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Pouvoir d'achat : on vous explique pourquoi les députés ont validé l'utilisation de l'huile de friture comme carburant

Un amendement déposé par les écologistes a été adopté par surprise par les députés la nuit dernière, lors de l'examen en première lecture du projet de loi sur le pouvoir d'achat.

Article rédigé par Alice Galopin - Marine Cardot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un membre de l'association "Roule ma frite" remplit une voiture diesel avec de l'huile alimentaire usagée filtrée, à Bourcefranc-le-Chapus (Charente-Maritime), le 10 mai 2022. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Un vote inattendu pour faire face à la hausse des prix à la pompe. Les députés ont approuvé dans la nuit du jeudi 21 au vendredi 22 juillet un amendement visant à autoriser l'utilisation de l'huile alimentaire usagée comme carburant. "En France, on n'a a pas de pétrole mais on a de l'huile de friture", a plaisanté Julien Bayou, le chef de file d'Europe Ecologie-Les Verts, à l'origine de cette mesure désormais inscrite dans le projet de loi sur le pouvoir d'achat, qui a été examiné en première lecture à l'Assemblée.

Les députés signataires de cet amendement estiment que rouler à l'huile de friture permet à la fois de "soulager immédiatement le porte-monnaie" des automobilistes et d'émettre moins de gaz à effet de serre qu'un moteur diesel classique. "Et bien sûr, et ça peut faire sourire, mais c'est un élément d'indépendance énergétique : il vaut mieux dépendre des baraques à frites du Nord que du pétrole des monarchies pétrolières", a affirmé Julien BayouFranceinfo vous explique cette pratique qui devrait bientôt être autorisée en France.

Un carburant compatible avec certains moteurs diesel

Pas question de verser le contenu d'une friteuse directement dans un réservoir. Pour être utilisées comme carburant, ces huiles alimentaires usagées doivent être "décantées et filtrées" en amont, précise l'amendement déposé par les écologistes.

Selon ce texte, dix litres d'huiles usagées peuvent donner huit litres de carburant. Elles peuvent ensuite être utilisées en mélange à hauteur de 30% avec un carburant classique, explique sur son site l'association Roule ma frite, spécialisée dans la collecte des huiles usagées et leur transformation en carburant. L'amendement avance qu'il peut être envisageable de rouler intégralement à l'huile alimentaire usagée "moyennant certaines adaptations" sur le véhicule.

Toutefois, tous les véhicules ne sont pas adaptés pour rouler à l'huile alimentaire usagée, même partiellement. Seuls les moteurs diesel de conception ancienne sont compatibles, et à condition d'avoir été équipés d'un modèle de pompe à injection spécifique pour acheminer le carburant jusqu'à la chambre de combustion, détaille l'association Roule ma frite.

Une pratique officiellement interdite, mais des expérimentations locales

En France, rouler avec de l'huile alimentaire est aujourd'hui une pratique "interdite", rappelle l'amendement. Seuls les carburants homologués et listés dans le code des douanes sont autorisés. Circuler avec de l'huile alimentaire usagée constitue donc une infraction douanière, puisque celle-ci n'est pas concernée par les taxes qui s'appliquent sur les carburants reconnus. Par ailleurs, "les véhicules diesel sont assurés pour rouler au gazole uniquement, met en garde Roule ma frite. Ainsi, en cas d'accident grave, il se peut que cela se retourne contre le conducteur du véhicule."

En pratique, certaines dérogations ont toutefois été accordées localement. Par exemple, l'agglomération de Béthune-Bruay (Pas-de-Calais) expérimente depuis l'automne un carburant composé à 100% d'huiles alimentaires transformées pour faire tourner ses camions-poubelles, rapporte France Bleu. Auparavant, elle utilisait déjà, depuis 2019, un carburant composé à 30% d'huile de friture traitée et à 70% de gazole.

Sur l'île d'Oléron (Charente-Maritime), l'association Roule ma frite 17 collecte et filtre les huiles usagées des restaurateurs et cantines. Ces huiles ont notamment servi à alimenter pendant deux ans le petit train touristique de l'île. "En 2010 et 2011, nous avions obtenu des dérogations auprès de la Direction générale de l'énergie et du climat et de la Direction générale des douanes et droits indirects", raconte auprès de franceinfo Grégory Gendre, fondateur de l'association Roule ma frite 17.

Les porteurs de l'amendement plaident donc pour une généralisation de cette pratique, dans un contexte où "l'Europe encourage le recours à ce type de biocarburants". En effet, le projet RecOil, soutenu par la Commission européenne, vise lui aussi à encourager la reprise et le traitement des huiles ménagères usagées.

Une huile moins polluante et plus économique que le diesel, selon les écologistes

Ce n'est pas seulement pour l'amour des frites que le député Julien Bayou a proposé cet amendement. Les écologistes sont convaincus des avantages qu'apporterait le recyclage de l'huile de friture en carburant, tant au climat qu'au porte-monnaie des Français. "Ce carburant rejette jusqu'à 90% de gaz à effet de serre en moins qu'un diesel classique, émet beaucoup moins de particules fines", vantent les auteurs du texte. 

Autre avantage selon le groupe écologiste : l'utilisation des huiles usagées permet d'éviter qu'elles ne se retrouvent dans les eaux usées. Les huiles non recyclées risquent d'obstruer les canalisations et de perturber le retraitement dans les stations d'épuration, selon l'amendement déposé.

Enfin, l'huile usagée est aussi moins chère. Et les députés écologistes y voient un moyen d'agir sur le pouvoir d'achat des Français. Alors que les prix des carburants frôlent les 2 euros le litre, l'huile de friture s'avère moins onéreuse. Par exemple, dans le cadre de l'expérimentation menée sur les camions-poubelles de Béthune-Bruay, le maire de la ville explique auprès de France Bleu que cette solution coûte 1,30 euro le litre. 

Des arguments auxquels la rapporteure de la loi pouvoir d'achat Charlotte Parmentier-Lecocq a été sensible. La député du Nord a parlé d' "une pratique qui existe, qui a de nombreuses vertus, mais qui nécessite encore des encadrements". Elle a donc donné un avis favorable à l'amendement à condition que cette pratique soit validée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), et que les huiles usagées ne polluent pas plus que les autres carburants. 

Sur la même ligne, la ministre de la Transition énergétique Agnès Panier Runacher a rappelé la nécessité d'encadrer cette pratique "tant pour la santé humaine qu'en terme de mécanique et de sûreté des moteurs." Elle a aussi rappelé que les huiles végétales alimentaires usagées servent déjà à la fabrication de certains biocarburants autorisés. Elle n'a donc pas donné de consigne de vote, s'en remettant à "la sagesse" des députés, qui ont adopté l'amendement. 

Mais une solution qui présente des risques pour le moteur et qui n'est pas disponible en grande quantité

Tout le monde n'est pas convaincu par les bienfaits de ces huiles. "Cela peut provoquer des problèmes mécaniques plus ou moins graves selon les véhicules (encrassement du moteur, injecteurs et catalyseurs)", juge Emilie Repusseau, secrétaire générale adjointe de la Fédération nationale de l'automobile (FNA), auprès de TF1.

Plus globalement, l'association environnementale Canopée estime quant à elle que la légalisation de ce carburant de récupération ne changera rien au problème global de pouvoir d'achat des Français. "Le recyclage des huiles usagées peut être intéressant localement dans un contexte d'économie circulaire, mais les volumes sont tellement réduits que le gain de pouvoir d'achat sera marginal", note Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de l'association Canopée.

Du côté de Roule ma frite, Grégory Gendre confirme que la réutilisation des huiles de cuisson en France ne pourra pas couvrir à elle seule la consommation de carburants. Mais, selon lui, si l'huile usagée est utilisée à l'échelle locale et "fléchée vers la mobilité sociale pour permettre à des personnes isolées de faire des courses ou d'aller chez le médecin, alors, le territoire qui a produit des déchets aura aussi produit une ressource qui répond à ses besoins."

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