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Reportage Envahissement d'Euronext : les opposants à la réforme des retraites décidés à franchir "une nouvelle étape" de la mobilisation

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Des opposants à la réforme des retraites manifestent à La Défense, près de Paris, le 20 avril 2023. (CLAIRE SERIE / HANS LUCAS / AFP)
Ils ont fait grève et défilé dans les rues pour s'opposer au projet loi. Face à ce qu'ils considèrent comme un entêtement illégitime de l'exécutif, ces manifestants ont désormais décidé d'envahir, pacifiquement, le siège de grandes entreprises.

"On y va !" Surgissant du tunnel où elles s'étaient abritées, quelque 300 personnes s'élancent vers le siège d'Euronext, qui détient notamment la Bourse de Paris, dans le quartier d'affaires de La Défense (Hauts-de-Seine), jeudi 20 avril. Après s'être introduits dans le hall, munis de fumigènes rouges, les manifestants entonnent pendant plusieurs minutes le chant "On est là, même si Macron ne veut pas, nous, on est là !", popularisé par les "gilets jaunes" et devenu l'un des emblèmes sonores de l'opposition à la réforme des retraites.

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Certains d'entre eux montent ensuite dans les étages, où ils défilent en chantant, tandis que d'autres, restés dehors, collent en lettres vertes sur la façade du bâtiment leur message : "Le CAC40 à la caisse pour payer nos retraites." L'action ne dure au total qu'une quinzaine de minutes, avant que les manifestants ne quittent les lieux, sans casse.

"C'est une action symbolique pour montrer que l'argent pour financer les retraites existe, et qu'il faut aller le chercher", détaille Emmanuel Marchand. Ce délégué Sud-Rail regrette que "certains secteurs comme les routiers ou l'Education nationale n'aient pas suivi le durcissement du mouvement " avant l'adoption de la réforme. En dépit de la promulgation du texte, il veut "se faire entendre médiatiquement pour que les Français comprennent qu'il faut se bouger".

Cette "nouvelle étape" du mouvement tient en quelques mots : "Pourrir la vie du gouvernement". "On manifeste, on vote, on signe des pétitions, mais ça n'est pas suffisant… On voit bien que la désobéissance civile a plus d'impact, même si on ne fait pas ce type d'actions de gaieté de cœur, justifie Cyril, 23 ans, militant du mouvement écologiste Dernière Rénovation. Ce sont les gouvernants qui dictent le niveau d'engagement des gouvernés." "On ne peut pas tout attendre des grandes journées de mobilisation de l'intersyndicale, même si elles sont nécessaires", renchérit Marion, vendeuse à la Fnac. 

"Le 1er mai, c'est loin, il faut des actions ponctuelles pour rappeler que les gens ne sont pas rentrés à la maison."

Marion, vendeuse à la Fnac

à franceinfo

"Le CPE avait été promulgué sans être appliqué", rappelle-t-elle aussi. Pour que la réforme des retraites connaisse le même destin, "il n'y aura pas d'apaisement pendant 100 jours, ni même 500", assure la trentenaire, en référence à la période mentionnée par Emmanuel Macron dans son allocution du 17 avril. "Il faut qu'on soit tous dans la rue, il faut les 'bordéliser', que ça soit par des manifestations, des grèves, des concerts de casseroles ou des cassages de banques", lance aussi Sana, apprentie libraire, qui refuse de condamner les actions violentes, même si elle ne souhaite pas y participer. "L'important est de ne pas se diviser", justifie-t-elle.

Un président jugé "hautain et méprisant"

Alors que le mouvement dure, la liste des demandes s'allonge. Beaucoup ici ont des revendications sectorielles, liées à leurs conditions de travail. "On décharge des cartons de livres, on pousse des chariots toute la journée, c'est physique... Même un mois de travail en plus avant la retraite, c'est trop", avance Laurence*, magasinière à la Bibliothèque nationale de France. Outre l'abandon de la réforme, elle réclame "l'égalité de salaire entre hommes et femmes", "la titularisation des personnels précaires" dans le monde de la culture, et "l'embauche massive" dans les services publics. 

La lutte des opposants concerne désormais plus largement la question économique et sociale. "On veut que les salaires soient indexés sur l'inflation", martèle William, 39 ans, professeur des écoles. "Comment répartir les richesses, surtout en période d'inflation ? Comment financer notre modèle social ?", s'interroge Emmanuel Marchand. "On manifeste contre une vision du monde productiviste et destructrice de la nature", confirme Cyril, le militant écologiste.

Le siège de l'entreprise Euronext, envahie par quelque 300 manifestants contre la réforme des retraites, le 20 avril 2023 à Paris. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

Parmi les manifestants, certains assurent aussi être venus pour défendre leur "dignité". "Ce n'est plus seulement la réforme le problème, il faudrait que Macron dégage", juge Brian, conducteur du RER D de 36 ans, qui trouve le président "hautain et méprisant". D'autres, qui partagent le sentiment d'avoir été "méprisés", estiment néanmoins que le départ du chef de l'Etat n'y changerait rien. "Emmanuel Macron représente l'élite des financiers, mais s'il n'était plus là, quelqu'un d'autre le remplacerait", estime Yasmina, chercheuse chez EDF.

Nombreux considèrent que la "répression" des cortèges a révélé une "ambiance inquiétante". "L'expression populaire n'a plus de place, et c'est un danger pour la démocratie", analyse Yasmina. Après plus de trois mois de lutte, plusieurs manifestants confient être "fatigués", ou concèdent que le coût financier est important, en dépit des chèques des caisses de grève attendus ces prochaines semaines. Pour autant, tous assurent qu'ils continueront de se mobiliser : "Si on ne se bat pas maintenant, il sera trop tard", lâche William. 

* Le prénom a été modifié à la demande de la personne interrogée.

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