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Que retiendra-t-on du quinquennat de François Hollande ?

A l'heure de la passation de pouvoirs entre François Hollande et Emmanuel Macron, dimanche 14 mai, Franceinfo a interrogé l'historien Jean Garrigues sur le bilan du quinquennat qui s'achève.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le président François Hollande salue de la main le duc et la duchesse de Cambridge, le 17 mars 2017 à l'Elysée, à Paris. (MARTIN BUREAU / AFP)

L'histoire tranchera. Que restera-t-il de la présidence de François Hollande ? Les souvenirs sanglants des attentats de 2015 ? Le mariage pour tous, promesse tenue malgré les multiples manifestations des opposants ? Un style présidentiel "normal" ?

Le chef de l'Etat passe les pouvoirs, dimanche 15 mai, au nouveau président de la République Emmanuel Macron, de plus de vingt ans son cadet.  Entretien avec l'historien Jean Garrigues, pour tirer le bilan du quinquennat 2012-2017.

Franceinfo : Quels seront, selon vous, les premiers mots qui viendront plus tard à l'esprit pour parler du quinquennat de François Hollande ?

Jean Garrigues : Peut-être le déficit d'incarnation. Une des raisons majeures de l'échec de François Hollande, c'est de n'avoir pas réussi à être à la hauteur de la fonction présidentielle.

En théorisant l'idée d'un président normal, il entendait prendre le contrepied de l'hyperprésidence de Nicolas Sarkozy. Mais sa "présidence normale" a été interprétée comme la présidence d'un homme normal alors qu'on attendait d'un président de la République un principe d'autorité, de majesté qu'il n'a pas su incarner. 

Vous pensez aux accrocs au costume présidentiel faits en se livrant excessivement à des journalistes, ou en exposant, même contre son gré,  sa vie privée, à l'instar de son prédécesseur  Nicolas Sarkozy ?

Oui. La quintessence de ce déficit d'incarnation, c'est l'image du président en scooter pris en photo avec son casque de moto [en bas de l'immeuble de sa compagne, Julie Gayet], ou l'image du président commentateur, qui, à la fin de son quinquennat, laisse publier l'ouvrage Un président ne devrait pas dire ça, auquel il a collaboré.

François Hollande est retombé dans les errements de peopolisation de Nicolas Sarkozy et dans une hypermédiatisation qui enlève toute la distance nécessaire à la fonction présidentielle. Cette hypermédiatisation mélange ce qu'on appelle le corps public et le corps privé du souverain. Elle engendre une confusion tout à fait dommageable parce que la présidence, pour les Français, ressemble un peu à une monarchie républicaine.

Elle exige un surplomb, une distance que n'a pas pu inspirer François Hollande, qu'on a appelé aussi Monsieur Petites blagues, ou qu'on a beaucoup raillé pour son rapport à la météo. Un président ne doit pas être vulnérable aux éléments, il doit se protéger de la pluie avec un parapluie ! Autre échec d'image, le dialogue du chef de l'Etat avec cette jeune femme rom, Leonarda. Très préjudiciable, il a banalisé la figure présidentielle. 

A l'inverse, les attentats n'ont-ils pas représidentialisé François Hollande ? Et n'ont-ils pas marqué ce quinquennat d'une empreinte tragique ?

Si, tout à fait. Les circonstances très particulières de ce quinquennat en font un mandat à part. Un quinquennat d'inquiétude. De manière paradoxale, ce contexte d'insécurité n'a pas été forcément défavorable à François Hollande. Il a montré dans ces moments-là un sang-froid, un sens de l'Etat et de l'unité nationale qui a plutôt réévalué sa présidentialité, que ce soit après les attentats de janvier 2015 ou après ceux de novembre 2015 à Paris. Même remarque pour son intervention au Mali, comme chef des armées. François Hollande s'est montré à chaque fois à la hauteur des périls et des circonstances historiques, endossant véritablement les habits de président de la République.

Il s'est placé au niveau de la tambouille, de la mécanique politicienne, donnant l'image du premier secrétaire du Parti socialiste qu'il avait été et non d'un chef de l'Etat. 

Jean Garrigues

Mais le débat sur la déchéance de la nationalité, qualifié par François Hollande lui-même de principale erreur de son quinquennat, a fait un nouvel accroc à cette réévaluation. A travers les péripéties de ce projet de loi et son échec final, le président de la République est totalement retombé sur le plan des calculs politiques.

Quels seront les éléments les plus positifs du bilan de cette présidence ? Le mariage pour tous ? La COP21 ? 

Effectivement, ce sont les deux points saillants. Réussite internationale, la COP21 a donné l'image d'un monde rassemblé autour de la prise en compte du risque climatique, même si celui-ci avait déjà été annoncé par le président Jacques Chirac en 2002. Et puis, il y a évidemment le vote du mariage pour tous. Avec une réserve : il a donné là l'occasion de radicaliser l'opposition de la droite traditionaliste. Et donc de raviver une division que François Hollande avait essayé au contraire de gommer. Après la présidence très clivante de Nicolas Sarkozy, lui se voulait un président de rassemblement.

Mais en tant qu'invention sociétale, le mariage pour tous restera dans l'histoire comme une avancée de cette présidence. En réalité, ce que retient l'histoire, au-delà des enjeux économiques dont on nous parle toujours, ce sont ces types de lois sociétales, qui sont, finalement, les véritables marqueurs des mandats présidentiels. Chez Valéry Giscard d'Estaing, la loi Veil [légalisant l'IVG], la majorité à 18 ans, la loi sur le divorce par consentement mutuel. Chez François Mitterrand, l'abolition de la peine de mort. Chez Jacques Chirac, la fin du service militaire. 

Et de plus négatif ? François Hollande sera-t-il considéré comme un président qui a "trahi" la gauche, en ne menant pas vraiment la lutte contre "son adversaire" la finance ? Ou lui reprochera-t-on davantage de n’avoir "inversé" que tardivement et insuffisamment la courbe du chômage ?

Je penche plutôt pour la deuxième solution. L'erreur originelle vient du fameux discours du Bourget, où le candidat Hollande s'en prenait au "monde de la finance". Ce discours électoraliste visait à rassembler la gauche derrière lui, y compris une partie de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon. Mais il a créé un malentendu par rapport à la ligne sociale-libérale qui avait toujours été la sienne, marquée par l'héritage de Jacques Delors.

On peut reprocher à ce président d'avoir finalement travesti, ou en tout cas dissimulé, la nature même de son projet politique : transformer la gouvernance socialiste en social-libéralisme.

Jean Garrigues

De manière très claire à partir de 2014, François Hollande a d'ailleurs pris la direction de l'allègement des charges et de la reprise par l'offre. Il a eu le courage d'assumer ce virage social-libéral, mais il n'est pas allé jusqu'au bout de sa démarche, essayant de transiger, de négocier sur la mise en œuvre de cette inflexion sociale-libérale.

Il a ainsi déçu la partie de la gauche qui avait cru au discours du Bourget, et il a déçu l'autre partie de la gauche, sociale-libérale, qui se retrouve aujourd'hui chez Emmanuel Macron. Par son ambiguïté sur ce tournant social-libéral, François Hollande a nourri à la fois la France insoumise et le mouvement En marche !

Que faut-il penser, justement, de ce passage de relais à Emmanuel Macron, de vingt ans son cadet, et qu'il a lui-même mis sur la rampe de lancement ? Faut-il y voir une continuité ou une rupture ?

On est encore dans l'ambiguïté. A partir du moment où Emmanuel Macron a lancé En marche !, il est apparu comme un traître. Mais à partir du moment où il a été élu, François Hollande a pris soin de le récupérer comme une sorte d'héritier du hollandisme, comme on l'a vu à la cérémonie du 8-Mai.

La réalité est quand même très différente. C'est précisément parce qu'il a acté l'échec non seulement de la présidentialité hollandaise, mais aussi de la politique de demi-mesures de François Hollande, qu'Emmanuel Macron s'est lancé dans la bataille présidentielle.

Ce que représente non seulement Emmanuel Macron, mais En marche !, c'est l'idée de rupture. Rupture avec la logique des partis, que François Hollande a précisément incarnée, puisqu'il a été premier secrétaire du Parti socialiste pendant dix ans. Rupture avec sa stratégie de négociation intrapartisane. Rupture, enfin, avec son type de présidence "normale". On a vu avec la cérémonie du 7 mai [lors de la célébration de sa victoire présidentielle au Louvre] à quel point il s'agissait pour Emmanuel Macron de se référer à une présidence surplombante, qui était celle de François Mitterrand. Même s'il s'inscrit dans une continuité sociale-libérale, le macronisme est avant tout un désaveu du hollandisme. 

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