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Régionales : qui sont ces candidats FN recrutés dans les autres partis ?

Depuis plusieurs mois, le parti frontiste met en avant des candidats recrutés dans des partis traditionnels. Nombre d'entre eux figurent en bonne place sur les listes aux élections régionales.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Julien Odoul, tête de liste FN dans l'Yonne, avec Marine Le Pen, le 28 octobre 2015 à Besançon (Doubs). (SEBASTIEN BOZON / AFP)

"On veut que la France reste la France", lance Maïthé Carsalade, qui conduira la liste FN de Haute-Garonne, au sein de la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. A 72 ans, elle est loin d'être une inconnue dans le secteur : Maïthé Carsalade a été adjointe au maire de Toulouse durant de nombreuses années, au côté du centriste Dominique Baudis, puis de Philippe Douste-Blazy.

Comme elle, de nombreux militants UMP, UDI, PS ou même au NPA ont fait le choix du Front national. Aux quatre coins de la France, ils figureront, le 6 décembre, sur les listes du parti de Marine Le Pen au premier tour des élections régionales. Une preuve supplémentaire, s'il en fallait, de l'usure du cordon sanitaire qui entoure le parti d'extrême droite.

Elus, anciens responsables locaux de leur parti ou anonymes… Les profils de ces transfuges frappent par leur diversité. Vieux routiers de la politique, jeunes diplômés ambitieux ou simples militants de base répètent pourtant tous la même chose : le Front national est devenu, à leurs yeux, le seul parti à défendre une certaine idée de la France.

La crainte d'une perte de souveraineté

La plupart ont voté non au référendum de 2005 sur la Constitution et, lorsqu'ils étaient en âge de glisser un bulletin dans l'urne, au traité de Maastricht. Les candidats interrogés par francetv info désignent tous ce discours souverainiste comme l'élément qui a guidé leur décision.

Maïthé Carsalade ne renie pas son passé. "Je m'estime toujours très modérée", affirme-t-elle. A l'entendre, ce ne sont pas ses convictions qui ont changé, mais celles des dirigeants politiques et le poids de l'Union européenne. "Quand Chirac a refusé d'inscrire les racines chrétiennes de l'Europe dans la Constitution, quand Sarkozy a fait voter le traité de Lisbonne pour court-circuiter le non au référendum de 2005, je l'ai très mal vécu." Pour elle, qui se sent "abandonnée par les partis de droite", c'est aujourd'hui le Front national qui incarne les valeurs traditionnelles de la droite. Son engagement au sein du parti de Marine Le Pen remonte à trois ans, mais son ralliement à la campagne de Louis Aliot n'a été révélé que récemment, en même temps que celui de Chantal Dounot, ancienne secrétaire départementale UMP de Haute-Garonne.

Maïthé Carsalade (C) et Chantal Dounot (D), au côté de Louis Aliot, tête de liste FN en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, le 14 septembre 2015 à Toulouse. (MAXPPP)

A l'autre bout de la France, dans l'Oise, le FN s'est attiré les services d'une ancienne élue de Beauvais. Claire Beuil a été adjointe à la maire UMP de Beauvais, Caroline Cayeux, entre 2001 et 2010. "Je me suis rendue compte que les gens étaient blasés et ça m'a fait réfléchir", confie-t-elle, finalement séduite par le style de Marine Le Pen, "proche des gens et qui leur apporte des réponses". La question des migrants la fait bondir : "Je suis sincèrement pour aider son prochain, mais qu'est-ce que je réponds aux SDF et aux demandeurs de logements sociaux qui attendent depuis des années ?"

Claire Beuil (D), candidate FN sur la liste de Michel Guiniot (G) dans l'Oise, le 2 novembre 2015 à Beauvais. (MAXPPP)

Des ralliements opportunistes ?

Toujours en Picardie, le FN a annoncé il y a quelques jours le ralliement d'André Coët, maire divers droite du bourg de Crèvecœur-le-Grand. Pour expliquer sa décision, l'élu met en avant un sentiment d'abandon des zones rurales. En 2008, après la fermeture du centre d'impôts de la commune, décidée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, André Coët avait renvoyé sa carte d'adhérent de l'UMP "directement à l'Elysée". "Je n'ai jamais eu de réponse", raconte-t-il. Pour ces élections régionales, il espérait bien faire partie de la liste menée par les Républicains. "Mais on ne m'a rien proposé. Je me suis senti délaissé", se désole-t-il, d'autant que, selon lui, "90% des candidats de la liste proviennent de milieux urbains".

Pour le secrétaire départemental FN de l'Oise, Michel Guiniot, ces prises de guerre vont au-delà du symbole.

Ce sont des personnalités connues sur le terrain, qui peuvent avoir sur ces zones un effet d'entraînement auprès de l'électorat.

Michel Guiniot, secrétaire départemental du FN dans l'Oise

à francetv info

Reste à savoir si, dans certains cas, le choix de ces transfuges n'est pas dicté par une forme d'opportunisme.

Fin 2014, avant les élections départementales, l'arrivée au Rassemblement bleu marine (RBM), puis au FN, de Sébastien Chenu, ancien secrétaire national de l'UMP et fondateur du mouvement Gaylib, avait fait grand bruit. Quelques mois plus tard, Le Monde révélait que l'intéressé avait tenté de figurer sur la liste de Nathalie Kosciusko-Morizet aux municipales à Paris. Econduit, il avait alors frappé à la porte d'Anne Hidalgo. De quoi alimenter les doutes sur ses convictions politiques.

Une ascension plus rapide au FN ?

Sans le reconnaître ouvertement, certains candidats concèdent que, avec un CV correct, il est plus facile de se faire remarquer au Front national que dans un autre parti, où les places sont souvent chères. En pleine progression électorale, le FN, qui manque historiquement de cadres locaux, est alors une véritable aubaine pour obtenir un siège. "C'est un engagement enthousiasmant, grâce auquel on peut exercer des responsabilités", résume Nicolas Bay, secrétaire général du parti.

Nous, nous laissons une chance à des profils très divers. Dans les autres partis, ils se retrouvent bloqués par des baronnies et des féodalités locales.

Nicolas Bay, secrétaire général du Front national

à francetv info

Militant socialiste depuis plus de dix ans au sein de la section du 20e arrondissement de Paris, Guy Deballe se retrouve ainsi propulsé en troisième position sur la liste de Wallerand de Saint-Just en Ile-de-France, avec la quasi-certitude d'être élu. A 42 ans, ce cadre du secteur privé, fils d'immigrés centrafricains, affirme avoir tenté, sans succès, "de faire évoluer le PS de l'intérieur, pour qu'il soit davantage ancré dans la réalité. Mais, la réalité, c'est que c'est un parti totalement hors-sol, bourré d'apparatchiks et d'idéologues."

Ses anciens camarades ont un regard plus que critique sur son départ : "Il était en recherche de légitimité en permanence, et n'avait aucune cohérence dans son parcours. Un jour il signait un texte avec les amis de Valls, le lendemain avec les frondeurs, tout ça pour finir sur la motion de Karine Berger ! Quand on voit qu'il se retrouve n°3 sur la liste FN, ça en dit long sur la qualité des candidats de ce parti", tacle un militant qui l'a côtoyé.

Le nettoyage au FN attire les prétendants

En Ile-de-France, Wallerand de Saint-Just a accueilli à bras ouverts plusieurs transfuges. Aurélien Legrand a effectué le saut le plus étonnant qui soit, passant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) au Front national, d'un extrême à l'autre de l'échiquier politique. En fait, quatre ans se sont écoulés entre son départ du NPA, en 2010, et son arrivée au FN, en 2014. Professeur d'histoire en banlieue, il explique qu'il ne pouvait "plus rester spectateur du grand n'importe quoi et de la décadence ambiante". Signe de son ascension fulgurante au FN, à 31 ans, il a mis son activité professionnelle entre parenthèses pour devenir responsable de la communication de la fédération de Paris. Il se présentera en deuxième position dans l'Essonne, et aura, lui aussi, toutes les chances d'être élu.

Aurélien Legrand (G), ex-membre du NPA, le 14 octobre 2015 à La Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), au côté de Wallerand de Saint-Just (D), tête de liste FN aux élections régionales en Ile-de-France. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Comme les autres, Aurélien Legrand affirme que sa décision de rejoindre le FN doit beaucoup à l'évolution du parti, qui n'a pas ménagé ses efforts pour apparaître respectable. Julien Odoul, autre jeune recrue arrivée en 2014 en provenance de l'UDI, dit avoir découvert "un parti ouvert, démocratique et sérieux". "Depuis que Marine Le Pen en est la présidente, le FN évolue et peut séduire des gens qui étaient rebutés par les écarts de Jean-Marie Le Pen", observe celui qui sera tête de liste dans l'Yonne aux régionales.

A Toulouse, Maïthé Carsalade admet également qu'elle n'aurait "pas rejoint le Front national du temps de Jean-Marie Le Pen". Mais, pour elle, toutes les polémiques sur les dérapages, "les gens s'en foutent". "Pétain, la Shoah, c'est de l'histoire ancienne", lâche-t-elle. "Ce qui intéresse les gens, c'est de savoir si nos camemberts seront toujours protégés par des AOC ou s'ils seront fabriqués avec du lait en poudre américain !"

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