Egypte : le président sera-t-il un islamiste ?
Grands vainqueurs des législatives, les Frères musulmans semblaient avoir le pouvoir dans le creux de la main. Mais un dissident, modéré, a pris l'avantage et les caciques de l'ex-régime n'ont pas dit leur dernier mot.
Le futur président égyptien sera-t-il un Frère musulman ? Discrets au commencement de la révolution égyptienne, les islamistes de la confrérie ont été les grands vainqueurs des élections législatives de fin 2011 et début 2012. Pourtant, ils pourraient être absents du second tour de la présidentielle qui débute mercredi 23 mai. Retour sur un an de rebondissements.
Place Tahrir, acte I : la discrétion
Fin janvier 2011, le monde entier découvre l'existence de la place Tahrir. Les manifestants contestent nuit et jour sur cette "place de la Libération" la légitimité du président Hosni Moubarak, après le succès de la révolution tunisienne.
Comme pour les autres soulèvements du Printemps arabe, les islamistes sont d'abord discrets. Pourtant, les Frères musulmans constituent la principale force d'opposition. Mais ils promettent alors qu'ils ne brigueront pas la présidence.
En 18 petits jours, les 31 ans de règne d'Hosni Moubarak sont balayés par la pression populaire.
Place Tahrir, acte II : la revendication
La confrérie des Frères musulmans a été créée en 1928. Elle mêle religion, politique et joue un important rôle caritatif auprès des plus pauvres particulièrement. Elle est considérée comme le mouvement islamiste "le plus influent du monde arabe", explique Slate, et aussi "celui qui a donné naissance au djihad (guerre sainte) moderne et l'a marié au salafisme (le désir de retour à un Islam des origines) venu d'Arabie saoudite". Avec le temps, l'organisation, dont un proche est responsable de l'assassinat du président Anouar el-Sadate en 1981, a officiellement renoncé à la violence.
Mi-novembre 2011, Tahrir est à nouveau noire de monde. Mais le ton est différent. "A l'appel des Frères musulmans et des salafistes, près de 400 000 manifestants se sont retrouvés vendredi pour réclamer l'annulation du 'document relatif aux principes constitutionnels'", écrit Le Point. Il prévoit notamment la création d'un Etat non confessionnel.
Le succès des législatives
La démonstration de force dans la rue trouve un écho dans les urnes. Le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), vitrine politique des Frères musulmans, arrive en tête des législatives. Il frôle la majorité absolue en remportant 235 sièges de députés sur 498 (environ 47%). Le parti salafiste Al-Nour arrive en deuxième position avec 121 sièges (24%).
Dans la foulée, les Frères musulmans changent d'avis sur la présidentielle. Le PLJ justifie la candidature du numéro 2 des Frères et businessman multimillionnaire, Khairat al-Chater, par "des menaces sérieuses (qui) pèsent sur la révolution et la démocratie en Égypte, dont le refus par le Conseil suprême des forces armées de former un gouvernement de coalition nationale", rapporte Le Figaro. Depuis leur victoire aux législatives, les islamistes réclament le remplacement du gouvernement formé par les militaires.
La commission constituante dissoute
Signe du bras de fer qui oppose désormais l'armée aux islamistes, le 10 avril, à moins de deux mois de la présidentielle, la justice administrative suspend la commission chargée de rédiger la future Constitution. Cette dernière est dominée par les islamistes et boycottée par les libéraux. Un recours avait été déposé auprès de la justice par des juristes et des partis politiques libéraux.
La commission désignée fin mars par le Parlement, est principalement composée de membres des Frères musulmans et de fondamentalistes salafistes. Libéraux et généraux estiment que cette commission telle qu'elle a été formée n'est pas "représentative" de la société.
Dix candidatures invalidées
Et, alors que la présidentielle entre dans la dernière ligne droite, un nouveau rebondissement secoue la course à la présidence. Dix des vingt-trois candidatures sont invalidées. Et pas des moindres. Parmi elles, figurent le candidat des Frères musulmans (condamné pour ses convictions sous Hosni Moubarak, il ne peut se présenter avant six ans), le salafiste Hazem Abou Ismaïl (dont la mère a un passeport américain) et le vice-président de l'ancien président, Omar Souleimane (car il n'a pas réussi à recueillir assez de signatures). "Ce fossile de l'ère Moubarak, soutenu par l’armée, apparaissait comme le plus sérieux concurrent des islamistes", écrit Libération, qui relève qu'"avec la mise hors jeu de ces poids lourds, la campagne est totalement relancée".
Les Frères musulmans avancent leur deuxième choix : Mohamed Morsi, qui se voit affublé du sobriquet de "la roue de secours". "Un apparatchik gris comme sa barbe et rectangulaire comme ses lunettes, (qui) reste désespérément bas dans les sondages, à un peu moins de 10%", décrit Le Monde (article pour abonnés). Le quotidien ajoute que "pendant ce temps, son ennemi juré, Abdel Moneim Aboul Foutouh, un ex-Frère musulman exclu en 2011 de la confrérie, caracole avec plus du double des intentions de vote".
La perte d'influence
Connu pour ses positions révolutionnaires, ce dernier fait la synthèse en recueillant le soutien de libéraux comme du parti salafiste Al-Nour. L'homme est parfois qualifié de "Erdogan égyptien", en référence au président turc. C'est lui qui fait maintenant figure de candidat islamiste favori, jugé "modéré". Il a d'ailleurs participé au premier débat télévisé en Egypte, face au candidat de l'ancien régime, l'ex-ministre des Affaires étrangères et ex-chef de la Ligue arabe, Amr Moussa. Un quatrième candidat peut prétendre à la victoire : l'ex-Premier ministre Ahmad Chafiq, pur produit du système politico-militaire égyptien.
Comment expliquer ce revirement ? Certes, l'entrée en campagne tardive d'un candidat sans charisme n'est pas un avantage, mais Le Monde estime que les Frères musulmans "ont accumulé une série d'erreurs tactiques (...). Oscillant sans cesse entre le camp révolutionnaire et celui de l'armée au gré de ses intérêts du moment, la confrérie a perdu la confiance des deux". Et de relever qu'elle est maintenant "isolée sur la scène politique et en butte à la concurrence agressive des partis salafistes".
L'incertitude
Toutefois, les sondages manquent de fiabilité et les Frères musulmans fondent leurs espoirs sur l'importante proportion d'électeurs encore indécis, évaluée à 37%. Ils s'appuient aussi sur leur forte implantation locale et pensent pouvoir compter sur la majorité silencieuse. Faut-il y voir un signe ? Mohamed Morsi est arrivé largement en tête du vote des expatriés, qui se sont prononcés en avance.
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