L'article à lire pour comprendre les tensions chez Air France
Notre fleuron aérien national est à nouveau sous le feu des projecteurs. Francetv info vous explique pourquoi.
Adieu "Perform 2020". Bonjour, plan social. Le conseil d'administration d'Air France a dévoilé lundi 5 octobre 2015 des mesures d'économies entraînant 3 000 suppressions d'emplois. Dont, pour la première fois, des licenciements secs de pilotes, qui ont refusé de travailler davantage sans augmentation de salaire. Francetv info vous explique pourquoi la prestigieuse compagnie française traverse une nouvelle fois une zone de turbulences.
C'est quoi, cette nouvelle crise ?
Pourquoi de nouvelles tensions chez Air France ? Parce que les 4 000 pilotes de la compagnie (8% de l'effectif) ont refusé de travailler "100 heures de vol en plus par an sans majoration de salaire", explique Le Figaro.
La direction leur demandait en effet un effort de "productivité de 17%". Elle a été soutenue, jeudi 1er octobre, par le Premier ministre, Manuel Valls : "Tout le monde doit faire des efforts, et bien sûr les pilotes au premier chef." Ces derniers ont refusé, affirmant que la direction n'avait pas vraiment cherché de compromis. D'où le passage à un plan "alternatif".
Que prévoit le plan d'économies ?
Arguant du refus des pilotes, le conseil d'administration d'Air France-KLM a donné jeudi 1er octobre son accord à un plan d'économies drastique. Celui-ci se traduira par une réduction de 10% du réseau long-courrier de la compagnie. Objectif : ramener la proportion des lignes déficitaires de 50 à 20% d'ici 2018.
Ces abandons de lignes feront perdre de la clientèle. Elles s'accompagneront donc de la suppression de 2 900 emplois d'ici à 2017, soit 300 pilotes, 900 hôtesses et stewards et 1 700 membres du personnel au sol, selon les syndicats lundi 5 octobre. Le scénario présenté par la direction de la compagnie prévoit le retrait de "cinq avions à l'été 2016", puis de "neuf autres" en 2017, en plus de la fermeture de cinq lignes sur le réseau long-courrier à une date non précisée, selon Didier Fauverte (CGT).
Ce plan drastique est-il inévitable ?
Il pourrait connaître des aménagements. "Les deux tiers du plan n'entreront pas en vigueur avant 2017", expliquent Les Echos. "Ce qui laisse la porte ouverte à une reprise des négociations et à la conclusion d'un accord de productivité." Le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL, principal syndicat) met en avant sa proposition de "réaliser des efforts de productivité de 4% pendant un an", relève Le Figaro.
Toujours selon Le Figaro, le désaccord entre la direction et les pilotes ne porterait pas tant sur le salaire que sur le pouvoir de "cogestion" des pilotes Air France. Ceux-ci avaient fait grève pendant deux semaines en septembre 2014 contre le recrutement de pilotes aux salaires et aux conventions collectives moins avantageux chez Transavia, comme le montre la vidéo de France 2 ci-dessous. Ce serait donc un autre sujet de discussion.
Mais il y a déjà eu des plans d'économie, non ?
C'est vrai, les plans d'économies défilent. Succédant à Jean-Cyril Spinetta, Alexandre de Juniac a pris les rênes du groupe Air France-KLM en 2011. Première tâche de cet ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy : gérer le départ de milliers de salariés dans le cadre du plan "Transform 2015". Celui-ci prévoyait "20% d'efficacité économique supplémentaire, à travers 2 milliards d'euros d'économies", rapporte Le Monde.
En mars 2015, le PDG d'Air France-KLM a lancé les discussions avec les syndicats sur le plan suivant, Perform 2020, qui prétendait "faire du 'sur-mesure'", rappelle le quotidien. Mais l'accueil a été d'autant plus frais que sa prestation à l'abbaye de Royaumont (Val-d'Oise) en décembre 2014, sur le thème "Les acquis sociaux contre les enjeux mondiaux ?", avait été peu appréciée. Mise en ligne sur YouTube par la CGT, la vidéo ci-dessous montre Alexandre de Juniac s'interrogeant sur la notion d'acquis sociaux et se félicitant que les syndicats d'Air France aient signé des accords supprimant quinze jours de congés payés et 10 000 postes.
La polémique suscitée n'a pas empêché, fin mars 2015, la large reconduction de cet énarque à la tête du groupe aérien pour quatre ans.
Avec le low-cost, la compagnie est mal partie, non ?
Clairement, Air France-KLM peine à rivaliser avec les compagnies low-cost sur les lignes court et moyen-courrier, explique Le Figaro. Sa filiale Transavia est encore trop modeste pour bénéficier de la croissance du secteur. Et elle ne peut concurrencer les prix cassés pratiqués par exemple par Ryanair. De passage à Paris, le PDG de la compagnie irlandaise, Michael O'Leary, prédisait mercredi 30 septembre, dans Les Echos : Air France "restera sur les lignes principales, mais, pour les passagers au départ de Carcassonne ou de Perpignan, il n'y aura pas d'autre solution que Ryanair".
Pour couronner le tout, selon l'Association internationale du transport aérien (IATA) citée par Le Figaro, "le Vieux Continent est désormais la région la moins rentable pour ses compagnies". Pour répondre au problème, Air France a choisi de supprimer des lignes.
Mais Air France assure sur les long-courriers, n'est-ce pas ?
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le groupe Air France est également menacé sur les lignes long-courriers, notamment au profit des compagnies du Golfe et d'Asie, qui exploitent leurs liaisons à des coûts inférieurs. Dans la vidéo polémique des Entretiens de Royaumont, Alexandre de Juniac revient d'ailleurs longuement sur la difficulté à rivaliser avec Qatar ou Emirates Airways.
Autre grief fait aux compagnies du Golfe, les "subventions indirectes" dont elles bénéficieraient. Le PDG d'Air France, Frédéric Gagey, affirme dans un entretien au Figaro : "Chaque année, Air France et ses passagers versent quelque 500 millions d'euros à Aéroports de Paris", tandis que les compagnies du Golfe "s'acquittent de très faibles redevances aéroportuaires dans leur pays". Il rappelle que "la commission européenne s'est saisie du dossier".
La compagnie est-elle réellement en mauvaise posture ?
Un certain nombre d'indicateurs sont au rouge. Alors que les effectifs ont nettement diminué, passant de 65 000 personnes en 2004 à 52 541 fin 2014, la compagnie Air France-KLM a encore perdu 126 millions d'euros l'an dernier, selon Le Monde. Mais la direction du groupe vise l'équilibre cette année.
Mauvaise nouvelle pour les actionnaires, le cours boursier a fondu comme neige au soleil. Alors qu'elle avait dépassé les 30 euros dans les années 2000, l'action ne vaut plus que 6 euros environ début octobre 2015. La capitalisation boursière du groupe est désormais passée sous les 2 milliards d'euros. Ce qui a fait dire au patron de Ryanair, Michael O'Leary, sous forme de boutade, qu'il pourrait n'en faire qu'une bouchée. Encore faudrait-il, hypothèse improbable, que Paris le laisse faire.
L'horizon s'éclaircit-il ?
Oui, analyse Bruno Trevidic dans Les Echos. Car des mesures ont été mises en œuvre depuis le "point bas" de 2009, et l'avenir de la compagnie aérienne n'est plus menacé. Lueur d'espoir : pour la première fois en sept ans, Air France devrait dégager des bénéfices en 2015, fruit des économies diverses, dont 10 000 suppressions d'emplois en dix ans.
Quels sont les défauts d'Air France dans la course à la compétitivité ? Selon Les Echos, "un différentiel de coût d'environ 25% avec la moyenne des compagnies aériennes, hors charges sociales", et une rentabilité insuffisante pour investir à la hauteur nécessaire dans l'achat d'avions. Des handicaps suffisamment lourds, selon le journal économique, pour menacer son maintien parmi les principales compagnies mondiales. Mais les atouts ne sont pas négligeables : un pays attractif, une bonne place à mi-chemin entre Asie et Amérique et "le potentiel de croissance" de Roissy-Charles-de-Gaulle, "un des rares grands aéroports non saturés".
J'ai eu la flemme de tout lire. Vous me faites un résumé ?
Un nouveau plan d'économies drastiques a été annoncé lundi 5 octobre chez Air France. Il s'agit de faire 10% d'économies, avec des milliers de suppressions d'emplois à la clé. Pour la première fois, les pilotes, qui ont refusé de travailler cent heures de plus par an sans être payés davantage, pourraient être touchés par quelque 300 licenciements secs.
L'enjeu de ce nouveau plan ? La survie d'Air France, qui pourrait dégager en 2015 un bénéfice, n'est pas menacée, mais son maintien parmi les principales compagnies mondiales, si. Sur le court et le moyen-courrier, Air-France KLM a perdu des parts de marché face au low-cost. Sur le long-courrier, elle recule face aux compagnies asiatiques et du Golfe. Il lui reste quelques armes : le hub de Roissy, non encore saturé, un réseau étendu, et l'attractivité de la France.
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