Election présidentielle : "C'est une équation très compliquée pour Marine Le Pen mais pas complètement perdue", selon un politologue
Jean-Yves Camus, co-directeur de l'Observatoire des radicalités politiques, estime que Marine Le Pen devra "convaincre les électeurs qui sont restés chez eux" à voter pour l'élection présidentielle.
La présidentielle de 2022 "est une équation très compliquée pour Marine Le Pen mais pas complètement perdue", analyse le politologue et co-directeur de l'Observatoire des radicalités politiques Jean-Yves Camus dimanche 4 juillet sur franceinfo, après la réélection quasi à l'unanimité de Marine Le Pen à la tête du Rassemblement national ce dimanche lors du Congrès du parti à Perpignan.
franceinfo : Marine Le Pen dit qu'elle ne reviendra pas au Front national. Mais y-a-t-il une véritable évolution alors qu'elle aborde toujours les mêmes thèmes ?
Jean-Yves Camus : On ne change pas une formule qui gagne. Il y a plusieurs manières de formuler ces thèmes et c'est vrai qu'il y a des différences notables entre la façon qu'utilisait Jean-Marie Le Pen et celle que, dès 2011, Marine Le Pen a entendu mettre en œuvre au sein de sa formation. Par exemple, ce refus des provocations répétées qui avaient rendu impossible tout élargissement du Front national, même si aux élections législatives de 1986, Jean-Marie Le Pen avait réussi à faire venir un certain nombre de transfuges de la droite d'alors qui se sont éloignés très très vite avec, en 1987, sa fameuse déclaration comparant la Shoah à un détail de l'Histoire. Toujours est-il que Marine Le Pen a reparlé d'immigration, dans des termes extrêmement clairs en annonçant ce référendum dont elle entend faire la priorité des débuts de son quinquennat, en rappelant aussi que "nous ne mettrons jamais un genou à terre" - référence aux manifestations qui ont suivi le mouvement Black Lives Matter, y compris en France - c'est l'expression du refus de toute repentance. Marine Le Pen, en mettant le sujet de l'immigration en avant, essaie de le faire sans outrance, de façon à ne pas dresser contre elle autant de monde que son père avait contre lui.
Le Rassemblement national poursuit donc sa dédiabolisation. Comment qualifier ce parti aujourd'hui ?
Il y a une chose qui est intéressante, c'est cette charte que le RN a signé vendredi avec le parti de Viktor Orbán, Premier ministre hongrois, et celui au pouvoir en Pologne représenté par Jaroslaw Kaczynski. Tous les deux se réclament de la démocratie libérale. Ces partis acceptent le jeu de la démocratie, ils entendent bien arriver au pouvoir par les urnes, pas par une forme de révolution violente ni par la pression de la rue. Mais pour autant cette démocratie n'est pas la démocratie libérale traditionnelle. Les conceptions du peuple, de la Nation, des libertés publiques, diffèrent de celles qui sont en vigueur actuellement en Europe. Je crois qu'on doit réfléchir à l'utilisation du terme "extrême droite" parce qu'il renvoie inévitablement à ce qu'étaient ces partis il y a 30 ou 40 ans, à l'extrême droite traditionnelle avec évidemment en point d'orgue le fascisme et le national-socialisme. A l'époque de Jean-Marie Le Pen, beaucoup de gens parmi les opposants au FN n'hésitaient pas à dire que ce parti était fasciste, voire nazi, or, c'est évidemment une ligne qui est intenable aujourd'hui. Cela n'empêche que sur un certain nombre de points, que ce soit la question du droit du sol versus le droit du sang, la question de l'immigration, les questions sur la société multiculturelle, il y a des oppositions qui sont frontales entre l'immense majorité du spectre politique, de gauche comme de droite et le Rassemblement national. C'est une autre sorte de clivage.
Comment le RN va-t-il séduire un nouvel électorat pour la présidentielle, tout en conservant sa base traditionnelle ?
Il va d'abord falloir qu'il retrouve sa base traditionnelle parce que le taux d'abstention aux élections régionales et départementales a gravement affecté les résultats du parti qui se retrouve avec 130 conseillers régionaux en moins et moitié moins de conseillers départementaux, ce qui aura évidemment une incidence dans beaucoup de domaines y compris financiers. Donc il va falloir convaincre les électeurs qui sont restés chez eux que l'élection présidentielle, c'est autre chose, que c'est là que tout se joue. Est-ce que ça va marcher ? Ça dépendra de beaucoup de choses. D'abord, on ne sait absolument pas dans quelles conditions se tiendra la présidentielle de 2022 du point de vue de la pandémie. Aussi, il y a une question de remobilisation. Malgré tout, ces régionales - même si Marine Le Pen aujourd'hui a donné l'impression de passer par-dessus l'obstacle - donnent quand même un coup au moral. Et puis, il y aura la question de la concurrence. Eric Zemmour ou pas Eric Zemmour ? Et un candidat Les Républicains qui devra de toute façon se couvrir sur son flanc droit, surtout si c'est Xavier Bertrand, et qui reviendra sur le régalien, sur l'identité, et donc qui naturellement pourra peut-être garder un petit mieux les voix LR qu'on pouvait le prévoir il y a quelques semaines ou quelques mois. C'est une équation très compliquée pour Marine Le Pen mais pas complètement perdue.
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