"Gilets jaunes" : des policiers ont-ils voulu "dissimuler des preuves" à Bordeaux ? Cette vidéo virale ne le prouve pas
Une vidéo d'un homme blessé lors d'une manifestation des "gilets jaunes" circule sur les réseaux sociaux. Des sous-titres font état d'une discussion supposée entre forces de l'ordre où il est question de "ramener les douilles". Mais une écoute attentive ne permet pas d'accréditer cette retranscription.
La situation est confuse : des forces de l'ordre chargent, des bruits de détonation retentissent et un homme est allongé au sol. Une vidéo de cette scène, qui s'est déroulée samedi 12 janvier à Bordeaux (Gironde) lors d'une manifestation des "gilets jaunes", circule depuis mardi avec des sous-titres censés rapporter les échanges entre des membres des forces de l'ordre. A en croire la retranscription, il y aurait eu une demande de "dissimulation de preuves".
La vidéo en question est postée par un compte Twitter nommé "Le Général". "Ce compte avait largement contribué à la diffusion d’une intox concernant des tirs de lacrymos depuis un hélicoptère à Toulouse", rappelle CheckNews. D'après les sous-titres, les forces de l'ordre auraient eu l'échange suivant après avoir remarqué l'homme à terre : "Ils savent pas que c'est nous, on sait pas, on sait pas (...) le mec par terre là-bas (...) ramenez les douilles (faut pas qu'on voit)."
️Pompier ds le coma #bordeaux: Dissimulation de preuves! Ecoutez ce qu'il dit le chef des #policiers :
— Le Général (@leGneral2) 15 janvier 2019
-ils savent pas que c'est nous! Nous on sait pas!
-Ramenez les douilles (faut pas qu'on voit ça!)#GJ RT✊#Bourgthroulde #grandebatnational #Macron #GiletsJaunes @davduf pic.twitter.com/ENJkQ5fY6k
Des propos en partie inaudibles
Cette vidéo a été en réalité tournée par Stéphanie Roy, une journaliste indépendante travaillant pour l'agence Line Press. Contactée par franceinfo, elle revient sur la chronologie des faits qui ont duré au total moins de deux minutes. "La manifestation se déroule dans le calme. On arrive place de la Comédie, là un manifestant jette une canette sur les gendarmes mobiles, raconte la reporter. Ils répliquent avec du gaz lacrymo." A cet instant, les forces de l'ordre font face à deux groupes de manifestants, l'un rue Sainte-Catherine, et un deuxième dans une rue à gauche, la rue de la Maison Daurade.
"Je vois un groupe de la BAC qui se détache, je cours avec eux pour les suivre. Là on arrive au croisement, poursuit Stéphanie Roy. Je vois des jets de grenades et des tirs de flash-ball." Mais de là où elle est, la journaliste n'en voit pas plus. Elle filme d'ailleurs un policier de dos qui lui demande de reculer.
J'entends un policier dire 'il y a un mec à terre'. Puis je vois au loin les 'médic' [secours bénévoles] de Bordeaux courir. Je m'approche et là je vois une personne à terre en sang.
Stéphanie Roy, journaliste indépendanteà franceinfo
C'est la seule phrase de l'échange que la reporter entend sur le moment. Cette dernière a réécouté avec d'autres médias la bande-son de sa vidéo en haute qualité pour vérifier la teneur des discussions entre les forces de l'ordre. CheckNews a même tenté de rendre la séquence "plus audible en filtrant le bruit de fond". Résultat : impossible de dire, comme l'affirment les sous-titres du "General", qu'un policier ait dit "ramassez les douilles". Voici le dialogue que CheckNews a retranscrit : "Voix inconnue : les pompiers ! / Un policier : appelez-les vous, nous on peut pas. Appelez-les / [Propos inaudibles] / Un policier : faites le 1 / Un policier : faites le 15 / [Propos inaudibles] / Voix inconnue: il saigne."
Une enquête de l'IGPN
Contacté par franceinfo, le parquet de Bordeaux renvoie simplement à son communiqué de presse. Ce dernier indique qu"un manifestant a été blessé à la tête" et qu'une enquête a été ouverte et confiée à l'Inspection générale de la police nationale. Côté syndicats de police, on ne souhaite pas commenter la scène. "Je n'ai pas vu d'éléments tangibles de lancement de grenades ou de LBD [lanceurs de balles de défense] en direction de la tête d'un manifestant. Si une faute grave est commise par des policiers, les policiers répondront de leurs actes", répond à franceinfo Eric Marrocq, secrétaire régional Alliance Police nationale en Nouvelle-Aquitaine.
La femme de l'homme blessé, un pompier volontaire en Gironde, dénonce un acte disproportionné, "barbare" et délibéré. Une journaliste de l'AFP a par ailleurs constaté la présence d'une balle de LBD au pied du blessé.
Je ne peux pas laisser cette violence, je suis outrée. Ils l'avaient à moins de 10 mètres, ils lui tirent en pleine tête, ça ne peut pas être une erreur.
Cindy Béziade, la femme du pompier volontaire blesséà l'AFP
L'homme, père de trois enfants, est toujours hospitalisé. "Il est en réanimation. Il n'est plus dans le coma artificiel mais il ne se réveille pas de lui-même, c'est très compliqué. Il n'ouvre pas les yeux, il ne parle pas, rien. Il réagit à la stimulation uniquement, il est loin...", poursuit-elle.
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