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Municipales 2020 : à Montpellier, un milliardaire, une écologiste, une anticapitaliste et un humoriste s'allient pour "braquer la banque"

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Montpellier (Hérault)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
De gauche à droite, le candidat sans étiquette Mohed Altrad, l'anticapitaliste Alenka Doulain et l'écologiste Clothilde Ollier discutent avec les gérants d'un tabac-presse à Montpellier (Hérault), le 16 juin 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Trois candidats recalés du premier tour ont convaincu l'homme d'affaires Mohed Altrad, qualifié lui pour le second tour, de sceller "un pacte" avec eux. Ensemble, ils représentent virtuellement près de 40% des voix exprimés mi-mars.

Mohed Altrad est assis sur le siège passager, son directeur de campagne au volant. La voiture fonce vers le quartier Estanove où le candidat aux municipales à Montpellier doit venir parler des commerces de proximité. Mais ce mardi 16 juin, dans les rues de la capitale héraultaise, le GPS ne sert à rien. "Calcul d'un nouvel itinéraire", "faites demi-tour", suggère la voix qui sort du tableau de bord. L'homme d'affaires franco-syrien préfère en sourire : "On dirait qu'on l'a perdu."

Il ne croit pas si bien dire : en choisissant à la fin mai de s'allier au second tour avec une écologiste (Clothilde Ollier), une anticapitaliste (Alenka Doulain) et un humoriste (Rémi Gaillard), la vingtième fortune française (selon le classement 2020 de Forbes) a fini de désorienter une ville pourtant rompue aux campagnes électorales sens dessus dessous. "Je vais vous dire, monsieur, c'est la campagne la plus folle que j’ai connue ici !" s'époumone Maryse, croisée sur le marché place de la Comédie. "Oh, tu peux même dire que c'est la plus folle de France", reprend, cash, son mari, Louis, les mains fourrées dans une caisse remplie de sacoches en cuir. Le vendeur glisse une tête : "Pour rester poli, on va dire que c'est baroque..."

Mohed Altrad, candidat à la mairie de Montpellier (Hérault), en discussion avec les gérants d'un tabac-presse de la ville, le 16 juin 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

A chaque déplacement ou presque, Mohed Altrad a droit à une ou deux réflexions sur ce "drôle d'attelage" qu'il a mis en place pour espérer s'asseoir dans le fauteuil de maire au début de l'été. En bon président du club de rugby local, il renvoie la balle. "Je vous concède que c'est étonnant, et alors ? Par ce que je représente aujourd'hui, les gens me classent à droite. Mais moi, je ne suis ni de gauche ni de droite, veut rétablir le novice en politique, classé sans étiquette. Je suis arrivé à l'âge de 17 ans en France, j'ai appris le français à la faculté de lettres de Montpellier. J'ai une histoire que vous connaissez, je veux travailler pour Montpellier. Le reste ne m'intéresse pas." 

"Braquer la banque"

Le "reste" est pourtant tout aussi intéressant. Ce fameux accord à quatre que personne n'a vu venir n'aurait jamais eu lieu... si Rémi Gaillard n'avait pas tiré quelques ficelles. Car c'est bien lui, l'humoriste connu pour ses vidéos comiques sur YouTube, qui a joué l'intermédiaire en coulisses. Assis dans un hall d'immeuble du centre-ville, où il nous a donné rendez-vous, tee-shirt AC/DC sur le dos, l'intéressé reprend le fil de l'histoire. "Avec 9,6%, ma liste animaliste et citoyenne passe à rien du second tour. Pareil pour Alenka Doulain et son collectif NousSommes [9,25%]. Et Clothilde Ollier, l'écolo [7,42%]. Fais le calcul toi-même. A nous trois, on représente plus de 25% des voix. On a donc signé un pacte." 

Celui que la France entière a vu "déguisé un jour en escargot", comme il le rappelle, se charge même de trouver un nom à ce trio, "le triangle des Bermudes", dont l'objectif est de "braquer la banque" pour faire "le casse du siècle", résume-t-il, plutôt content de son coup. Le candidat "antisystème", qui ne figure pas personnellement sur la liste déposée par Mohed Altrad (il a laissé la place à une colistière), a même été jusqu'à parodier l'affiche de la série espagnole La Casa de papel devenue pour l'occasion... La Casa de Montpel'.

L'humoriste Rémi Gaillard (à droite) a réalisé un montage photo avec ses alliés à l'occasion du second tour des municipales, en s'inspirant de la série espagnole "La Casa de papel". (FACEBOOK)

Mohed Altrad l'a vu, ce montage, et il assure que ça le fait rire. Il a également regardé la vidéo que l'humoriste a diffusé à la fin mai sur sa page Facebook. "Rémi a un nez rouge de clown et il se moque des candidats qui sont derrière lui, voilà", sourit l'homme d'affaires, pas plus gêné que ça. Aucun problème ? "Aucun, c'est rigolo. Rémi ne rentre pas dans des cases, c'est quelqu'un qui est à part, mais on est tous à part, glisse-t-il, en remettant les mains dans ses poches. Je sais ce qu'il fait car il se trouve que mon fils de 26 ans est un bon ami à lui, ils se fréquentent souvent." 

Moi, Mohed Altrad, je discute très, très bien avec Rémi Gaillard.

Mohed Altrad

à franceinfo

Une bonne entente que confirme Rémi Gaillard... qui s'amuse à appeler son nouvel allié "le milliardaire". "C'est vrai qu'on forme un cocktail explosif, improbable, reconnaît l'enfant du pays. Quand tu vas chez lui, on n'est pas du même monde, on ne va pas se mentir. Il y a une piscine, des dépendances. Par contre, je suis obligé d'admettre que le mec, quand il te parle, il ne parle pas de ses milliards. Il te parle avec son cœur et ça, ça me plaît." 

L'humoriste Rémi Gaillard à Montpellier (Hérault), le 16 juin 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

L'écologiste Clothilde Ollier, infirmière aux urgences, encartée à la CGT, parle aussi d'une "bonne surprise". Elle avoue n'avoir "jamais vu" Mohed Altrad avant ce rapprochement d'entre deux tours. "On n'était pas faits pour se rencontrer, je vous le confirme. Et pourtant... On arrive à se mettre autour de la table et à discuter." De tout ? "De tout, même des sujets qui fâchent." Elle prend en exemple la charte anti-béton que le trio a réussi à faire signer à l'entrepreneur pourtant proche du secteur du BTP. Mohed Altrad assume l'avoir fait "de bonne foi". "Bannir le béton tout en préservant une activité de construction et de bâtiment n'est pas incompatible", croit savoir le grand patron. 

Pile le genre de réflexion qui a séduit Alenka Doulain, dont la liste citoyenne était soutenue par La France insoumise au premier tour. "Les enjeux auxquels on est confrontés méritent qu'on dépasse les petites querelles de chapelle pour renverser ceux qui ont la ville entre les mains depuis dix ans mais qui n'ont rien fait." 

J'assume cet attelage surprenant, ça me fait sortir de notre zone de confort, ça m'oblige à penser contre moi-même.

Alenka Doulain

à franceinfo

Mais en interne, ce rapprochement avec Mohed Altrad n'est pas toujours très bien passé dans l'entourage du trio. Pour paraphraser son fameux gimmick, certains colistiers de Rémi Gaillard ont par exemple estimé que ce n'est pas en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui. Sept d'entre eux ont préféré se désolidariser, regrettant "ne pas avoir été concertés lors de cet accord". Alenka Doulain, elle, a obtenu l'accord de justesse en passant par un vote interne (54,8% de oui, 45,2% de non).

Mais c'est Clothilde Ollier qui a le moins réussi à écoper la fuite : une cinquantaine de ses colistiers ont claqué la porte. "C'est une trahison politique, s'étouffe la députée "insoumise" de l’Hérault Muriel Ressiguier, qui a immédiatement retiré son soutien à l'écolo dissidente, qui avait déjà vu son investiture retirée par EELV en janvier au motif qu’elle s’éloignait trop de la ligne du mouvement. On pensait vraiment parler en confiance avec elle. On s'est trompés, en fait. Elle négociait une alliance avec le patronat. Vous trouvez que c'est sérieux ?"

Clothilde Ollier nous assurait lors d'une conversation sur Zoom qu'il n'y avait pas de négociations avec Altrad. Tu parles...

Muriel Ressiguier, députée "insoumise" de l’Hérault

à franceinfo

Chez les adversaires, ce mariage à quatre en a fait glousser quelques-uns. "Qu'est-ce que le roi de l'échafaudage ne ferait pas pour entrer dans l'hôtel de ville ?" lance, taquin, un opposant en référence à l'activité du groupe mondial (42 000 salariés) que détient Mohed Altrad, spécialisé dans la maintenance de plateformes pétrolières, de centrales nucléaires et d'installations minières.

De "la tambouille"

C'est parler un peu vite : le socialiste Michaël Delafosse, et ses 16,66% au premier tour, a lui aussi été approché par le trio de recalés. Ce dernier nous donne sa version de l'histoire : "Dans ces discussions avec monsieur Gaillard, pardonnez-moi, mais le terme 'couilles', 'enc...', ça n'est pas le langage que nous devons utiliser dans une démocratie. Le professeur d'histoire-géographie que je suis ne peut pas légitimer ce type de langage", explique-t-il en rappelant vouloir "laisser les affaires de tambouille à ceux qui aiment la tambouille".

Michaël Delafosse (à gauche), candidat socialiste à la mairie de Montpellier (Hérault), en discussion avec des habitants de la ville, le 16 juin 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Le maire sortant, élu en 2014, Philippe Saurel, arrivé en tête mi-mars avec 19,11% des suffrages, n'a pas beaucoup plus envie de s'étaler sur le sujet. Celui qui est élu au conseil municipal de Montpellier depuis 1995 évoque juste "une conjonction d'intérêts" face à lui. C'est "une alliance ni crédible, ni risible mais hétéroclite", répète-t-il, prudent. Avant de concéder que "c'est quelque chose qui est dans l'ADN de Montpellier".

Pas entièrement faux. Emmanuel Négrier n'a d'ailleurs pas assez de sa bouteille de soda pour nous énumérer les précédents. "Georges Frêche a toujours été mal avec le PS à Paris, Jacques Blanc était le vilain petit canard de la droite qui s’allie avec le FN en douce pour arriver au pouvoir, rappelle le politologue au CNRS de Montpellier. Si vous regardez dans l’histoire politique de Montpellier, c'est le cas depuis des lustres." 

Ce qu’il y a de spécifique ici, c'est cette politique de mauvais garçons, de 'bad boys'. Cela consiste à faire de la politique avec un moteur qui est le conflit. Et un conflit qui peut être dur, très dur. Avec des sentiments, de la passion, des retrouvailles, des engueulades...

Emmanuel Négrier, politologue au CNRS de Montpellier

à franceinfo

Et cette campagne 2020 ne serait qu’un épisode de plus. Reste maintenant à voir le résultat dans les urnes. "Si on cumule le score du premier tour de Mohed Altrad et des trois candidats avec qui il s'est allié, on obtient pas loin de 40%, calcule de tête Emmanuel Négrier. Mais ce capital n'est, pour le moment, que virtuel. Dans l’arithmétique du second tour, 1 et 1 ne font jamais 2." 

C'est d'ailleurs ce que semble montrer le premier sondage réalisé par l'Ifop pour La Tribune, diffusé le 17 juin. Le candidat socialiste Michaël Delafosse est donné gagnant avec 39% des intentions de vote, devant le maire sortant Philippe Saurel (34%). Un peu plus loin derrière, Mohed Altrad ferme la marche avec 27%. Son GPS a encore quelques jours pour trouver le chemin de la victoire.

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