Arrestation de Gaspard Glanz : peut-on être journaliste sans avoir la carte de presse ?
Le photoreporter interpellé samedi en marge du rassemblement des "gilets jaunes" ne possède pas cette carte professionnelle. Objet de nombreux fantasmes, elle est attribuée à la demande par une commission, selon des critères précis.
"Un journaliste, pour être journaliste, n'a pas besoin d'une carte de presse", a martelé le photoreporter Gaspard Glanz, à la sortie de sa garde à vue, lundi 22 avril. Le fondateur du site Taranis News avait été interpellé samedi lors de la 23e manifestation des "gilets jaunes" dans la capitale. Un juge a décidé qu'il n'avait plus le droit de se trouver à Paris les samedis jusqu'à son procès le 18 octobre, ainsi que le 1er mai. "[Aux] yeux [de la justice], je ne suis pas journaliste. Là, ma demande de carte de presse, elle part demain matin. Et je sais très bien qu'avec cette carte, tout ça n'aurait pas eu lieu. On a atteint un point de non-retour très grave."
(2/2) Suite des réactions de Gaspard Glanz (@GaspardGlanz) à sa sortie du TGI et parle notamment de son statut de journaliste indépendant. #GaspardGlanz #FreeGaspard pic.twitter.com/jEolEByWd2
— Charles Baudry (@CharlesBaudry) 22 avril 2019
Les journalistes ont-ils forcément besoin d'une carte de presse pour être reconnus comme tels ? "Non, la carte de presse est attribuée en fonction de certains critères établis par la loi de 1935", explique Isabelle Bordes, journaliste à Ouest-France, syndicaliste CFDT et membre du bureau de la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP). La loi Brachard définit en effet la ou le journaliste comme "toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse (…) et qui en tire le principal de ses ressources". Pas besoin de diplôme particulier ou de document pour l'exercer. En France, selon les statistiques de la CCIJP, 34 890 journalistes possédaient la carte de presse en 2018.
Des conditions strictes
Selon ces critères, la CCIJP accorde la carte de presse, pour une première demande, aux personnes qui exercent la profession depuis trois mois consécutifs au moins et tirent de cette activité plus de 50% de leurs ressources. "Un journaliste peut faire aussi de la communication, mais il ne faut pas que cela devienne son revenu principal", poursuit Isabelle Bordes. Les moyennes mensuelles des salaires doivent aussi atteindre un certain niveau : "Autour de 600 euros minimum, pour garantir que le journalisme est bien le métier exercé."
A la sortie du commissariat, lundi, Gaspard Glanz a affirmé que le journalisme était "la source de ses revenus à 100%" et qu'il l'exercait depuis dix ans. Pas de problème a priori, donc, pour obtenir la carte sur ces deux critères. Mais il y en a un troisième : l'employeur doit être une entreprise de presse. Pour cela, cette entreprise doit avoir un agrément délivré par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). Contacté par franceinfo, Gaspard Glanz explique que l'agence Taranis News, qu'il a fondée en 2012 et qui héberge l'essentiel de son travail, a fermé en septembre 2017 et qu'il a désormais un statut d'auteur.
Taranis News n'est plus une entreprise, c'est une marque. Le site et le contenu qui s'y trouvent m'appartiennent.
Gaspard Glanzà franceinfo
Pour se rémunérer, le reporter vend ses images à différents médias. Il n'est pas salarié de ces médias, comme l'est un pigiste, mais payé en droits d'auteur. Problème : la CCIJP refuse d'attribuer la carte de presse à un journaliste rémunéré essentiellement sous le statut d'auteur. "S'il travaillait comme pigiste salarié, les médias qui achètent son travail deviendraient de fait ses employeurs, il pourrait donc l'obtenir", précise Thierry Cerinato, de la CCIJP, à franceinfo.
La carte de presse ne définit pas la déontologie des journalistes. Elle reconnaît juste aux personnes détentrices qu'il s'agit de leur métier.
Isabelle Bordes, membre de la CCIJPà franceinfo
Cette complexité peut conduire à de l'incompréhension. En mars 2015, l'ancien présentateur de la matinale de France Inter Patrick Cohen avait déchiré sa carte de presse en direct pour dénoncer la situation de sa consœur Pascale Clark, qui s'était vu refuser le fameux document en raison de son statut d'intermittente. Ce geste avait mis en lumière les situations très variées des journalistes : intermittents, précaires, auto-entrepreneurs, auteurs…
"Ce n'est pas la faute de la commission, reprend Isabelle Bordes, la loi dit que les journalistes sont salariés, donc les journalistes auto-entrepreneurs, payés en droits d'auteur ou honoraires ne sont pas salariés et ne peuvent pas obtenir de carte." Chaque dossier est toutefois étudié au cas par cas et peut faire l'objet de recours. "Le problème vient de l’employeur qui ne veut pas s’acquitter des charges sociales", déplore Vincent Lanier, membre du Syndicat national des journalistes (SNJ).
Aujourd'hui, l'évolution du métier fait débat au sein de la commission, notamment sur le statut des vidéastes qui travaillent essentiellement sur les réseaux sociaux. "On peut poster autant de vidéos que l'on veut sur Facebook ou YouTube, il ne s'agit pas encore d'entreprises de presse. Et même s'il s'agit d'un travail d'information, on ne peut pas délivrer de carte", explique Isabelle Bordes.
Une meilleure protection "en pratique"
Si Gaspard Glanz avait possédé la carte de presse, celle-ci lui aurait permis de prouver aux autorités qu'il est bien journaliste. Sur son site, la CCIJP note d'ailleurs que "la possession d’une carte de presse facilite la résolution des multiples problèmes qu’un(e) journaliste peut rencontrer dans l’exercice de son métier", comme une "arrestation", une "prise d'otage", etc.
La CCIJP a une délégation administrative. Lorsqu'elle accorde une carte de presse, cela veut dire que le bénéficiaire est reconnu aux yeux de la société comme journaliste.
Thierry Cerinato, membre de la CCIJPà franceinfo
"En France, les journalistes sont en pratique plus protégés grâce à cette carte car elle établit des droits, ajoute Isabelle Bordes. C'est aussi un outil de travail. En province, les interlocuteurs sont beaucoup moins familiers des journalistes, ils ont besoin de voir une carte de presse pour nous laisser passer en cas d'accident, de feu…" La carte permet aussi de se faire accréditer plus facilement à divers événements : matchs de sport, meetings politiques, etc. "C'est un document administratif et de reconnaissance, ajoute Isabelle Bordes. Mais ça ne dit pas si vous êtes bon journaliste ou pas."
Selon les critères de la CCIJP, Gaspard Glanz ne pourrait a priori donc pas bénéficier du fameux sésame, mais son dossier pourrait être examiné au cas par cas. Quoiqu'il en soit, le photoreporter affirme qu'il prépare son dossier de demande avec plusieurs collègues pour un envoi dans la semaine. "On est une dizaine, je pense que ça va vite gonfler", assure-t-il.
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