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Tribune "Pourquoi je ferme ma boutique de journaux"

Après avoir tenu huit ans une maison de la presse rue de Babylone, Sophie David a dû fermer boutique cet été. Elle explique pourquoi il n'est plus possible, pour un petit magasin, de vivre de la vente de journaux.

Article rédigé par franceinfo - Sophie David
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Publié Mis à jour
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Sophie David se tient vendredi 21 août 2015 devant son magasin de journaux fermé depuis le 18 juillet. (ANNE BRIGAUDEAU / FRANCETV INFO)

"Votre point de vente ne rouvrira pas. C'est avec soulagement et tristesse que je ne reprendrai pas mon activité à la rentrée..." Le 18 juillet dernier, Sophie David a fermé son magasin de journaux rue de Babylone, dans le très cossu 7e arrondissement de Paris, en placardant ces quelques lignes sur la porte de sa boutique. Reproduit des centaines de fois, ce petit mot (diffusé sur Twitter par une journaliste de francetv info) a bouleversé les réseaux sociaux. Francetv info donne la parole à Sophie David. Elle s'exprime ici librement.

De 2007 au 18 juillet 2015, j’ai tenu un point de vente "presse papeterie confiserie" dans le 7e arrondissement de Paris. Un petit magasin de 20 m2 qui proposait l'ensemble de la presse.

C'est fini. J'ai fermé définitivement boutique. Je ne ferme pas parce que c’est la crise dans notre pays. Je ne ferme pas parce qu’internet et les tablettes ont tué le support papier. Je ne ferme pas à cause des abonnements. Je ferme car je suis totalement dépendante d'un modèle économique consternant de contradiction et d'injustices. Je suis victime d'un système où l'on ne peut ni choisir les quantités ni privilégier les titres qui se vendent. Un système où l'on est pieds et poings liés par son distributeur.

Huit semaines pour obtenir un titre manquant

Réalisez à quel point ce système ne fonctionne plus ! Quand on me demandait un titre nouveau ou en quantité supplémentaire dans le 7e, je mettais jusqu'à huit semaines pour l'obtenir. Huit semaines, à l'heure d'internet ! Ajoutez-y le fait de devoir payer comptant les journaux débités, alors que le remboursement des invendus se fait des semaines plus tard : on sert de trésorerie au distributeur [Presstalis].

Pimentez avec les imprévus, les grèves, avec les e-mails arrivant trop tard pour nous prévenir de l'absence de tel ou tel journal. Il y a eu des grèves pendant des semaines à l'imprimerie du Monde, sans que personne n'intervienne.

Quinze jours après l'attentat, il n'y a plus eu d'engouement ni pour Charlie ni pour la presse

Je ferme car mon magasin, trop petit, n’intéresse plus ni les pouvoirs publics, ni les sociétés qui diffusent les journaux, ni les éditeurs de presse. On aurait pu croire à un sursaut, à une prise de conscience collective de l'importance de la presse papier au moment de l'attentat contre Charlie Hebdo, en janvier de cette année. Mais ce moment a été très ambivalent.

Il a fallu cette horreur pour que les gens se rendent compte de l'importance de la liberté de la presse, de la liberté d'expression. Un dessin imprimé sur le papier était au cœur des débats. Je pensais qu'on saisirait l'importance du papier. Mais non : quinze jours après l'attentat contre Charlie, il n'y a plus eu d'engouement ni pour Charlie ni pour la presse. 

Je n'ai jamais vu un homme politique entrer dans mon magasin pour acheter un journal

Je suis triste, ai-je écrit sur mon mot d'adieu placardé sur ma boutique fermée, quand je pense à mes clients. Spécialement à certains d’entre eux qui se reconnaîtront, que j’ai apprécié côtoyer et servir, et qui devront faire un bout de chemin en plus pour se procurer leur journal. A l'inverse, dans ce 7e arrondissement au cœur du pouvoir politique, tout près de plusieurs ministères et de Matignon, je n'ai jamais vu un homme politique entrer dans mon magasin pour acheter un journal.

Mais je suis soulagée aussi car, certains clients le savent, il ne m’était plus possible de continuer à ouvrir six jours sur sept, dix heures par jour, et ce sans salaire, entre le fournisseur à régler immédiatement, le loyer, les charges, etc. Il faut savoir qu'un numéro du Monde me rapporte à peine 18% de son prix de vente. Sur 2,20 euros, aujourd'hui, faites le calcul. Même pas 40 centimes. 

La passion de la presse, je continuerai à la partager

Lorsque j’ai acheté ce fonds de commerce voilà huit ans, je ne pensais pas faire fortune : je voulais vivre de ma passion sans plus de prétentions. Un luxe (j’en suis consciente) qui s’est transformé en déroute financière, dans l'indifférence des pouvoirs publics, du diffuseur et des éditeurs de journaux, tout cela sans considération pour les lecteurs. Qui continuerait dans des conditions pareilles ?

J’aime passionnément la presse, le support papier, son contact et continuerai de la lire et de l’acheter dans un point de vente de proximité. D'abord les quotidiens, ensuite les hebdos comme Courrier international, ou Le 1 lancé récemment par l'ancien directeur du Monde, dont je suis très fan : je trouve ça intelligent et novateur. Cette passion-là, je continuerai à la partager !

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