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Des "gilets jaunes" ont-ils été fichés par des hôpitaux parisiens depuis le début du mouvement ?

Selon plusieurs témoignages, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a demandé aux personnels soignants de "saisir les identités" des blessés un jour de manifestation.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Un manifestant "gilet jaune" blessé, le 2 février 2019 à Paris. (KARINE PIERRE / HANS LUCAS / AFP)

Malaise à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Un "gilet jaune" hospitalisé après une manifestation a porté plainte, vendredi 19 avril, pour "collecte illicite de données à caractère personnel" et "violation du secret professionnel" après des révélations de presse sur le fichage des "gilets jaunes" blessés. Plusieurs témoins expliquent que l'AP-HP leur a demandé de renseigner les noms des manifestants blessés dans un fichier habituellement réservé aux attentats. Franceinfo fait le point sur l'affaire.

Que reproche-t-on à l'AP-HP ?

L'affaire, déjà évoquée en janvier par Mediapart, a rebondi mercredi 17 avril avec un article du Canard enchaîné. L'hebdomadaire publie un message envoyé par un administrateur du groupe hospitalier indiquant qu'"il est indispensable de saisir les identités des victimes en temps réel dans [le fichier] SiVic".

Urgentiste à l'Hôtel-Dieu, le médecin Gérard Kierzek raconte à franceinfo : "J'étais de perm le samedi, j'entends l'équipe paramédicale qui raccroche avec le cadre de santé, qui leur dit 'Vous appelez l'administrateur de garde quand vous avez des 'gilets jaunes''. Elles raccrochent en disant 'Comme d'habitude'."

C'est de la délation qu'on nous demande de faire, je l'ai pris comme ça.

L'urgentiste Gérard Kierzek

à franceinfo

Un autre témoin livre le même récit au Monde. Il raconte avoir trouvé "très gênant" cette demande de l'AP-HP, en particulier parce que "les patients n’étaient pas informés qu’ils étaient inscrits dans ce fichier". Alerté, le Conseil de l'Ordre des médecins a saisi le 15 avril la Direction générale de la santé (DGS) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) pour demander des explications. Pour le plaignant, Sébastien Maillet, le fichier est ainsi détourné de sa finalité, avec "pour objectif de créer une liste de personnes militantes".

C'est quoi ce fichier ?

Au cœur de cette affaire, le fichier SiVic, mis en place après les attentats de novembre 2015. Comme on peut le lire dans la délibération de la Cnil autorisant la mise en place de ce fichier, il "a pour finalité d’établir une liste unique des victimes d’attentats afin d’informer rapidement leurs proches sur leur situation".

Il contient des "données d'identification", les "caractéristiques de prise en charge hospitalière", les "coordonnées (téléphone et courriel) de la victime et d’un proche", ainsi que l'"historique des transferts entre établissements de santé". Lorsque Mediapart avait évoqué le sujet en janvier, la Direction générale de la santé avait assuré que le ministère de l'Intérieur avait accès au fichier "uniquement en cas d'attentat" en vertu d'un décret de mars 2018.

Mais le texte ne fait en réalité pas de distinction entre les attentats et les autres situations : "Seuls les agents des agences régionales de santé, du ministère de la Santé et des ministères de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères nommément désignés et habilités à cet effet par leur directeur sont autorisés à accéder aux données mentionnées à l'article R. 3131-10-1, dans la stricte mesure où elles sont nécessaires à l'exercice des missions qui leur sont confiées", indique-t-il simplement. Pour Le Canard enchaîné, ce texte "ouvre grand les vannes".

Que répond le groupe hospitalier ?

Dans un communiqué diffusé le 20 avril, l'AP-HP ne nie pas l'utilisation du dispositif SiVic et assure qu'il ne se limite pas aux situations d'attentats. "SiVic est utilisé en cas de 'situations sanitaires exceptionnelles', à savoir un grave accident sur la voie publique, un incendie, un attentat ou un grand évènement susceptible de conduire à un nombre important de victimes", indique-t-elle, afin "d'aider les autorités sanitaires à anticiper le nombre de blessés d’un évènement et ses conséquences pour l’organisation des hôpitaux".

Certaines des manifestations des derniers mois "ont été des événements sanitaires importants", avec "plusieurs centaines de blessés" pris en charge dans les hôpitaux parisiens, souligne le communiqué. L'AP-HP précise que son déclenchement se fait à la demande de l'Agence régionale de santé et assure qu'il ne comporte "aucune donnée sur la nature des blessures prises en charge".

"Outil de régulation et d’information sanitaires, SiVic a joué son rôle dans une période où toute erreur dans la prise en charge des malades aurait été un élément de renforcement de la violence", insiste-t-elle, dans ce communiqué présenté comme une "mise au point sur un prétendu fichage des patients".

Interrogée par Le Monde, la DGS assure que le dispositif SiVic a été déjà activé "plus d'une centaine de fois" depuis sa création. Dans le cadre des manifestations de "gilets jaunes", il n'a pas été seulement activé à Paris : sur l'ensemble du territoire national "les 8 et 15 décembre 2018", puis ponctuellement "selon la situation locale".

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