Pourquoi le gouvernement peine à nouer le dialogue avec les "gilets jaunes"
Face à un mouvement hétéroclite et inédit, l'exécutif tente maintenant d'ouvrir la discussion. Mais l'entreprise est compliquée.
"Il faut désormais accepter le dialogue", a averti le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, samedi 1er décembre, avant la nouvelle journée de mobilisation attendue des "gilets jaunes" sur les Champs-Elysées, à Paris.
>> "Gilets jaunes" : suivez en direct la nouvelle journée de mobilisation à Paris
Le Premier ministre, Edouard Philippe, a invité, la veille, "les huit représentants désignés par les 'gilets jaunes'" (mais contestés) à Matignon. Sauf que le rendez-vous a tourné au fiasco avec la présence de seulement deux d'entre eux, dont l'un est ressorti presque aussitôt car le Premier ministre a refusé la présence de caméras lors de cet entretien. Un rendez-vous manqué qui illustre les difficultés du gouvernement à nouer un dialogue avec les "gilets jaunes".
Des revendications multiples
Première difficulté : les demandes des "gilets jaunes" couvrent des champs très larges. Une liste contenant une quarantaine de revendications allant de l'augmentation du smic au retour au septennat a ainsi été envoyée jeudi 29 novembre aux médias et aux députés.
"Ce que je retiens de ces rencontres avec les 'gilets jaunes', c'est que les sujets de préoccupation, de revendication, de mécontentement, sont extrêmement larges. Il y a bien sûr au départ la question du prix des carburants et des taxes", a noté le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, sur Europe 1, vendredi, après la réunion ratée à Matignon.
"Le mouvement des 'gilets jaunes' repose sur deux clientèles différentes. Cela peut expliquer le fait que les 'gilets jaunes' n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un programme ou une demande particulière aux autorités, explique ainsi le géographe Hervé Le Bras dans Sud-Ouest. D’un côté, les territoires ruraux délaissés demandent plus de présence de l’Etat et le retour des services publics, ce qui est légitime mais très coûteux. De l’autre, les territoires périurbains demandent à l’Etat de baisser les taxes, notamment sur le carburant."
Des interlocuteurs mal identifiés
Autre question épineuse : celle des porte-parole. La délégation de huit "gilets jaunes" désignée en début de semaine est loin de faire l'unanimité. Beaucoup de manifestants n'ont pas apprécié cette initiative. "On a l'impression qu'ils font ça dans notre dos. Ce n'est pas très agréable. Ils la jouent perso. Pour qui se prennent-ils ?" a expliqué à franceinfo Alexandre Compère, "gilet jaune" à Valence (Drôme).
Finalement, cette délégation s'est rapidement dissoute. "Ce mouvement a beaucoup de mal à se structurer. Les porte-parole qu'ils s'étaient donnés mardi dernier ne sont plus considérés comme valables aujourd'hui, alors que nous sommes vendredi, a pointé François de Rugy. Quand j'ai rencontré des 'gilets jaunes' mardi dernier, ils m'ont dit qu'ils voulaient rencontrer le Premier ministre. Nous leur proposons de le faire, et finalement certains ne viennent pas, accusent les autres d'être venus, et font pression sur eux. C'est difficile de dialoguer."
Un mouvement divisé
Les "gilets jaunes" peinent à parler d'une seule voix, car le mouvement est divisé. Sur les modalités d'action, d'abord. "Il n’y a qu’une solution pour être entendus par Macron, c’est de durcir encore le mouvement", assure ainsi au Parisien Valery, "gilet jaune" dans la Manche. "Bloquer les routes, ça ne correspond plus à la façon dont on veut faire avancer le mouvement", plaide au contraire David, "gilet jaune" dans l'Oise.
Les "gilets jaunes" n'ont pas été non plus d'accord sur leur présence à Matignon. "Le Premier ministre et le président sont complètement à côté de la plaque et je n'ai même pas envie de leur donner du grain à moudre vendredi en nous recevant. Ils n'auront pas ma présence avant la manifestation de samedi", affirme un des porte-parole des "gilets jaunes", Eric Drouet, sur sa page Facebook.
Finalement, un "gilet jaune" Jason Herbert, a claqué la porte de Matignon, vendredi, faute de pouvoir enregistrer l'entrevue. A sa sortie, il a aussi évoqué les nombreuses menaces que les "gilets jaunes" et leurs porte-parole reçoivent via les réseaux sociaux ou dans la rue, qui viennent "à 99% d'autres 'gilets jaunes'". Le "gilet jaune" qui est resté discuter avec Edouard Philippe et François de Rugy n'a pas voulu dévoiler son identité. "Si des 'gilets jaunes' sont menacés de mort parce qu'ils engagent le dialogue avec le gouvernement, c'est bien que quelque chose ne tourne pas rond", a réagi de son côté, sur BFMTV, Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement.
L'exécutif reste sur une ligne ferme
Jean-Luc Mélenchon, député LFI des Bouches-du-Rhône, a accusé vendredi l'exécutif de choisir le "pourrissement" à l'égard des "gilets jaunes". L'opposition dans son ensemble ne ménage pas ses tirs envers Emmanuel Macron. Même François Bayrou, allié du gouvernement, y est allé de sa critique envers le chef de l'Etat. "A un moment, on ne peut pas gouverner contre le peuple et il faut de ce point de vue-là ne pas ajouter des charges aux charges", a lancé le président du MoDem, invité sur Europe 1.
Au sein de la majorité, des voix réclament aussi de lâcher du lest. La présidente LREM de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, Brigitte Bourguignon, est la première à avoir émis l'idée d'un "moratoire" sur les hausses de taxes sur les carburants, dans une interview au Monde parue le 23 novembre. Sonia Krimi, députée LREM de la Manche, a enfilé un gilet jaune en soutien à ses administrés mobilisés.
Malgré ces critiques croissantes, l'exécutif maintient le cap. Emmanuel Macron n'a d'ailleurs pas prévu de recevoir des "gilets jaunes". "Le président a le devoir de s'inscrire dans le temps long", précise au Figaro l'un de ses conseillers. "Si on lâche, c'est fini. On ne fera jamais la réforme des retraites ni le reste", ajoute dans le même quotidien un proche d'Emmanuel Macron.
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