Régionales : dans la Drôme, d'irréductibles villageois résistent au vote FN
C'est l'histoire de trois communes rurales où le Front national n'a recueilli aucune voix, dimanche, au premier tour des élections régionales.
Marc Decroix a garé son fourgon sur le bord de la chaussée, sinueuse et caillouteuse. Le voilà face au vide, sur les hauteurs de son village d'Aubenasson. Il a une scie en main et l'embarras du choix. "Je cherche un sapin de Noël pour mes enfants. Je m'arrête ici et là, je m'enfonce un peu, je regarde." Celui-ci sera le bon. Un petit sapin, pas plus grand qu'un humain, qui poussait à deux mètres de la route. Le cuisinier est content ; il sait que cet arbre plaira à sa famille. Ce soir, tout le monde le décorera.
La veille, dimanche 6 décembre, Marc Decroix a fêté ses 40 ans. Il ne s'est pas rendu aux urnes pour le premier tour des élections régionales, même si la mairie se trouve à vingt mètres de chez lui. Le père de famille, marié à une serveuse, est de ceux qui se déplacent surtout pour la présidentielle, et qui ne portent pas les politiques dans leur cœur. Il a un faible pour le centre, et rejette les extrêmes.
Dans la commune, sur 52 inscrits, 36 ont voté, presque tous à gauche. Quatre ont voté à droite. Aucun n'a donné sa voix au Front national. Aubenasson est l'une des 110 communes françaises à n'avoir accordé aucun suffrage au parti de Marine Le Pen, arrivé en tête dans plus de 19 000 localités. "Qu'est-ce que tu veux voter FN ici ? s'exclame Marc Decroix. A part les sangliers, des Noirs, ici, il n'y en a pas. Il n'y a même pas ce prétexte."
Grâce à l'arrivée de familles attirées par le calme, les vieilles pierres et la beauté du lieu, Aubenasson a vu sa population doubler depuis une quinzaine d'années. Les éleveurs et les viticulteurs cohabitent avec des employés et des fonctionnaires des villes voisines. "On a un peu de chômage, mais c'est moins dur que dans le Nord ou les cités ouvrières, avance le maire, Pascal Moreau. Ici, on se débrouille à droite à gauche, dans les vignes, par exemple."
"On ne fonctionne pas comme dans les villes"
Tandis que Marc Decroix commence à empoter son sapin, sa voisine, Sophie Beranger, s'occupe de ses enfants dans le salon familial. Le poêle à bois est allumé. Chez les Beranger, le sapin, lui aussi coupé dans les alentours, est déjà décoré. La sage-femme de 32 ans a voté pour la liste écologiste et se réjouit de la prestation électorale du village. "On n'a pas tous un travail ou un écran plat, mais on a nos jardins. On ne fonctionne pas comme dans les villes, et cela vaut aussi dans nos réflexions." Selon la jeune mère, originaire du département, il flotte à Aubenasson un air de "décroissance".
La Drôme draine pas mal de gens de gauche, qui aspirent à un retour aux sources.
Si aucun vote frontiste n'a été enregistré à Aubenasson, c'est en partie grâce à Emile Estival. "Je suis le seul électeur FN du village, mais j'avais quelqu'un à la maison, je ne suis pas allé voter", clame le retraité, devant sa maison, qui surplombe une partie de la commune. Remonté contre "les intégristes du village, qui votent écolo" et se plaignent des aboiements de ses sept chiens, ce passionné de chasse aimerait un peu plus d'autorité et "moins d'assistés" en France.
A la nuit tombante, avec ses petits yeux fatigués par deux ans de veuvage, Emile Estival rentre chez lui. Un réveil matinal l'attend, le lendemain, pour une nouvelle partie de chasse au lièvre. Pendant quarante ans, cet agriculteur a chassé le sanglier, "une chasse très dure", où il a perdu des chiens. Il y a renoncé : "Les sangliers sont devenus comme les gens, agressifs."
Le FN, absent dans les urnes, pas dans les esprits
A une cinquantaine de kilomètres plus au sud, dans cette partie de la Drôme dite provençale, la mairie de Teyssières est bordée, des deux côtés, de champs de lavande. En cette fin d'automne, les fleurs sont un lointain souvenir, mais l'odeur demeure. Ici non plus, aucun des 59 votants n'a penché pour le FN. "C'est une satisfaction, mais aussi une surprise, reconnaît le maire, Franck Mucke. On avait toujours deux ou trois votes frontistes. Après les attentats, on s'attendait à en avoir une dizaine. Il faut croire que la réaction du gouvernement a inspiré confiance."
Le maire de 43 ans y voit aussi un encouragement pour sa politique locale, fondée sur le dialogue et le "vivre ensemble avec nos différences". Depuis son arrivée, l'an dernier, il a converti ses administrés au réseau social Vivre dans ma ville, sorte de Facebook à l'échelle communale. "Tout le monde peut s'y exprimer et exposer ses soucis, plutôt que d'attendre dans son coin et se retrouver à voter FN."
Pourtant, comme à Aubenasson, l'ombre du FN plane sur Teyssières. Installé depuis deux mois dans la commune, Alain Ferrandis, 70 ans, scie du bois dans son garage, en prévision de l'hiver. Il a élevé ses enfants à Valréas, dans le Vaucluse voisin. "Je suis parti à cause de l'insécurité et de la police qui ne fait rien. J'aime toutes les races tant qu'on est correct, mais, là-bas, il y a beaucoup de Maghrébins qui ne le sont pas." Pour la première fois de sa vie, cet "homme de gauche" a voté pour la liste frontiste dans le Vaucluse, emmenée par Marion Maréchal-Le Pen. "C'est ma façon d'exprimer mon mécontentement envers la gauche après les attentats."
"On ne voit pas bien où serait la place du FN ici"
Sur cette ancienne terre des résistants du maquis de la Lance, il faut finalement grimper jusqu'au col de Valouse, à 735 mètres d'altitude, pour s'éloigner de toute sympathie frontiste.
Cette poche de résistance a vu sa population croître à partir de 1968, avec des citadins fuyant leur mode de vie. "On s'est construit autour de l'écologie, raconte Patrick Liévaux, le maire de 62 ans, producteur de laine de brebis. Chacun fait son pain, son jardin, avec une fraternité entre les habitants. On ne voit pas bien où serait la place du FN ici." Ici, 24 votants, zéro pour le FN.
"On a retrouvé un bulletin FN une fois dans l'urne, mais je crois que c'était une erreur de manipulation, une confusion avec la couleur bleue de la droite", s'amuse le maire.
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