Prix des carburants : "L'Etat peut baisser les taxes mais le manque à gagner serait trop important"
Pour comprendre la hausse actuelle du gazole et de l'essence, franceinfo a interrogé Philippe Chalmin, spécialiste des marchés des matières premières.
Encore un record à la pompe. Les prix des carburants ne cessent de grimper. Le litre de gazole, le carburant le plus utilisé en France, a atteint 1,67 euro en moyenne et le super sans plomb 95 culmine à 1,75 euro, selon des chiffres hebdomadaires du ministère de la Transition écologique arrêtés vendredi 28 janvier. Pour comprendre les raisons d'une telle hausse, franceinfo a interrogé l'historien et économiste Philippe Chalmin, spécialiste des marchés des matières premières.
Franceinfo : Comment expliquer l'augmentation des prix des carburants ces dernières semaines ?
Philippe Chalmin : En France, il y a trois éléments qui composent le prix des carburants : le prix du baril de pétrole pour un tiers environ, les marges des distributeurs et les taxes (la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TVA...) pour environ 60% du prix. Ce qui joue en ce moment sur la flambée des prix, en plus de la montée du prix du baril, c'est le cours du dollar. L'euro a fortement baissé avec un taux de change de 1,13 euros pour un dollar. Cela renchérit le prix du baril et très logiquement, les prix des carburants grimpent aussi.
"Sans oublier que les taxes, qui sont proportionnelles au prix des carburants, augmentent elles aussi."
Philippe Chalmin, historien et économisteà franceinfo
Quelles sont les raisons de la hausse du prix du baril de pétrole ?
Il y a d'abord la demande qui est plus forte avec l'actuelle reprise des activités économiques. Nous devrions retrouver le niveau de consommation d'avant la pandémie dans le courant de cette année. L'offre devrait suivre l'augmentation de la demande, avec un rebond de la production américaine qui pourrait jouer sur le marché mondial.
"En attendant, les volumes de production sont en deçà de la demande. Ce qui fait qu'à très court terme, nous allons avoir encore quelques problèmes d'approvisionnements."
Philippe Chalmin, historien et économisteà franceinfo
Actuellement, bien que l'Opep, l'organisation qui réunit les principaux pays exportateurs de pétrole, se soit engagée à augmenter légèrement sa production de 400 000 barils par jour, les quotas sont difficiles à tenir en raison de problèmes techniques, comme en Angola, au Nigéria ou en Equateur, où un pipeline a dû être récemment fermé car il fuyait. D'autres pays extracteurs, comme la Libye, font face, eux, à des problèmes de stabilité politique. Tout cela joue sur les volumes produits et donc le prix. Normalement, l'intérêt de l'Opep et de la Russie est que les prix ne flambent pas trop.
Le prix du baril pétrole peut-il à nouveau atteindre des records historiques ?
Je ne pense pas que le prix du baril va augmenter jusqu'à atteindre le niveau historique de 2008 où il était à 147 dollars, ni même ceux atteints entre 2010 et 2013, où les prix fluctuaient entre 100 et 120 dollars. Sauf, bien sûr, si un gros accident géopolitique arrivait sur la scène internationale, comme une guerre en Ukraine. Le prix du gaz pourrait alors s'envoler et celui du pétrole dans la foulée.
"Si par exemple vous aviez une guerre civile qui éclatait en Arabie saoudite, le baril grimperait à 200 dollars."
Philippe Chalmin, historien et économisteà franceinfo
Le baril est pour le moment à un peu moins de 90 dollars. Même s'il pourrait éventuellement monter jusqu'à 100 dollars, il devrait rapidement plafonner. En 2022, il devrait redescendre aux alentours de 75 dollars, ce qui ferait une différence de 10 centimes le litre à la pompe.
Combien de temps pensez-vous que cette flambée des prix va durer ?
Comme il y a toujours un temps de réaction, de 8 à 10 jours, entre l'augmentation du prix d'achat du baril pétrole et sa répercussion sur les prix à la pompe, l'augmentation devrait durer encore jusqu'au milieu de la semaine prochaine, selon toute probabilité. Sauf si le prix du baril augmente à nouveau, bien évidemment. Cela décalerait d'autant la période de flambée.
L'Etat a-t-il les moyens de freiner cette augmentation ?
L'Etat n'a aucun moyen pour influer sur l'augmentation des prix du carburant. Il peut seulement baisser les taxes, mais cela n'est pas dans son intérêt, car le manque à gagner serait trop important. Baisser d'un centime la TIPCE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), cela représente 500 millions d'euros de perte pour le gouvernement et cela n'aurait aucune incidence pour le consommateur.
"Pour que la baisse se ressente vraiment à la pompe, il faudrait au moins une baisse de 10 centimes, mais ce sont 5 milliards d'euros qui viendraient à manquer dans les caisses de l'Etat."
Philippe Chalmin, historien et économisteà franceinfo
C'est pourquoi le gouvernement essaie de toucher directement les personnes qui utilisent leur voiture : avec le chèque carburant et la revalorisation du barème des indemnités kilométriques. Mais cela ne concerne pas tout le monde.
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