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Réforme des retraites : comment le gouvernement a entretenu le flou sur la "pension minimum" à 1 200 euros

L'exécutif a largement communiqué sur la revalorisation des petites pensions prévue dans son projet de réforme des retraites. Jusqu'à, parfois, être confus sur le nombre de personnes effectivement concernées et les conditions à remplir.
Article rédigé par franceinfo
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Le ministre du Travail Olivier Dussopt, la Première ministre Elisabeth Borne, le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, Franck Riester, et le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à l'Assemblée nationale, le 3 novembre 2022. (ALAIN JOCARD / AFP)

Ce devait être la carotte pour compenser le bâton. Alors qu'il demande aux Français de travailler plus longtemps dans le cadre de la réforme des retraites, le gouvernement fait grand bruit de la revalorisation à 1 200 euros brut par mois de la pension dite "minimum", "minimale" ou "plancher". Pourtant, comme l'ont rappelé de nombreux médias, dont franceinfo, tous les retraités actuels et futurs à la pension aujourd'hui inférieure à 1 200 euros n'atteindront pas, après la réforme, le palier tant espéré. Cette somme est réservée à ceux qui ont eu une carrière complète, à temps plein, et qui ont toujours gagné un salaire proche du smic.

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Exit, donc, les travailleurs aux carrières hachées ou ayant travaillé à temps partiel, pourtant nombreux parmi les petites pensions. Certains retraités ayant travaillé toute leur vie pourront par ailleurs toucher moins de 1 200 euros, puisque ce montant est calculé en intégrant la retraite complémentaire, qui n'est pas aussi généreuse selon le régime auquel est affilié l'assuré, comme le rappelle l'Institut des politiques publiques dans une note de blog publiée le 9 février.

Ces précisions ont souvent été absentes des prises de parole publiques des membres du gouvernement, avant que ces derniers ne mettent cartes sur table, ces derniers jours, face à l'incompréhension générale. Voici quelques exemples des omissions et des erreurs commises ces deux derniers mois à ce sujet.

En parlant de 1 200 euros net... et non brut

"L'objectif est qu'avec une carrière complète, personne ne parte en retraite avec moins de 1 200 euros net par mois, soit 85% du smic", détaille le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, Franck Riester, dans Sud Ouest (article réservé aux abonnés) le 9 décembre 2022. Contrairement à ce qui est rapporté, la réforme prévoit que la revalorisation des pensions atteigne, au maximum, 1 200 euros brut, et non net, desquels doit notamment être soustraite la contribution sociale généralisée (CSG). 

La confusion entre montant brut et montant net est aussi entretenue par d'autres membres de l'exécutif. Lors de sa présentation de la réforme aux Français, le 10 janvier, la Première ministre Elisabeth Borne vante ainsi ceux qui "partiront désormais avec une pension de 85% du smic net, soit une augmentation de 100 euros par mois. C'est près de 1 200 euros par mois dès cette année". Or, les 1 200 euros de pension et les 100 euros de revalorisation maximum, sont des montants bruts. Mais ils sont sans cesse comparés à un autre montant – 85% du smic – qui, lui, est exprimé en net... ce qui nourrit la confusion.

En étant imprécis sur le nombre de retraités concernés par la revalorisation maximale

Lors de la conférence de présentation de la réforme, le 10 janvier, Olivier Dussopt n'hésite pas à parler de "pension minimale", "pension minimum" et "retraite minimum" pour évoquer ce qui est, en fait, la revalorisation de certaines petites pensions. Surtout, la formulation employée par le ministre du Travail laisse planer le doute sur le nombre de retraités concernés par cette mesure. Voici ce qu'il dit : "Nous allons revaloriser dès le mois de septembre 2023 de 100 euros par mois les retraites les plus basses, pour atteindre ainsi près de 1 200 euros par mois pour une carrière complète cotisée au smic. Cette mesure, la ministre l'a dit aussi, sera indexée pour que, mois après mois, année après année, ce départ avec au moins 85% du smic soit garanti aux salariés qui demanderont la liquidation de leurs droits. Ce sont près de 200 000 nouveaux retraités qui en bénéficieront chaque année, soit un retraité sur quatre."

Le ministre du Travail rappelle bien, ici, que les 1 200 euros sont réservés à ceux qui ont "une carrière complète cotisée au smic". En revanche, contrairement à ce qu'il laisse entendre, "200 000 nouveaux retraités" n'en bénéficieront pas. Selon l'étude d'impact du projet de loi (document PDF), "entre 180 000 et 200 000" nouveaux retraités, chaque année, verront bien leur pension revalorisée par rapport aux règles actuelles. Mais "moins de 10% des nouveaux retraités sont potentiellement concernés par l'augmentation maximale de 100 euros", estime l'Institut de politiques publiques. Selon l'étude d'impact, les futurs retraités gagneront, en moyenne, 33,50 euros brut par mois en plus (pour la génération 1962, prise en exemple dans l'étude d'impact). Un progrès certes, mais loin de la centaine d'euros mise en avant par Olivier Dussopt ici.

Notons que le ministre du Travail est d'ailleurs familier du flou à ce sujet. Le 15 janvier, dans l'émission "Questions politiques" sur franceinfo, France Inter et Le Monde, Olivier Dussopt répète ainsi : "Il y a à peu près 1,7 à 1,8 million de personnes qui vont bénéficier de la revalorisation avec ce que nous voulons faire, en termes de garantie de 85% du smic pour une carrière complète". Si 1,8 million de retraités actuels "bénéficieront ainsi d'une augmentation de leur pension", selon l'étude d'impact du projet de loi, le gain moyen pour eux sera en réalité de 56,50 euros par mois. 

En s'emmêlant les pinceaux sur les modalités

Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, commet une suite d'erreurs lors de son intervention sur franceinfo le 11 janvier, au lendemain des annonces d'Elisabeth Borne. "Le minimum de pension va être augmenté, en moyenne, de 100 euros par mois" assure-t-il. Or, il s'agit du montant maximum, le montant moyen supplémentaire étant en réalité beaucoup plus faible (cf point précédent). 

"Deux millions de retraités actuels, qui ont une retraite inférieure à 1 200 euros par mois, verront leur retraite majorée à 1 200 euros par mois", poursuit l'ex-ministre de la Santé, qui mentionne ensuite les "200 000 nouveaux retraités" qui pourront aussi bénéficier de cette mesure chaque année. Les lecteurs avertis ont désormais compris qu'il s'agit du nombre de personnes qui vont être concernées par une revalorisation, quel que soit son montant, et non ceux qui pourront prétendre à une pension de 1 200 euros.

Combien de retraités pourront effectivement toucher 1 200 euros ? Sur ce point, le gouvernement reste silencieux. "Vous dire que ça représente 10 000, 20 000, 30 000 personnes, je ne le sais pas, parce que ça va changer chaque année, en fonction des carrières des personnes concernées", justifiait ainsi Olivier Dussopt sur France Inter, le 8 février. 

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