"La seule façon de réduire l'abstention dans les villes pauvres, c'est de réduire le chômage"
La démobilisation des électeurs enregistre des taux records dans les villes les plus mal loties de France. Est-ce nouveau ? Le phénomène a-t-il progressé ? Eclairage de la sociologue Cécile Braconnier.
Vaulx-en-Velin, Roubaix, Villiers-le-Bel ... Le classement des cinquante villes marquées par la plus forte abstention au premier tour des municipales dessine une géographie de la pauvreté. La deuxième ville la plus démobilisée, Roubaix, est aussi la plus démunie de France, rappelle La Voix du Nord.
Professeure de sciences politiques à l'université de Cergy-Pontoise et coauteure de La Démocratie de l'abstention (Folio), Céline Braconnier a beaucoup travaillé sur la montée de l'abstention dans les quartiers défavorisés. Et sur les moyens de lutter contre ce phénomène. Entretien.
Francetv info : Les cinquante villes les plus abstentionnistes sont presque toutes des villes pauvres. Pourquoi ?
Céline Braconnier : Il n’y a aucune surprise dans la géographie de l’abstention. Des records ont été enregistrés dans les quartiers populaires de Sarcelles [58% d'abstention sur la ville] ou à Stains [61%].
Il faut rappeler que ces taux étaient déjà très forts en 2008. Il y a eu 61,58% d'abstention à Roubaix dimanche, contre 60% en 2008. Dans les villes pauvres, on ne constate pas une progression de dix points par rapport aux précédentes municipales. Le phénomène s’est juste accentué.
La participation est très faible dans les territoires où la population est la plus jeune, où l'on rencontre les plus fragiles, les plus défavorisés. Ce sont les mêmes qu'en 2008, avec des déterminants sociaux identiques. On a tendance à insister sur les facteurs politiques de l’abstention, mais il y a de forts facteurs socio-économiques structurels, qu'on enregistrait déjà aux municipales précédentes.
On le voit bien dans le département des Hauts-de-Seine : le taux d’abstention était de 51% cette année à Nanterre [47,5% en 2008]. Un chiffre bien supérieur à celui de villes aisées comme Chaville [39%] ou Levallois-Perret [36,6%]. Au sein du même département, on observe un énorme écart.
La campagne des municipales a-t-elle eu suffisamment d’écho ou d'intensité pour avoir un effet sur les villes défavorisées ?
Non. C’était une campagne à basse intensité qui a commencé très tard, avec peu de place à la télévision. Les candidats des quartiers populaires disaient d’ailleurs que les citoyens n’étaient pas au courant.
Mais attention à la généralisation : certaines campagnes à forts enjeux locaux ont pu remobiliser, comme à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Le duel entre le maire communiste sortant Didier Paillard et le socialiste Mathieu Hanotin a limité la progression de l'abstention.
Quelle arme peut remobiliser ? Le porte-à-porte ?
Etre sur le terrain constitue la manière la plus efficace de mobiliser les abstentionnistes [pour le second tour du 30 mars], si c’est encore possible. Mais le porte-à-porte produit surtout des effets s’il existe un fort enjeu politique local.
Quand les équipes se mobilisent sur les territoires, ça joue. A Saint-Denis, il n'y a eu que 58% d’abstention contre 56% lors des précédentes municipales en 2008. Soit deux points de progression seulement, alors qu'on est passé à cinq points de hausse sur l'ensemble du territoire.
Ceci dit, il faut se résoudre à ce qu’il n’y ait pas grand-chose à faire sur des gens désenchantés. Pour remobiliser dans les villes pauvres, il faudrait diminuer le taux de chômage.
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