Pourquoi y a-t-il encore des Premières dans les TGV (et d'autres questions que vous vous posez peut-être sur les classes SNCF)
Dans les métros parisiens, la première classe a été supprimée en 1991, avant de l'être sur le Réseau express régional en 1999. Du côté de la SNCF, si elle a été abandonnée sur certains TER, elle perdure sur les trajets à grande vitesse, à l'exception des Ouigo. Alors que le patron de la SNCF Jean-Pierre Farandou souhaite de nouveaux investissements pour ces lignes, afin de doubler la part du ferroviaire dans les transports, la première classe est-elle toujours adaptée aux usagers du train ?
La première classe, c'est quoi ?
Les différences entre la première et la seconde classe reposent d'abord sur le confort, permis par un nombre de sièges de 15 à 20% moins important dans une voiture : sièges et tablettes plus larges, prise électrique et liseuse individuelle, place isolée... "Si on se concentre sur les TGV, la première classe représente trois voitures sur huit", précise Gilles Dansart, journaliste et directeur de Mobilettre. À titre d'exemple, une rame Oceane Duplex, avec une salle haute et une salle basse, compte 158 places en première classe contre 398 pour la seconde.
Ces voitures "de luxe" ne sont d'ailleurs pas uniformes. En plus des bonus déjà cités, la SNCF propose des services supplémentaires pour les détenteurs de billet "Business Première", sur des lignes vers Lille, Marseille, Rennes ou Montpellier : un accès privilégié aux quais, un "salon grand voyageur", distribution d'une boisson froide ou chaude...
Ce confort et ce service ont un coût. Même si le chiffre global est difficile à estimer en raison des abonnements et de la fluctuation des prix de dernière minute, "les voyageurs première payent en moyenne 50% de plus" que pour un billet de seconde, estime Yves Crozet, professeur émérite à Sciences Po Lyon et membre du laboratoire aménagement économie transport au CNRS.
La première classe, pour qui ?
Dans une enquête réalisée en 2019, l'Autorité de régulation des transports a tenté d'établir le profil des utilisateurs de la première classe. Plus de la moitié d'entre eux sont des hommes de plus de 50 ans (55%), et une majorité gagne plus de 4 000 euros par mois (51%). Si l'on prend en compte les motifs de voyage, près d'un tiers des quelque 7 409 interrogés justifie leur déplacement par des raisons professionnelles (32%), plus que pour la seconde classe (27%) et beaucoup plus que pour les Ouigo (12%).
"Je ne vais jamais en première quand je me déplace pour des raisons personnelles", explique par exemple Jean-Marie, avant de grimper dans sa voiture première direction Lyon depuis Paris, "mais pour le boulot, ça me permet de travailler quatre heures dans le train". "C'est un lieu de travail pour moi", appuie Grégoire, lui aussi prêt à payer plus cher pour "les accoudoirs ou le calme. J’ai besoin d’un endroit où je me ressource. Quand je mets mon pc sur une table de seconde, il y a à peine la place de mettre une souris".
Le ruissellement sur les rails ?
Si l'on en croit Gilles Dansart, la SNCF peut se servir de la première classe comme d'un levier pour assurer des prix plus bas dans les autres voitures : "D’une certaine façon, quand le gouvernement a obtenu une limitation à 5% du billet moyen en 2023, la SNCF a choisi de laisser partir à la hausse les prix de la première classe et de rester extrêmement mesurée, voire de bloquer les tarifs Ouigo et les produits d’appels."
"C’est une sorte de redistribution sociale-démocrate. La SNCF va prendre l’argent chez les plus fortunés pour diminuer les tarifs des plus modestes."
Gilles Dansartà franceinfo
D'après le directeur de Mobilettre, "la tendance consiste à plafonner les tarifs seconde classe, il n’y a rien de tel en première. Quand il y a beaucoup de demande, les prix s’envolent, on peut vite trouver des billets à 180 euros pour un voyage aller Paris-Bordeaux". Il existe cependant quelques exceptions, avec des prix tirés vers le bas lorsque les voitures concernées ne sont pas pleines. Certains billets de première pris à la dernière minute peuvent être réservés pour trois ou quatre euros de plus qu'un billet de seconde.
Un modèle rentable pour la SNCF ?
Même si "le taux de remplissage TGV est l’un des secrets les mieux gardés" de la SNCF, explique le journaliste (la compagnie ferroviaire n'a d'ailleurs pas souhaité répondre à nos questions), la première est plus rentable que la seconde, malgré un nombre de sièges moins importants. "On peut même considérer que la première classe est la première source de rentabilité et de profit pour l’opérateur SNCF", poursuit Gilles Dansart. "Les prix qui sont pratiqués peuvent être élevés, pour un investissement et des services qui sont assez vite amortis. On a tendance à dire 'on remplit le train avec la seconde classe, on fait des affaires avec la première'".
De son côté, Yves Crozet précise qu'un "wagon de première classe rempli, avec des voyageurs qui payent le prix de la première classe, rapporte 10% de plus qu’un wagon de seconde rempli", précise de son côté Yves Crozet. "Mais tout cela est très théorique, en fonction des abonnements, du jour du voyage, de la date d’achat… Ça reste tout de même pour la SNCF un moyen d’augmenter la recette moyenne par voyageur."
Quel avenir pour la première classe ?
Dès lors, la SNCF n'a aucun intérêt à rogner sur la première classe. La fréquentation a pourtant connu des périodes de creux ces dernières années, notamment à la suite de l'épidémie de Covid-19. Avec le succès du télétravail et des visioconférences, "la clientèle première classe est moins nombreuse qu’avant l’épidémie", constate Yves Crozet, "mais c’est une baisse qui a commencé dès 2008-2009, avec une baisse du nombre de voyages d'affaires. On utilisait déjà la visioconférence à ce moment-là".
La situation ne devrait pas perdurer, avec l'arrivée dans les gares d'une nouvelle clientèle : les habitués des vols intérieurs. Début décembre 2022, la Commission européenne a donné son feu vert à l'interdiction des vols lorsqu'un trajet de moins de 2h30 est possible en train. Tout comme pour les liaisons entre l'aéroport de Paris-Orly et Nantes ou Lyon, "Orly-Bordeaux est interdit en avion, donc il y a une sorte de report d’une clientèle aérienne vers le train, constate Gilles Dansart, "et ce genre de clientèle préfère voyager en première qu’en seconde". Face aux "nouvelles étapes" dans l'interdiction des vols intérieurs annoncées par le ministre des Transports Clément Beaune, la SNCF pourrait ainsi gonfler ses chiffres de remplissage en première classe dans les années à venir.
L'ouverture à la concurrence, timide à l'heure actuelle, va aussi peser dans les décisions futures. Pour l'instant, le seul exemple reste celui de Trenitalia, avec la liaison Paris-Lyon-Milan. La compagnie "met en place des billets première, deuxième, troisième ou quatrième classe, avec des niveaux de conforts différents", détaille le directeur de Mobilettre. "Plutôt que cette dichotomie première-seconde classe, on se dirigerait plutôt vers plusieurs classes en fonction des demandes de confort et de services des voyageurs."
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