les personnes qui font face à ce problème, mais aussi pour la police qui doit enquêter, c'est une catastrophe si ces contenus sont retirés sous 24 heures. Comment voulez-vous qu'on remonte aux auteurs de ces contenus qui ont été supprimés ? Je reçois parfois plus de cent messages par jour dont une partie de messages haineux, il y a des messages d'octobre/novembre que je n'ai toujours pas eus, le temps de consulter, on peut mettre parfois plus de 24 heures à consulter son compte. Or si ces propos ont été effacés, cette loi, comme je l'ai dit à madame Laetitia Avia [députée LREM de Paris] contribuera à invisibiliser les propos haineux, mais en aucun cas à remonter à leurs auteurs et à les poursuivre.
Vous vivez depuis des années sous protection policière. Comment vit-on avec cette menace ?
C'est la conséquence directe des propos haineux sur internet. On vit sous la menace, on s'adapte, mais on ne s'habitue pas. Personnellement, je ne m'habituerai jamais en tant que Française à vivre au cœur de Paris accompagnée d'hommes armés. Ces hommes armés, qui, si les choses étaient bien faites dans ce pays, devraient plutôt aller faire la guerre aux méchants plutôt que d'accompagner une honnête dame comme moi qui n'ai jamais fait de mal à personne dans une émission de radio où personne ne devrait absolument rien risquer.
Il faut croire que ma personne irrite, mon combat irrite, je trouve cela extrêmement grave et inquiétant qu'on reçoive des menaces de mort parce que simplement on dit que l'islam, comme toutes les autres religions, doit être critiqué. Je continue à me battre pour le droit à critiquer toutes les religions que j'ai envie de critiquer.
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