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Des "gilets jaunes" ont-ils été verbalisés uniquement parce qu'ils portaient un pull prônant le RIC ?

Comme l'indique le procès-verbal, le pull n'est pas en soi le motif de l'amende, mais il a été considéré par la police comme une preuve de participation à une manifestation interdite dans le quartier des Champs-Elysées. Le couple verbalisé se défend.

Article rédigé par franceinfo
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Un tweet montre un PV dressé par un policier lors de la manifestation des "gilets jaunes", samedi 23 mars à Paris.  (P4BL0 / TWITTER)

"135 euros d'amende pour un pull qui ne plaît pas à la police." "Voilà la justice de notre pays !" "La police va jusqu'à verbaliser des Français pour le port d'un pull." Les réactions outrées se sont multipliées, dimanche 24 mars, après la diffusion sur les réseaux sociaux de la photographie d'un PV qu'un policier aurait dressé à un passant, samedi, lors de 19e journée de mobilisation des "gilets jaunes".

En cause : une formule qui indique que le "contrevenant" portait un pull avec l'inscription "Oui au RIC, je dis oui au référendum d'initiative populaire", l'une des principales revendications des "gilets jaunes". "On n'a plus le droit de s'exprimer en France", s'insurge auprès de franceinfo Jérôme, l'une des personnes verbalisées, qui affirme que sa compagne Béatrice l'a également été, pour le même motif. L'explication de cette amende est en réalité plus complexe.

La véracité du PV a bien été confirmée à France 3 et franceinfo par plusieurs sources policières. Il existe également un deuxième PV rédigé par le même policier (dont le matricule est indiqué en haut de la feuille), à l'encontre d'une autre personne qui se trouvait au même endroit, quelques minutes plus tôt (15h50 pour l'un, 15h43 pour l'autre). 

Le PV dressé pour "participation à une manifestation sur la voie publique interdite"

En revanche, une lecture attentive du document montre que si le pull-over RIC est effectivement mentionné, il ne s'agit pas directement du fait reproché à Jérôme et à sa compagne : le vêtement est seulement présenté comme "un élément attestant que le contrevenant est un manifestant".

Le procès-verbal adressé à Béatrice. (DR)

Le PV a été avant tout dressé "pour participation à une manifestation sur la voie publique interdite", en raison de la présence de la personne "à l'intérieur du périmètre prescrit par l'arrêté d'interdiction de manifester", au 2 avenue Victor Hugo, dans le 16e arrondissement de Paris, d'après le document. Cette adresse, située à quelques mètres de la place de l'Etoile, se situe effectivement à la limite de la zone qui était interdite aux rassemblements samedi. 

La police s'appuie sur le "comportement" ou la "tenue" pour déterminer qui est un manifestant

Dans ce périmètre, le passage était possible. En revanche, les manifestations et les attroupements étaient prohibés et passibles d'une amende de 135 euros. Ici, le policier a visiblement estimé que le pull était la preuve que Jérôme et Béatrice n'étaient pas de simples passants, mais des manifestants. "L’agent verbalisateur doit démontrer que cette personne par son comportement ou sa tenue est un manifestant, a expliqué la préfecture de police dans un communiqué publié lundi soir. Le caractère revendicatif ou symbolique qui entre dans les éléments constitutifs de la participation à une manifestation interdite peut ainsi être matérialisé par la constatation de l’usage de mots, de gestes, de support matériel ou de tout signe distinctif ostentatoire : slogan, pancarte, banderole, vêtement, drapeau, brassard, signal lumineux ou sonore..."

Thomas Toussaint, secrétaire national du syndicat Unsa-Police, confirme à franceinfo qu'il n'est pas inhabituel que la tenue de la personne contrôlée soit considérée comme un signe de l'intention de manifester.

Dans une manifestation, il y a toujours un code vestimentaire. Un gilet jaune, un drapeau, un pull avec un slogan, sont des signes de reconnaissance.

Thomas Toussaint, secrétaire national du syndicat Unsa-Police

à franceinfo

Comment déterminer si un slogan sur un pull est le signe d'une volonté de participer à une manifestation interdite ? "Sur le terrain, le fonctionnaire de police est seul maître à la matière", explique Thomas Toussaint. "C'est à lui d'apprécier ce qui se passe", ce que confirme une source policière interrogée samedi par franceinfoEt ce même si le contrevenant "nie avoir participé à [une] manifestation", comme l'indique le PV.

"On n’allait pas manifester sur les Champs-Élysées, on allait au métro, a expliqué Béatrice à franceinfo. Mais ils n’ont pas voulu entendre." Mais s'agissant d'une contravention, le procès-verbal de la police fait foi "jusqu'à preuve du contraire", explique l'article 537 du Code de procédure pénale. C'est donc à la personne verbalisée d'apporter la preuve qu'elle n'avait pas l'intention de se joindre au rassemblement interdit.

Le couple a 45 jours pour contester l'amende

Dans ce type de situation, la police aurait très bien pu ne pas verbaliser le contrevenant, et se contenter de lui rappeler la loi, reconnaît Thomas Toussaint, qui se refuse à porter un jugement sur cette verbalisation précise.  "Les ordres, samedi, étaient vraiment de verbaliser tous azimuts", affirme un membre d'un autre syndicat policier à France 3.

In fine, c'est le policier qui a la liberté de décider, insiste Thomas Toussaint. Par exemple, "si on demande à des gens de quitter les lieux et qu'ils sont dans un état d'esprit de refus, on peut rentrer dans une autre logique, et passer de la prévention à la répression", en infligeant une contravention, explique le syndicaliste. De son côté, Béatrice affirme qu'elle et son compagnon ont "proposé d'enlever [leur] pull, mais [les policiers] ont refusé".

Quoi qu'il en soit, pour Thomas Toussaint, il est clair que la personne qui portait ce pull n'aurait pas été verbalisée si elle ne se trouvait pas à proximité de la manifestation interdite.

Si demain je porte un pull RIC place de la Bastille, je ne vois pas pourquoi on viendrait m'interpeller. Il faut toujours tenir compte du contexte.

Thomas Toussaint, secrétaire national du syndicat Unsa-Police

à franceinfo

Béatrice et Jérôme, qui ont refusé de payer les amendes, affirment à franceinfo qu'ils ont contacté un avocat. Ils ont 45 jours pour contester la contravention. Ils peuvent également attaquer l'arrêté d'interdiction de manifester, rappelait samedi l'avocat Thierry Vallat sur franceinfo.

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