"Gilets jaunes" : pourquoi le journaliste Gaspard Glanz a été interpellé, samedi, à Paris
Le reporter indépendant a été placé en garde à vue samedi notamment pour "participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations".
Les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Le journaliste indépendant Gaspard Glanz a été interpellé, samedi 20 avril, place de la République, à Paris, alors qu'il couvrait la manifestation des "gilets jaunes". Selon le parquet de Paris, contacté par franceinfo, le fondateur du site Taranis News a été mis en garde à vue pour "participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations" et "outrage sur une personne dépositaire de l'autorité publique".
Sur une vidéo postée par Nicolas Mercier, fondateur du site Hors-Zone Press, on voit Gaspard Glanz faire face à un groupe de policiers du côté de la rue du Temple. La situation est alors très tendue, place de la République. "Les forces de l'ordre chargeaient de partout, les policiers étaient en petits groupes, ils chargeaient et interpellaient rapidement", décrit Maxime Reynié, photographe indépendant. "Il y avait des charges violentes de la part des policiers en civil, de la BAC, des policiers avec des casques de moto... On ressentait de la fatigue physique et psychologique des deux côtés."
Il y avait constamment du contact alors que d'habitude les échanges se font à distance. Samedi, même les journalistes étaient obligés de se tenir loin des manifestants car sinon on se faisait embarquer ou charger.
Maxime Reynié, photographe indépendantà franceinfo
Sur la route, certains policiers créent un cordon de sécurité, laissant manifestants et journalistes se mettre de côté sur les trottoirs. Vêtu d'un tee-shirt noir, d'un pantalon noir, de lunettes de piscine, de gants noirs et d'un casque portant l'insigne "TV", Gaspard Glanz lance d'une voix vive aux fonctionnaires : "Il est où le commissaire ? On m'a tiré dessus avec une grenade !" Puis un des fonctionnaires le repousse violemment, sous les huées de la foule.
Visé par une grenade ?
Présente à ses côtés au moment des faits, une amie proche, la photoreporter Lucie A., raconte à franceinfo : "Il était en train de filmer quand il s'est pris une grenade entre les jambes. Il était tout seul à ce moment-là, il était clairement ciblé, affirme-t-elle à franceinfo. Il y avait des traces sur son pantalon."
Journaliste indépendant, habitué des manifestations des "gilets jaunes", Nnoman Cadoret abonde dans le même sens : "Gaspard m'a montré un trou dans son pantalon et m'a dit qu'il s'agissait d'une grenade. J'ai vu un éclat dans son pantalon. Si on a visé ses jambes, c'est que c'était délibéré, assure-t-il. C'est à cause de cette grenade que Gaspard demandait à voir le commissaire ou le responsable de l'unité de police."
Gaspard Glanz a-t-il vraiment été la cible d'un jet de grenade ? Les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ne permettent pas de confirmer ou d'infirmer ces récits. Les images montrent toutefois le reporter, visiblement en colère, faire un doigt d'honneur à l'un des fonctionnaires, avant de se faire brutalement attraper par le cou par d'autres policiers. Autour, d'autres fonctionnaires dégagent les manifestants à coups de matraque. "C'est la presse, c'est la presse !" entend-on crier sur la vidéo.
allo @Place_Beauvau - c'est pour un signalement - 655 (précisions 3)
— David Dufresne (@davduf) 21 avril 2019
Arrestation du journaliste @GaspardGlanz filmée par @DelanoyFr / WebInfo France.
Paris, Place de la République, #ActeXXIII Source: courriel pic.twitter.com/t4mmeIn8ot
"Ils ont ensuite maintenu Gaspard au sol, ils lui ont fait traverser la place. Un policier ne voulait pas qu'on voie qu'il avait été interpellé et maintenait sa tête sous sa main", assure Gilles Potte, dit "Stuv", du collectif de photographes LaMeute. Gaspard Glanz est menotté et crie à son adresse "Raphaël !", du nom de son avocat Raphaël Kempf, pour qu'il le prévienne de la situation.
"Des relations complexes avec la police"
Pourquoi le journaliste a-t-il vraiment été arrêté ? C'est la question que se posent les proches de Gaspard Glanz, officiellement interpellé pour "outrage" et "participation à un groupement en vue de commettre des violences". "C'est assez ironique parce que les journalistes indépendants travaillent seuls", commente le photographe Alexis Kraland, interpellé dans la matinée à la gare du Nord pour les mêmes motifs, puis libéré dans la soirée de samedi.
Pour plusieurs témoins interrogés par franceinfo, Gaspard Glanz ferait surtout les frais d'une relation ancienne et houleuse avec la police. Connu pour sa couverture des mouvements Nuit debout, puis des manifestations contre la loi Travail, le journaliste a été interpellé en 2016 dans le camp de migrants à Calais et a fait l'objet la même année d'une fiche S "comme individu susceptible de se livrer à des actions violentes". En juillet 2018, lors de l'affaire Benalla, il diffuse des images de l'ancien chargé de mission de l'Elysée portant un brassard de police lors des manifestations du 1er-Mai, relate Libération.
"On le voit souvent en manifestation, il a des relations complexes avec la police : elle le reconnaît, les policiers peuvent lui parler tranquillement. Lui est très réactif à leur égard. Je l'ai déjà vu demander à un agent où était son matricule", raconte le journaliste du Figaro Thibault Izoret, présent place de la République samedi. Pour Nicolas Mercier, cette interpellation est disproportionnée.
Je connais sa véhémence contre la police. Mais les policiers se font insulter sans arrêt dans les manifestations, ça mérite une amende, pas plus.
Nicolas Mercier, fondateur de Hors-Zone Pressà franceinfo
"Là, manifestement, on l'a arrêté parce qu'il était véhément, poursuit le journaliste. Ils auraient pu l'interpeller dans d'autres circonstances. Une vingtaine de policiers pour le déplacer, un agent qui lui cache le visage, les journalistes menacés de ne pas pouvoir diffuser les images... Ce n'est pas habituel."
"On est sur une pente très dangereuse"
Face à ces interpellations, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et Reporters sans frontières (RSF) ont dénoncé des atteintes à la liberté d'informer. "On commence à se poser des questions : est-ce qu'il n'y a pas une volonté déterminée d'intimider notamment les photographes sur le terrain ? On a l'impression que certains sont ciblés, a dénoncé Vincent Lanier, premier secrétaire général du SNJ. Il y a des tensions, c'est vrai, sur le terrain entre des policiers et des photographes, mais de là à interpeller, il y a un gros problème. On est sur une pente très dangereuse par rapport à la liberté d'informer, c'est la liberté de la presse qui est menacée."
Depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", plusieurs journalistes ont été blessés lors des manifestations. Samedi, deux journalistes ont été touchés par une grenade de désencerclement à Toulouse, selon leur témoignage et celui de leur employeur. D'après le décompte du journaliste indépendant David Dufresne, "76 journalistes, photographes, vidéastes" ont été "entravés dans leur travail" depuis le 17 novembre. Selon ses calculs, ils représenteraient 10% des victimes de violences policières.
Dimanche matin, plusieurs personnes se sont regroupées devant le commissariat du 12e arrondissement de Paris où Gaspard Glanz était en garde à vue, après une première prolongation de vingt-quatre heures. Interrogé par Le Média, son avocat Raphaël Kempf a dénoncé l'interpellation de son client, notamment sous le motif de "participation à un groupement en vue de commettre des violences". "C'est un délit un peu particulier qui fait penser au film Minority Report. Il vise à punir une personne avant qu'elle ne commette quoi que ce soit", explique-t-il. Vers midi, Gaspard Glanz a été déféré au tribunal de Paris en vue d'une convocation à une audience ultérieure.
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