A son procès, Christophe Dettinger assure qu'il n'est "pas quelqu'un de méchant" et nie avoir "voulu casser du flic"
L'ancien boxeur professionnel a été condamné à trente mois de prison, dont 18 avec sursis, pour avoir frappé deux gendarmes mobiles lors d'une manifestation des "gilets jaunes".
Il est reparti dormir en prison. L'ancien boxeur Christophe Dettinger, 37 ans, a été condamné à trente mois de prison, dont 18 avec sursis, mercredi 13 février, par le tribunal correctionnel de Paris. Il comparaissait pour avoir frappé deux gendarmes mobiles lors de la manifestation des "gilets jaunes" du 5 janvier à Paris et encourait sept ans pour "violences volontaires en réunion sur personnes dépositaires de l'autorité publique". Ce père de famille bénéficiera d'un régime de semi-liberté pour "garder sa vie familiale et professionnelle". La décision a été accueillie avec soulagement dans la salle d'audience surchauffée et bondée.
Pendant plusieurs heures, le tribunal s'est attaché à comprendre comment ce fonctionnaire de la ville d'Arpajon (Essonne), sans antécédent judiciaire ni engagement politique, au passé "irréprochable", a pu basculer dans une violence "déterminée" ce jour-là, sur la passerelle Leopold-Sédar-Senghor. Au fil de l'audience, la justice a tenté "un arrêt sur images", pour comprendre le contexte dans lequel ces coups ont été portés. Les vidéos projetées sur écran géant, celles que l'on a vu tourner en boucle sur les réseaux sociaux après les faits, n'ont pas joué en faveur du prévenu. Dans l'un de ces films projeté en accéléré, la silhouette de Christophe Dettinger, gesticulant et menaçant les forces de l'ordre, se détache nettement, comme dans un vieux film muet.
"Bam, bam, bam"
L'assistance a pu revoir sous toutes les coutures, au ralenti cette fois-ci, les deux "séquences" reprochées à l'ancien champion de boxe : celle où il frappe un gendarme mobile au sol, sur la partie haute de la passerelle, puis celle où il boxe un autre militaire au visage, sur la partie basse du pont. Que s'est-il passé avant ces deux scènes, séparées par un peu plus d'une minute ? Les vidéos n'apportent pas de réponse claire. Depuis le box, Christophe Dettinger assure avoir porté les coups au premier gendarme après l'avoir vu matraquer une femme au sol. Celle-ci, cheveux roses et rangers aux pieds, est venue confirmer cette version à la barre. Reste que sur les images disponibles dans la procédure, on ne voit pas ce gendarme la frapper avant d'être tiré au sol par l'ancien boxeur.
Quant à la deuxième salve de coups de poing, elle ferait également suite à la vision d'une "ligne de gendarmes en train de matraquer des 'gilets jaunes', bam, bam, bam", mime le prévenu, justifiant ainsi "sa colère" et son coup de sang. "C'est mon état d'esprit, madame la présidente, je peux pas faire autrement." Ces coups de matraque ne sont pas non plus visibles sur la vidéo en possession de la justice et démentis par la partie civile.
"Il a tout simplement voulu casser du flic"
"Vous avez dit que vous aviez une âme de justicier. Et si vous voyiez un homme à terre se faire rouer de coups dans la tête...", tacle le procureur. "C'est pas une belle image, reconnaît Christophe Dettinger. En voulant sauver une dame d'une injustice, j'en ai créé une autre." L'homme assis dans le box, vêtu d'une chemise blanche et d'un gilet gris, semble lui même essayer de faire le lien avec celui qu'il voit à l'écran, bonnet noir sur la tête et poings vissés aux tempes. Pour la partie civile, cela ne fait aucun doute : "Monsieur Dettinger a tout simplement voulu casser du flic."
C'est un boxeur qui monte sur un ring pour en découdre, il réajuste ses gants, il est chaud, il est prêt pour le KO final.
Jean-Philippe Morel, avocat de la partie civiledevant le tribunal correctionnel de Paris
"Quand je vois les vidéos, je me dis que c'est n'importe quoi", admet le "gilet jaune". "Mais quand on est au milieu de la foule, quand on est là tous les samedis, c'est plus la même chanson", souligne-t-il de sa voix sourde. C'est justement l'un des points qui a occupé les débats. Selon la présidente, les vidéos, notamment celles de la ville de Paris, qui donnent une vue d'ensemble, montrent un cortège peu fourni, qui aurait pu faire demi-tour en voyant que l'accès au quai Anatole-France, en face, était bloqué et que l'accès à la passerelle était entravé à mi-chemin par les forces de l'ordre. Objectif : empêcher le trajet de la manifestation, déclaré pour la première fois, de dévier vers l'Assemblée nationale. "Les manifestants ont fait le choix, me semble-t-il, de forcer le passage", observe la magistrate.
"Derrière, y'avait du monde, ça poussait", oppose le prévenu, s'étonnant que les gendarmes ne soient pas présents dès le début de la passerelle. "Ils laissent la foule s'engouffrer et après, ils bloquent." A la barre, l'un des deux gendarmes frappés, visage juvénile et uniforme de rigueur, a expliqué qu'il avait été positionné sur le premier tiers de la passerelle et non au bord pour éviter de devoir utiliser des troupes pour garder un escalier qui menait à la passerelle. En clair, "économie d'effectifs".
"Est-ce un dispositif qui pousse à la faute ?" demande la présidente à Christophe Dettinger, cherchant à sonder ses opinions politiques. "Avec les vidéos, je vois que non. Mais quand on est dans le mouvement, on ne le voit pas", répond-il, estimant malgré tout que "s'il fallait écouter les forces de l'ordre depuis le début des manifestations, tous les 'gilets jaunes' resteraient chez eux car ils sont maltraités".
"L'élément le plus violent de cette passerelle"
Un argument balayé par Jean-Philippe Morel, l'avocat de la partie civile : "Aucune manifestation n'est autorisée à traverser un pont en raison des risques de chute dans l'eau." "La première violence de Monsieur Dettinger, c'était de sortir du parcours de la manifestation autorisée et d'aller au contact. C'est l'embryon de la violence à venir", abonde son confrère Thibault de Montbrial, qui en profite pour adresser un message aux manifestants.
J'appelle chacun à la responsabilité. Reprenez-vous les uns les autres, sinon dans les jours, les semaines qui viennent, il va y avoir quelqu'un qui va mourir.
Thibault de Montbrial, avocat des gendarmes agressésdevant le tribunal correctionnel de Paris
"Cela fait trois mois que ce type de situation se renouvelle chaque samedi et que Paris devient le chaos, le terrain de jeu de certains, en colère, frustrés, en difficulté, qui viennent là pour se défouler", martèle le procureur dans son réquisitoire, réclamant trois ans de prison, dont un avec sursis. "Cette colère", chez Christophe Dettinger, "s'est déchaînée à l'encontre des forces de l'ordre", ajoute le magistrat, estimant qu'il est alors "dans la toute puissance" et "l'élément le plus violent de cette passerelle".
"Quelqu'un de bien, de serviable, avec des valeurs"
L'accusation et la partie civile ne croient pas à la thèse du "pétage de plomb" du père de famille et ancien sportif exemplaire, qui "a organisé sa fuite" pendant un jour et demi pour se choisir une avocate et faire établir un certificat médical. "Il n'y a pas de circonstance atténuante dans le Code pénal pour le pétage de plomb", plaide Jean-Philippe Morel.
Il faut bien le reconnaître, cependant, l'examen de sa personnalité ne révèle aucun épisode de violence antérieure. Dans le dossier, "beaucoup de personnes témoignent" que cet homme marié et père de trois enfants est "quelqu'un de bien, de serviable, avec des valeurs, qui n'a jamais rien fait de répréhensible". Christophe Dettinger ne se reconnaît pas lui-même dans ces images qui l'ont érigé en "symbole" des "gilets jaunes". "Je suis grand, je suis costaud, mais je ne suis pas quelqu'un de méchant", murmure-t-il avec des sanglots étouffés dans la voix.
J'ai été catalogué gitan boxeur, casseur, tueur de flic... Wahou ! Je ne suis pas cette personne-là.
Christophe Dettingerdevant le tribunal correctionnel de Paris
"Toute ma vie, depuis que je suis gamin, j'essaie d'un être un bon fils, un bon frère, un bon père, un bon collaborateur, un bon mari", énumère-t-il alors sous les yeux de sa famille venue le soutenir. "Si je peux donner un coup de main à quiconque, je le fais." Alors comment expliquer la métamorphose qui s'est opérée ce 5 janvier, sous les yeux de la France entière ?
"Monsieur le gendarme, je suis coupable"
"Si personne ne peut répondre à la question, c'est que nous manquons d'éléments essentiels", suggère pour la défense Henri Leclerc, regrettant une enquête trop rapide. Mais pour le pénaliste, l'explication est aussi à chercher du côté de l'effet de groupe : "Une manifestation est une bête qu'on ne maîtrise pas aussi facilement", glisse-t-il, allant jusqu'à évoquer le drame des neufs morts de la rue de Charonne lors d'un défilé pour la paix en Algérie le 8 février 1962.
Un homme magnifique peut commettre une faute. Dans une manifestation, on peut perdre le contrôle. La peur, la colère, tout tient ensemble.
Henri Leclerc, avocat de la défensedevant le tribunal correctionnel de Paris
Son confrère, Hugues Vigier, demande également au tribunal de ne "pas réduire cet homme à ces dix minutes de sa vie, il est tellement plus".
Christophe Dettinger, qui s'est excusé tout au long du procès de ne "pas avoir les mots", a su les trouver pour s'adresser au seul gendarme assis en face de lui, son collègue, encore en rééducation, n'ayant pas été en capacité d'assister au procès. "Monsieur le gendarme, je suis coupable de tous les coups que j'ai pu vous porter, je suis conscient que ça a pu vous toucher physiquement et psychologiquement et je n'en suis pas fier du tout", a-t-il lancé. Et d'ajouter, avant la suspension d'audience : "Je vais devoir vivre avec ça toute ma vie et eux aussi."
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