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Grève à Europe 1 : on vous explique pourquoi la rédaction et la direction ne sont pas sur la même longueur d'onde

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le siège d'Europe 1 et de plusieurs autres rédactions du groupe Lagardère, à Paris, le 11 septembre 2020. (MAXPPP)

Outre la grève, les syndicats se sont exprimés dans une tribune, jeudi, dans laquelle ils expriment leur refus de devenir "un média d'opinion", sur fond de malaise grandissant au sein de la station.

Europe 1 s'enfonce dans la tourmente. Une partie des salariés de la radio a voté une grève, vendredi 18 juin, pour protester contre la convocation d'un journaliste à un entretien qui pourrait déboucher sur un licenciement. Le mouvement, voté en assemblée générale, durera au moins jusqu'à lundi, et peut-être au-delà. Samedi 19 juin, les programmes de la radio ont cependant été diffusés avec peu de perturbations. La grève a été reconduite en assemblée générale, mardi, pour un cinquième jour consécutif.

Si cette procédure disciplinaire a été l'élément déclencheur de cette grève, elle intervient dans un contexte plus large : les craintes, au sein de la station, d'une prise de contrôle par Vincent Bolloré, milliardaire propriétaire de médias, et d'un virage éditorial calqué sur celui de CNews. Franceinfo vous explique les sources de ce mouvement de colère.

Un journaliste convoqué après un accrochage en AG

La grève a été votée vendredi en assemblée générale. Sur les 95 salariés qui se sont prononcés, 84 se sont dits favorables à la grève. Celle-ci "vise à obtenir de la direction d'Europe 1 l'annulation de la procédure disciplinaire engagée" contre un journaliste de la station, selon le courrier interne de l'intersyndicale et du bureau de la Société des rédacteurs (SDR). Mis à pied jeudi, il est "convoqué pour un entretien préalable" pouvant "aller jusqu'au licenciement", a expliqué à l'AFP Olivier Samain, délégué syndical SNJ.

L'intéressé avait pris à parti verbalement une employée des ressources humaines lors d'une précédente assemblée générale, mercredi. Il l'avait surprise "en train d'enregistrer les propos", laissant craindre qu'ils soient transmis à la direction, explique Olivier Samain, qui assure que ses propos étaient "véhéments" mais pas "insultants".

Une source interne anonyme citée par l'AFP affirme que la direction reproche également à ce journaliste d'autres comportements antérieurs, et que la procédure disciplinaire est maintenue malgré la grève. 

Une humoriste dénonce une censure

Alors que la rédaction votait cette grève, Christine Berrou, une humoriste de la station, a jeté un pavé dans la mare, vendredi après-midi. Sur Twitter, elle a publié une capture d'écran d'un message dans lequel un responsable d'Europe 1 (le nom est flouté) lui enjoint de "retirer cette allusion à Zemmour". Dans sa réponse, la chroniqueuse de la matinale du week-end de la radio, et autrice pour Anne Roumanoff, annonce sa démission : "Ce qui se passe est grave. (...) Là où la liberté d'expression n'a pas sa place, je n'ai pas ma place non plus."

Dans une interview à Télérama, Christine Berrou explique que la blague visée portait sur la Fête des pères. Elle y imaginait un enseignant peinant à trouver une idée de cadeau convenant à tous les parents d'élèves : "Bon alors on va dessiner des bonshommes qui sourient ! Non, mon papa, c'est Eric Zemmour, il aime pas les gens heureux.”

Elle assure que Pierre de Vilno, l'animateur de la matinale à laquelle se destinait sa chronique, l'a "mise en garde" de possibles répercussions, "en [lui] expliquant que la semaine dernière, un journaliste a été convoqué par la direction pour un lancement envoyant une petite pique à Eric Zemmour". Avant de recevoir le message dévoilé sur Twitter.

Télérama affirme qu'Europe 1 a choisi de ne pas commenter les affirmations de Christine Berrou.

Des synergies dévoilées avec la chaîne d'information CNews

Dans leur communiqué, l'intersyndicale et la SDR voient aussi dans la procédure disciplinaire la "dernière illustration en date d'un management autoritaire et inadapté à l'œuvre à Europe 1". Une allusion aux craintes d'une importation, au sein de la radio, du management observé à Canal+ et à CNews (ex-iTélé), sous le contrôle de Vincent Bolloré. Mais c'est aussi sur le plan éditorial que la rédaction d'Europe 1 craint de se rapprocher de CNews, une chaîne marquée "par un activisme politique fortement ancré à droite, voire parfois à l'extrême droite". "Nous refusons de devenir un média d'opinion", clament la SDR et l'intersyndicale de la radio dans une tribune publiée jeudi par Le Monde (article réservé aux abonnés), s'inquiétant de "la mise à l’écart de voix 'maison' et de leur probable remplacement par des nouveaux venus 'vus sur CNews'".

La direction d'Europe 1 a annoncé vouloir développer des synergies avec la chaîne d'info, alors que Vivendi, le conglomérat dirigé par Bolloré, est devenu premier actionnaire du groupe Lagardère. Dans les colonnes du Figaro (abonnés), Arnaud Lagardère a annoncé que Laurence Ferrari, issue de CNews, s'installera fin août dans les studios d'Europe 1 pour animer son émission pour la chaîne télévisée, de 17 à 18 heures. Suivra une tranche d'information commune à CNews et Europe 1 jusqu'à 19 heures, avant de continuer jusqu'à 20 heures uniquement sur la radio.

Arnaud Lagardère a également confirmé l'arrivée à la matinale de Dimitri Pavlenko, intervenant régulier de "Face à l'info" aux côtés d'Eric Zemmour sur CNews. Le journaliste de Radio Classique prendra la place de Matthieu Belliard. Le "Grand rendez-vous" politique du dimanche d'Europe 1, en partenariat avec CNews et Les Echos, sera repris par Sonia Mabrouk, déjà aux manettes de l'interview politique matinale. Cette figure de CNews remplacera ainsi Michaël Darmon, également démis de ses fonctions de chef du service politique au profit de son adjoint Louis de Raguenel, transfuge du magazine Valeurs actuelles et dont le recrutement avait provoqué un tollé en interne à la rentrée 2020.

Par ailleurs, s'il n'est pas directement la cause de la grève, le climat au sein d'Europe 1 est aussi marqué par une procédure de rupture conventionnelle collective. Engagée au printemps, elle vise à supprimer une quarantaine de postes et redresser les comptes de la radio, qui souffre de la chute de son audience.

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