: Témoignages Des seniors proches de la retraite pestent contre la réforme : "C'est violent de prendre six mois de plus à neuf mois du départ"
Ils se pensaient proches de la retraite, mais ils vont être amenés à cotiser entre un et trois trimestres supplémentaires. Tous les Français nés après le 31 août 1961 sont concernés par la réforme des retraites, mais pour ceux nés entre 1961 et 1966, la nouvelle est difficile à digérer. Non seulement le gouvernement prévoit de reculer l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, mais il souhaite aussi une accélération de l'allongement de la durée de cotisation.
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Certains actifs en fin de carrière avaient commencé à préparer activement leur retraite, mais ils vont devoir retarder ce départ. Signe d'une inquiétude teintée de colère, franceinfo a ainsi reçu, en quelques heures, près de 600 réponses à son appel à témoignages sur le sujet. Voici l'histoire de huit seniors affectés par la réforme des retraites.
Michel, 58 ans, ouvrier : "J'ai un sentiment d'injustice"
"Je vais être obligé de faire deux trimestres supplémentaires", constate Michel, ouvrier dans une usine de l'industrie pharmaceutique, près de Pau (Pyrénées-Atlantiques). "Normalement, j'aurais dû partir le 1er août 2024, j'avais les papiers de la retraite avec mes 169 trimestres [pour une retraite à taux plein]." Ayant commencé à 18 ans, il va pouvoir bénéficier du dispositif "carrières longues", mais va quand même devoir cotiser 171 trimestres. "Je pense que je vais les faire. Avec une retraite de 1 650 euros net par mois, je ne peux pas subir de décote."
Michel exerce une activité qui demande beaucoup de manutention. Le travail use son corps et surtout son dos. Mais le plus difficile, ce sont les 5x8, cette organisation du travail qui consiste à faire tourner par roulements de huit heures consécutives cinq équipes sur un même poste, de jour et de nuit. "Je pense être en bonne santé, mais je ressens de plus en plus les horaires décalés sur le sommeil", témoigne-t-il.
"Le simple fait d'aller au travail est devenu pénible. Avoir les chefs sur le dos, la fatigue, l'usure psychologique…"
Michel, ouvrier de 58 ansà franceinfo
"J'avais fait plein de démarches et il me tardait de partir, de passer enfin à autre chose. Et puis voilà, il va falloir attendre. C'est pénible de se dire qu'à un an de la retraite, on ne peut pas savoir quand on va pouvoir partir. J'ai un sentiment d'injustice par rapport à mon corps de métier."
Isabelle, 59 ans, demandeuse d'emploi : "Je me sens trahie"
"Personne ne parle des chômeurs en fin de droits qui vont devoir attendre encore plus longtemps pour prétendre à leur retraite", se désole Isabelle. Ancienne directrice d'un centre d'apprentissage, cette demandeuse d'emploi de 59 ans a été licenciée pour burn-out en 2017 et s'est retrouvée en fin de droits en juillet dernier. "Je devais être en retraite en mars 2024, mais là il va falloir recalculer. Si cela fait six mois de plus, c'est compliqué", s'inquiète-t-elle. Née en 1962, Isabelle voit effectivement son âge de départ à la retraite repoussé à 62 ans et six mois.
"Je ne trouve pas ça équitable, pas logique."
Isabelle, chômeuse de 59 ansà franceinfo
Habitante de Haute-Savoie, elle a tenté de retrouver du travail ces dernières années, sans succès. "J'ai même traversé la France. Mais la réalité, c'est qu'à un certain âge, au chômage, c'est hyper compliqué. Vous ne retrouvez pas de boulot, puis vous commencez à douter, à perdre confiance." Pour elle, le report de l'âge légal est donc synonyme d'une augmentation de la précarité. "Financièrement, mon mari est en retraite depuis moins d'un an et j'ai un petit peu de réserve, mais ça fond comme neige au soleil."
Aujourd'hui, Isabelle est en colère. "J'ai écouté Olivier Véran sur franceinfo ce matin et une personne l'a questionné sur ma problématique. Il a répondu qu'il ne pouvait pas répondre et que cela constituait une minorité ! s'agace-t-elle. Je suis désespérée, ce n'est pas possible ce mépris. J'étais parmi les premières à adhérer à La République en marche, j'ai même financé la campagne de Macron. Je me sens trahie. Pour la première fois de ma vie, à 61 ans, je vais aller manifester le 19 janvier."
Jean, 59 ans, assistant social : "Je n'ai pas envie d'arriver à la retraite à moitié mort"
"Cela ressemble à une course de vélo où vous seriez bientôt arrivé et on vous rajoute un kilomètre. On en a plein les jambes !" Jean est assistant social dans le Nord et ressent "l'usure psychologique" de son métier. Né en 1963, il va devoir cotiser deux trimestres supplémentaires, après la mise en application de la réforme. "Je risque de ne plus avoir la force ou l'envie nécessaire pour pratiquer correctement ce métier anxiogène jusqu'à 66 ou 67 ans, date à laquelle j'aurais mes années de cotisation." Il craint de faire des erreurs. "J'ai peur de ne plus être en capacité, de ne plus être suffisamment en forme psychologiquement pour être à l'écoute", explique-t-il. "Quand le métier est plaisant, ça va. Mais la situation se dégrade. Mon N+2 s'est quand même suicidé l'an dernier..."
"J'ai un métier formidable. Mais actuellement, j'ai un boulot de con."
Jean, assistant social de 59 ansà franceinfo
Jean réfléchit donc à diverses solutions. "Je commence à ressentir de la fatigue, donc je pense que je partirai avec une décote. Ensuite, évidemment, ça dépend de la décote. Physiquement, ça tient. Mais j'aimerais faire plein de choses, avoir un retraite active, faire un trek au Népal... Je n'ai pas envie d'arriver à la retraite cassé et aigri, à moitié mort."
Michel, 58 ans, auto-entrepreneur : "J'en ai vraiment marre"
Michel a eu plusieurs vies. "A 17 ans, j'ai eu mon CAP et j'ai directement été embauché à l'usine, en Lorraine. J'agglomérais du minerai de fer avec du charbon, j'en ai bouffé des kilos de poussière", se souvient-il. Aujourd'hui, après différentes expériences comme bûcheron et préparateur de commandes, il est auto-entrepreneur dans le bâtiment, en Bretagne. "C'est hyper dur, mes comptes sont à zéro. Un chantier que je décroche me remet à flot, mais ça ne dure pas."
"Je ne m'enrichis pas, je subsiste."
Michel, entrepreneur dans le bâtiment de 58 ansà franceinfo
"J'en ai un peu plein le cul pour être clair, j'en ai vraiment marre." Né en 1964, Michel avait prévu de partir à la retraite en juin 2026, à 62 ans, avec 1 080 euros brut pour sa pension, car sa carrière hachée ne lui permet pas de bénéficier du dispositif "carrières longues".
Avec le recul progressif de l'âge légal, il devrait théoriquement travailler jusqu'à 63 ans. "On va nous fatiguer un an de plus ? Et dans quel état on va être à la retraite ? J'ai déjà de l'arthrose cervicale, ça me brûle de partout dans le dos, s'exaspère-t-il. Bon, je veux bien faire un an de plus, s'il y a le minimum décent... Et encore : qu'est-ce qu'on fait avec 1 200 euros quand on voit le prix de l'essence et l'inflation ?"
Eric, 59 ans, directeur marketing : "C'est une désillusion"
Après les annonces d'Elisabeth Borne, Eric est allé vérifier sur l'outil de simulation mis en ligne à la demande du gouvernement. "C'est une grosse déception, une désillusion", souffle ce directeur marketing dans l'électronique. Grâce à ses neuf trimestres cotisés avant ses 20 ans lui permettant de prétendre au dispositif "carrières longues", Eric avait prévu de faire valoir ses droits à la retraite le 1er octobre prochain. Mais comme il est né en avril 1963, il est concerné par la réforme et va devoir cotiser 170 trimestres au lieu de 168. "Prendre six mois supplémentaires à neuf mois de partir, c'est violent."
"Dis comme ça, six mois de plus, ça ne paraît rien. Mais quand on est en train de préparer un changement de vie, c'est vraiment brutal."
Eric, directeur marketing de 59 ansà franceinfo
Eric et sa femme, qui vivent à Aix-en-Provence avec leurs deux enfants, avaient déjà tout prévu pour leur nouvelle vie, avec comme première étape de rêve : Bali et les Philippines. "On a prévu de partir à l'étranger en itinérance, moitié en voilier, moitié en sac à dos. On commençait à réfléchir à vider la maison pour la mettre en location, à contacter les agences... C'est tout un projet de vie qui se met en place."
Il réfléchit désormais au fait d'accepter une possible décote sur le montant de sa retraite, car il a envie de passer à autre chose. "Je ne suis pas cassé par mon travail, mais je n'ai plus envie", raconte cet ancien ingénieur reconverti dans le marketing. "Petit à petit, on vous met dans une voie de garage. Et là, je n'ai plus la niaque, j'ai moins d'envie, moins d'intérêt pour l'entreprise."
Sophie, 56 ans, cadre commercial : "Je vais prendre une décote"
Née fin janvier 1966, Sophie fait partie de la génération qui va devoir cotiser trois trimestres supplémentaires avec la réforme (172 au lieu de 169) pour avoir une retraite à taux plein. Cette cadre commerciale a commencé à travailler un peu avant ses 19 ans, mais n'a pas fait suffisamment de trimestres pour bénéficier du dispositif "carrières longues". "Avec l'ancienne formule, je pouvais partir à 62 ans et demi à taux plein. Tant pis, je vais prendre une décote. Je vois énormément de gens qui sont épuisés, en burn-out, qui font des AVC, des crises cardiaques... Donc je vais perdre certainement un peu de pension, mais c'est aussi pour profiter de mon mari, qui est déjà à la retraite."
"Je la trouve quand même très mal faite cette réforme."
Sophie, cadre commercial de 56 ansà franceinfo
Mère de trois enfants, Sophie est commerciale pour des produits manufacturés et passe beaucoup de temps dans sa voiture. "J'habite le Maine-et-Loire, mais j'interviens sur un secteur très étendu, du Grand Ouest jusqu'au Sud-Ouest, explique-t-elle. Même si je suis en pleine forme, je fais beaucoup de kilomètres. Les journées commencent à 5-6 heures et peuvent se terminer vers 19-20 heures. Bref, je ne me vois pas faire ça jusqu'à 64 ans." Et de conclure : "Et encore, j'aime bien ce que je fais..."
Nicolas*, 61 ans, cadre dans le privé : "La vie, ce n'est pas que le travail"
Né en octobre 1961, Nicolas fait partie de cette fameuse "génération 61", la première concernée par la réforme. A deux mois près, il va donc devoir cotiser un trimestre supplémentaire. "Je trouve que de l'annoncer si peu de temps avant, c'est raide", s'agace ce consultant pour une grande entreprise du CAC 40. Avant la réforme, Nicolas pouvait partir le 1er avril 2027, à 65 ans, à taux plein. Désormais, il sait qu'il va devoir cotiser trois mois de plus. "Honnêtement, 4 ans et demi à travailler, je ne le sens pas du tout", avoue-t-il.
"Si je pouvais partir demain matin, je le ferais. J'ai beaucoup bossé, j'ai donné et là, j'ai un peu envie de faire autre chose."
Nicolas, cadre de 61 ansà franceinfo
Pour changer de vie plus rapidement, il s'est déjà lancé dans le rachat de cinq trimestres. "Mais j'attends leur réponse. lls sont un peu longs à la détente. Et puis ce n'est pas donné." Ce père de famille de deux grands enfants souhaite quitter la région parisienne pour s'installer dans le Finistère et se remettre au bateau. "Mais pour ça, il faut être en forme, s'inquiète-t-il. Je connais des gens, qui sont morts six mois après avoir pris leur retraite. On doit quand même pouvoir profiter. La vie, ce n'est pas que le travail."
Pour l'instant, Nicolas se sent bien, mais l'usure guette. "Le temps de récupération n'est plus le même qu'à 40 ans." Et puis, il y a les trajets. Par conscience écologique, il ne prend plus sa voiture, ce qui lui impose 1h30 de transports en commun pour se rendre au travail. "J'ai l'impression que la société ne prend pas en compte ce niveau de fatigue, d'énergie, qui n'est plus le même à 60 ans qu'à 20 ou 40 ans."
Anne, 59 ans, infirmière scolaire : "Cette double journée n'est pas prise en compte"
Anne est un peu perdue. "J'ai fait une simulation : parfois, mes enfants ne rapportent que quatre trimestres [contre huit dans le privé] et parfois, ils ne sont même pas pris en compte", raconte cette mère de famille de cinq enfants. Cette infirmière scolaire en Gironde avait prévu de partir au 1er septembre 2025, à 62 ans et demi, mais elle va devoir faire quelques mois supplémentaires à cause de la réforme. Par ailleurs, elle ne sait pas encore si elle aura le droit à un taux plein.
Anne n'a pris qu'une seule fois un congé parental de neuf mois pour ses cinq enfants : "J'ai repris le boulot parce qu'un seul salaire, ça ne suffisait pas." Le gouvernement a annoncé des mesures pour la retraite des femmes, mais il reste du chemin à faire, selon elle. "Il faut améliorer les choses. Moi, j'avais double journée à l'époque où j'ai eu mes enfants."
"Mon mari était transporteur routier et après le boulot à l'hôpital, j'avais les enfants à gérer, le ménage, la lessive, les repas..."
Anne, infirmière de 59 ansà franceinfo
"Cette double journée, cette double fatigue n'est pas bien prise en compte. Sans compter le fait que porter des enfants, cela fatigue le corps, on y laisse des plumes."
* Le prénom a été modifié à la demande de la personne interrogée.
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