"Les ados ne voient pas tout l'entraînement qu'il y a derrière" : des adeptes du "train surfing" témoignent
Un adolescent de 16 ans est mort, le 24 octobre, alors qu'il était debout sur une rame de la ligne 6 du métro parisien. Franceinfo a enquêté sur cette pratique aussi dangereuse que spectaculaire.
Il fait nuit à Paris. Le Britannique Rikke Brewer et trois de ses camarades passent par-dessus la barrière du métro, au niveau de la station Passy, sur la ligne 6. Ils montent sur le toit qui surplombe le quai. Ils attendent qu'un métro arrive puis sautent dessus lorsqu'il est à l'arrêt. Le métro redémarre. Les quatre jeunes hommes courent sur le toit alors que la rame passe au-dessus de la Seine et au pied de la tour Eiffel. Soudain, le métro s'arrête alors qu'il n'est qu'à moitié entré dans la station Bir-Hakeim. Les "train surfers" roulent sur le toit pour passer sous la verrière, sautent sur le quai et dévalent les escaliers pour fuir.
Cette rocambolesque virée a été postée sur YouTube, en novembre 2016, par le jeune Britannique.
C'est sur ce tronçon précis du métro qu'un adolescent de 16 ans originaire de Puteaux (Hauts-de-Seine) est mort, mardi 24 octobre, en percutant cette verrière. C'est également là qu'un Britannique de 17 ans a perdu la vie dans la nuit du 31 décembre 2016. Les deux adolescents, adeptes du parkour – discipline née en France et popularisée dans le monde par le film Yamakasi – ont tenté le "train surfing". Le principe de cette activité : s'aventurer sur les toits des métros en marche.
Entre les stations Passy et Bir-Hakeim, le segment du métro est aérien : il enjambe le fleuve qui traverse la capitale et offre une vue de carte postale. "Tous les faits de 'train surfing' que nous avons recensés sont sur la ligne 6. Aux yeux des gens qui souhaitent d'adonner à cette pratique, cette ligne présente des beaux spots, plusieurs passages y sont esthétiques", commente auprès de franceinfo Jean-Marc Novaro, sous-directeur régional de la police des transports.
"Il faut avoir une maîtrise de soi"
Le Français Leo Urban a posté une vidéo sur YouTube, le 26 octobre. On le voit notamment monter sur le toit d'une rame de la ligne 6, toujours entre Passy et Bir-Hakeim. Sauf qu'il ne saute pas depuis l'auvent de la station, mais grimpe depuis les tampons entre les wagons (à partir de 5 minutes).
"Nous vous recommandons fortement de ne pas reproduire ces cascades", avertit l'introduction de la vidéo. Un message martelé auprès de franceinfo par le jeune homme de 24 ans, qui assure être "athlète professionnel" depuis "deux ou trois ans". Pour lui, grimper sur le toit d'un métro est "très dangereux". Cela nécessite une certaine condition physique et mentale issue d'une activité sportive intensive. Il explique que le parkour est "l'art de se déplacer" avec le plus "d'utilité" et de rapidité d'un point A à un point B, et que le freerun est une discipline cousine du parkour avec un aspect plus "esthétique" et "acrobatique".
Quand j'ai commencé le 'train surfing', cela faisait au moins dix ans que je faisais du parkour.
Leo Urbanà franceinfo
"Je connaissais déjà la façon dont je réagissais en situation de risque. Pour moi, ce n'était pas plus compliqué qu'une autre action que j'avais pu entreprendre auparavant", explique-t-il. Et d'insister : "Pour faire ça, il faut avoir une maîtrise de soi, de ses émotions, de ses réflexes – parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver. Il faut être capable de réagir correctement et d'avoir les bons automatismes."
Son premier "train surfing", Leo Urban l'a fait avec deux amis, en 2014. "On s'est beaucoup renseignés avant de le faire. On est allés sur place, on a fait des repérages. Tout ça nous a pris au moins deux semaines avant de vraiment se lancer." Malgré ces préparatifs et son expérience, il était tétanisé par la peur.
La première fois, je me souviens, on a vu 'prochain train dans une minute'. On était assis sur le quai, on attendait le métro et on avait tous ce regard apeuré. On se disait tous : 'On se pisse dessus !'
Leo Urbanà franceinfo
Par la suite, pendant les trois années qu'il a vécues à Paris, Leo Urban pratiquait le "train surfing" "deux à trois fois par semaine".
Exploration urbaine et soif de liberté
Khan Le Rebelle, de nationalité russe, a fait de nombreuses sorties avec Leo Urban. Le jeune homme de 23 ans a sauté sur les toits des trains, en Russie, dès l'âge de 12 ans. Sans s'y adonner de façon assidue. En France depuis sept ans, il n'a fait du "train surfing" qu'une dizaine de fois.
Ce gymnaste, qui participait à des concours de niveau régional, se présente comme un "explorateur urbain". Il évoque une "philosophie" qui pousse à découvrir les hauteurs de la ville dans une quête de liberté et de calme.
Souvent, je monte sur des toits. Je ne suis pas en bas avec la foule, avec les gens qui sont speed, qui vont au travail. Là-haut, t'es seul, tu peux penser.
Khan Le Rebelleà franceinfo
Mister Puma, qui a inspiré Leo Urban et lui a prodigué quelques conseils pour sa première fois, a réalisé son premier "train surfing" en 2008. A l'époque, il avait 32 ans. Après une formation de cascadeur entamée à l'adolescence, plusieurs années d'arts martiaux, de gymnastique, et huit ans de freefight, il a voulu tenter un coup avec sa série de vidéos Ultimate subway.
Le métro était déjà son terrain de jeu. "J'ai commencé à trouver mon style à 30 ans et j'ai choisi le métro parce que je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas grand-monde sur ce créneau", confie le cascadeur. Le "train surfing" n'est arrivé qu'après, pour essayer de marquer les esprits : "Je voulais faire une vidéo patate."
Je galérais financièrement et je pensais qu'on allait me repérer, me faire des propositions professionnelles.
Mister Pumaà franceinfo
Pour cette première, il s'est longuement préparé. Il a fait plusieurs semaines de repérage, avait en tête le scénario, la mise en scène, les cascades à réaliser. "Je ne suis pas toujours autant dans la planification", remarque-t-il.
Sa vidéo, mise en ligne sur Dailymotion, enregistre 100 000 vues en peu de temps avant d'être retirée par la plateforme. Mais le pari ne prend pas. "Tout le monde m'a dit : 'Ouais, c'est génial', mais c'est tout. Rien de plus. J'ai compris que je ne gagnerais pas d'argent avec mes vidéos", conclut-il. Depuis, il n'a pratiqué le "train surfing" qu'en de rares occasions : "Je n'en ai pas fait tant que ça, mais suffisamment pour être à l'aise. J'ai mes petits repères, mes petits coins."
"Pas une discipline à part entière"
A la suite du dernier accident mortel à Paris, de nombreux journaux se sont alarmés des dangers de cette discipline. Au sujet du "train surfing", L'Obs a évoqué une pratique "en vogue chez les jeunes", L'Union-L'Ardennais a épinglé une "nouvelle mode dangereuse", La Voix du Nord a condamné "une discipline très à la mode dans la capitale".
Des affirmations largement exagérées. Tout d'abord, le "train surfing" n'est pas nouveau. Jean-Paul Belmondo s'aventurait déjà sur le toit du métro parisien dans Peur sur la ville (1975) (à partir de 2'35).
Parmi les multiples autres exemples, il y a cette scène de Mission impossible (1996), où Tom Cruise mène une course-poursuite sur le toit du TGV, en France (à partir de 1'13).
Ensuite, le "train surfing" n'est pas considéré comme une véritable activité par ceux qui la pratiquent. "Pour moi, ce n'est pas une discipline à part entière, ce n'est pas un sport", commente Leo Urban, le qualifiant "d'extension de sports extrêmes".
"Monter sur un métro, il y a beaucoup de variantes : la vitesse, le vent, les obstacles... C'est beaucoup de choses qu'on ne peut pas gérer. Du coup, la prise de risque est vingt fois trop grande. Nous, dans notre sport, on est sur des choses qu'on est sûrs de réussir", a expliqué à France Inter Johann, un adepte du parkour, estimant que le "train surfing" est pratiqué par des "inconscients".
Khan Le Rebelle considère aussi le "train surfing" comme une activité annexe, qu'il a d'ailleurs mise entre parenthèses. Mais il souligne qu'il existe, en Russie, des groupes d'adolescents "qui ne font que ça. Ils ne vont pas explorer la ville, les toits des immeubles, les échafaudages. Ils ne vont que sur les trains." En Inde aussi, de tels groupes existent. National Geographic en a rencontré à Bombay.
Une activité punie d'un an de prison
En France, le phénomène est de faible ampleur. "Depuis la mi-2015, on compte les événements de 'train surfing 'sur les doigts de la main", commente Jean-Marc Novaro, sous-directeur de la police des transports.
Rien ne nous dit aujourd'hui, au travers des faits recensés, que nous sommes sur une mode. C'est peut-être émergent, quelque chose qui va séduire de plus en plus de jeunes, mais vu le nombre de faits, c'est très marginal.
Jean-Marc Novaro, sous-directeur de la police des transportsà franceinfo
Combien de "train surfeurs" français ? Le chiffre est inconnu. "On n'a pas de veille nous permettant de suivre cette population précisément. Pour les tags, on a une évaluation" car "c'est un phénomène autrement plus important", explique Jean-Marc Novaro. Mais les pratiquants interrogés par franceinfo assurent que ce chiffre est extrêmement faible.
Pour endiguer le problème, la RATP répète que cette activité, punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, est "inconsidérée", rappellant que "l’environnement ferroviaire est particulièrement dangereux" : à la moindre erreur, le "train surfeur" peut chuter sur les voies et être écrasé, tomber du train, être électrocuté, heurter une paroi, etc. Des messages que la préfecture de police se contente de relayer, tout en sensibilisant les personnels de la ligne 6.
"C'est un problème de communication au niveau des ados. Ils vont tout de suite voir le beau dans les vidéos sur internet, mais ils ne voient pas tout l'entraînement qu'il y a derrière, tranche Leo Urban. Quand du jour au lendemain, tu te lances dans un truc aussi dangereux parce que tu as vu une vidéo et que ça paraît simple, c'est purement un acte d'inconscience."
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