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Récit "Le choc était inévitable" : comment le conducteur d'un TER a dû gérer seul un accident sur un passage à niveau dans les Ardennes

Le 16 octobre, un TER a percuté un convoi exceptionnel à Boulzicourt. L'accident a fait onze blessés légers. Dans les jours qui ont suivi, un mouvement social national s'est enclenché chez les cheminots pour dénoncer le dispositif "équipement agent seul".

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le TER accidenté près de Saint-Pierre-sur-Vence (Ardennes), le 16 octobre 2019. (MAXPPP)

Le train a sifflé deux fois. Il est 16h12, mercredi 16 octobre, quand le conducteur du TER qui relie Sedan à la gare de Champagne-Ardenne TGV aperçoit l'énorme tracteur agricole rouge vif du convoi routier immobilisé sur le passage à niveau de Boulzicourt, dans les Ardennes. Une personne, de dos, est sur la voie, à 250 mètres. Le conducteur freine d’urgence et fait usage du sifflet. Mais l'homme ne bouge pas. Deuxième coup de sifflet. La personne s'écarte enfin. Lancé à 136 km/h, le TER percute le convoi routier, faisant onze blessés légers.

"Le choc était inévitable", conclut le rapport d'enquête de la SNCF, publié vendredi 25 octobre [PDF]. L'onde de choc chez les cheminots sera, elle, nationale. Dans les jours qui ont suivi, de nombreux salariés ont fait valoir leur "droit de retrait" face au danger que représente, selon eux, le fait que le conducteur soit seul dans certains trains, comme celui accidenté. De son côté, la direction de la SNCF a annoncé plusieurs mesures mais ne compte pas revenir sur le dispositif "équipement agent seul".

"J'ai entendu un énorme 'boum'"

Au moment précis de la collision, le 16 octobre, le TER n°840808 roule encore à une vitesse d'environ 118 km/h. Le conducteur s'accroupit rapidement derrière le siège pour se protéger. "J'ai entendu un énorme 'boum'", raconte Cyril Camus, riverain de la voie ferrée, côté Saint-Pierre-sur-Vence, à L'Union. Le choc est tellement violent que le tracteur qui barrait la voie se détache de son convoi et se couche. La cabine du tracteur est projetée à plusieurs mètres et prend feu. Un morceau de carrosserie atterrit même dans le jardin de Christiane, tout proche. "Heureusement que je n'étais pas en train d'étendre mon linge !", frémit la retraitée de 76 ans, dans Le Parisien

Le TER, lui, déraille de deux bogies (ces chariots situés sous le véhicule où sont fixées les roues), mais reste debout. Le train s'arrête finalement 400 mètres en aval du passage à niveau. Dès l'arrêt, le conducteur ressent un choc à la jambe gauche. Il constate aussi que la "casquette" de l'avant du pupitre s'est soulevée, le pare-brise est lui fissuré. La cabine de conduite est secouée, mais ce n'est rien par rapport à l'état extérieur du train. Sur les photos, on voit "le capot" avant complètement explosé. "Les dispositifs d'absorption de choc en nez de cabine ont joué pleinement leur rôle", note le rapport de la SNCF.

Des passagers sortent par des vitres brisées

Le conducteur observe depuis la fenêtre de la cabine que le TER a déraillé et que la rame dépasse sur la voie adjacente. Il active alors le Signal d'alerte radio (SAR), afin de prévenir au plus vite le centre de contrôle et stopper la circulation des trains sur la zone. Problème : rien ne se passe au moment de l'actionnement du signal. Et pour cause : l'alimentation électrique a été complètement perdue à la suite du choc et de nombreux équipements ont été détruits.

Le conducteur sort alors de sa cabine par la porte arrière, donnant directement sur l'espace voyageurs. A bord du train, on compte 62 personnes, dont deux femmes enceintes, mais aucun autre agent de la SNCF n'est présent. Une dizaine de passagers ont été blessées dans la collision. Et certains d'entre eux sont en train de sortir du TER de leur propre initiative. Ils "tentaient de briser les vitres pour sortir du train", raconte une voisine, au Parisien. Le conducteur sort lui-même par une fenêtre ouverte, la première porte d'accès étant bloquée à cause de la déformation du train dans le choc.

Le conducteur, blessé, doit éviter le sur-accident

A ce moment-là, le danger est loin d'être circonscrit pour les passagers. Le conducteur a en réalité une priorité : éviter un sur-accident avec un autre train. Il part alors à pied, malgré sa blessure, pour placer un signal d'arrêt, une torche à flamme rouge et des pétards à plusieurs centaines de mètres en amont du train accidenté. En même temps, il appelle la gare de Charleville-Mézières avec son téléphone portable, à 16h16. En quelques minutes, l'information remonte aux agents de circulation : ils arrêtent d'urgence un autre TER roulant à proximité et assurent la protection de la zone.

Dans le même temps, deux autres personnes ont prévenu la SNCF : un témoin se trouvant près du passage ainsi qu'un passager blessé, signalant d'autres voyageurs ayant reçu des éclats de verre. De retour au niveau de son train, le conducteur constate que les secours sont arrivés sur place pour prendre en charge les voyageurs. Il demande tout de même aux pompiers d'attendre l'arrivée d'un agent SNCF avant d'évacuer les personnes vers le passage à niveau en toute sécurité. Un pylône soutenant les caténaires arrachées dans le choc présente notamment des risques.

Onze personnes blessées au total

Finalement, onze personnes, dont le conducteur, sont blessées et certaines sont transportées à l'hôpital pour des contrôles. Sur les lieux de l'accident, plusieurs caténaires ont été endommagées, ainsi que des rails. De nombreux trains ont dû être immobilisés dans la région et le trafic a été interrompu le temps des réparations nécessaires. Le lendemain, la rame endommagée est rapatriée à 10 km/h en gare de Charleville-Mézières.

L'action du conducteur est saluée par la SNCF et les pouvoirs plublics. "La sécurité, effectivement, elle est dans l'ADN de tous les cheminots et moi je veux rendre hommage au très grand professionnalisme du conducteur qui a eu les bons réflexes", déclare la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne, mardi 22 octobre à l'Assemblée nationale. Mais quelques jours après l'accident, le conducteur est "encore choqué", selon une contrôleuse de la région, citée dans Le Parisien : "Il a coupé son téléphone depuis plusieurs jours pour s'isoler et se reconstruire."

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