ENTRETIEN. Football : 40 ans après le premier sacre de l'histoire de l'équipe de France, Luis Fernandez raconte ses souvenirs de l'Euro 1984
A jamais les premiers. Bien avant les handballeurs ou handballeuses au sommet de leur sport dans les années 2000, et avant la génération 98, l'équipe de France de football a remporté le premier trophée de l'histoire du sport collectif tricolore. Le mercredi 27 juin 1984, les Bleus dominaient l'Espagne (2-0) en finale de son Euro, au Parc des Princes, avec un but sur coup franc de Michel Platini, et un deuxième de Bruno Bellone. Quarante ans après, Luis Fernandez, membre du carré magique avec Michel Platini, Alain Giresse et Jean Tigana, se souvient de ce moment historique.
Franceinfo: sport : Avec cet anniversaire, on doit beaucoup vous parler de l'Euro 1984 ces derniers temps ?
Luis Fernandez : J'ai eu l'occasion d'échanger là-dessus oui, mais on n'en parle pas toujours. Ça fait 40 ans. 40 ans, c'est aussi le titre de champion olympique. Il ne faut pas non plus les oublier. Mais, on me fait souvent référence à cette génération sous les ordres de Michel Hidalgo [le sélectionneur], celle de l'Euro 1984. On parle plus de cette génération que de ce titre remporté.
Vous aviez dit que, pour vous, l'équipe de France de l'Euro 1984 était "inarrêtable". Qu'est-ce qui a fait que cette équipe soit si forte ?
Il y avait un homme, paix à son âme, Michel Hidalgo. Tu avais deux hommes même, avec Henri Michel, son adjoint. Michel Hidalgo, on l'a toujours aimé. C'est un homme qui a su nous mettre dans les meilleures dispositions. Il avait toujours, dans ses causeries, ce discours que j'ai toujours apprécié. Il a su unir ce groupe et lui donner un état d'esprit remarquable depuis 1978 et la Coupe du monde en Argentine où, moi, je n'étais pas. Tout le monde tirait dans la même direction. Après 1982, une grosse déception avec cette élimination, le groupe est resté soudé. On n'avait pas envie de décevoir. Michel trouvait toujours les mots. On venait pour jouer ensemble et j'ai pu le constater en arrivant en 1982.
1984 c'est aussi le tournoi d'un autre grand homme, avec un Michel Platini au sommet de son art...
On dit toujours dans une équipe que ce n'est pas l'individualité qui fait la différence, mais le collectif. En 1984, Michel vient de réussir une saison remarquable avec la Juventus. Il a encore en tête l'élimination aux tirs au but contre la RFA au Mondial en Espagne en 1982. C'est un peu le personnage qu'on attend avec impatience. Il a été fantastique. C'est quelqu'un avec qui j'ai toujours une relation exceptionnelle aujourd'hui, pareil avec les Bossis, parce qu'ils sont restés humbles et dans la simplicité. Ils ne pétaient pas plus haut que leur cul. Ils venaient, ils rigolaient avec tout le monde. Lui incarnait ce joueur qui était au-dessus.
C'est le meilleur joueur que vous avez pu voir sur un terrain pendant votre carrière de joueur ?
J'ai joué avec Michel, mais aussi avec Mustapha Dahleb... Quand tu joues avec Safet Susic, ce n'est pas non plus évident, même Dominique Rocheteau, il était fort. Moi je ne fais pas de classement. Je les classe tous ensemble. Ce sont des très grands joueurs. Ils avaient des qualités qu'on n'avait pas.
"J'aime me dire que j'ai été le premier à gagner le premier titre"
L'Euro 1984 c'est le paroxysme d'une certaine idée du jeu et de l'équipe de France, mais les jeunes générations le connaissent moins bien que le Mondial 1982. A-t-on assez parlé de ce tournoi finalement ?
Dans ma carrière, j'ai eu l'occasion de croiser Zizou, qui a joué avec moi à l'AS Cannes. Un jour il est venu me voir et il m'a dit "Tu sais Luis, en 1984, j'étais ramasseur de balles pour France-Portugal". Il s'en souvenait, il était admiratif. Après, les générations elles passent... A l'époque, est-ce qu'il y avait les réseaux ? Non. Est-ce qu'il y avait des images venant de partout ? Non. Aujourd'hui, vous avez toutes les grandes compétitions et on en a rajouté. Autant en club qu'en sélection, il y a plus de matchs.
1982 est la génération qui a commencé à mettre en place un football, une équipe, une sélection pour aller gagner ce premier titre. J'aime bien pouvoir me dire que, dans ma carrière, j'ai été le premier à gagner le premier titre. Je suis content d'avoir été de cette génération à remporter ce premier titre dans un sport collectif.
Il y a eu plus d'images de 1982 que de l'Euro 1984. N'est-ce pas dommage ?
Non, ce n'est pas dommage. La Coupe du monde a un impact assez énorme. A 10 ans, je regardais celle de 1970 au Mexique. Moi ça m'a marqué. Après si tu me dis, que s'est-il passé au championnat d'Europe 1972, je ne vais pas m'en souvenir. C'est le propre de la Coupe du monde. 1982, ça laisse des traces forcément.
"On m'aurait demandé de jouer gardien de but, je l'aurais fait"
Comment s'est passée votre intégration au carré magique ? On vous a décrit comme le besogneux, vous avez même joué arrière-droit pendant le tournoi...
Le deuxième match on m'a demandé de jouer arrière-droit pour satisfaire une séquence tactique. Chez les Belges, il y avait Franky Vercauteren qu'il ne fallait pas trop laisser briller. Quand je rentre dans cette équipe, c'est sûr et certain qu'avec Bernard Genghini, "Gigi" (Jean Tigana), Alain [Giresse] et Michel [Platini], il y avait des joueurs de grande qualité. C'étaient des garçons qui pouvaient aller vers l'avant, assez offensifs, et il fallait aussi un garçon un peu plus dans la défense, capable de colmater un peu. C'est le rôle qu'on m'a attribué. J'en étais content. De toute façon, tu es fier de jouer dans cette équipe quelle que soit ta place sur le terrain. On m'aurait demandé de jouer gardien de but, je l'aurais fait.
Parlons un peu de France-Portugal, qui est le match marquant de cet Euro 1984, un match avec une grande dramaturgie et ce succès en prolongation. Quelles anecdotes avez-vous de cette soirée-là ?
[Sur le but de la victoire]. Je me souviens que je récupère le ballon dans ma moitié de terrain au départ de l'action. Je le transmets à Jean Tigana qui traverse tout le terrain avec une qualité technique pour aller jusqu'aux six mètres et Michel Platini marque. On est partis dans tous les sens. Chacun, dans sa folie, est parti de son côté. J'ai couru vers ma femme qui était dans les tribunes. C'était la folie. On était dans une joie fantastique. Quand j'ai revu les images, je me suis dit "Ce n'est pas possible, on aurait dû tous s'embrasser et s'attraper". Tout le monde avait envie de faire passer un message et de partager cette folie avec les supporters. Grâce à ce match, on a pu être les premiers. Peut-être que cette aventure-là a donné des envies à des jeunes pour devenir des champions derrière.
Après la victoire en finale contre l'Espagne, votre pays de naissance, il paraît qu'on vous a traité de traître à plusieurs reprises.
Pas tous, mais quelques-uns, quand ils ont eu l'occasion de me le dire plus tard. Quand je suis revenu en Espagne pour travailler, j'ai ressenti une certaine animosité. Sur ce match-là, c'est vrai que j'en ai entendu pas mal. Ce qui est bien c'est que je ne me suis jamais laissé déstabiliser. Je suis resté fort dans ma tête. Les noms d'oiseaux tu peux les laisser fuser. Je n'étais pas là pour être agressif. L'Espagne, c'est un pays de football, en avance sur nous, mais à partir du moment où j'ai choisi la nationalité française, je me suis toujours considéré comme français avant tout.
La nuit du sacre, sa rencontre avec Pelé en boîte de nuit
La fête après le sacre a été une fête sans excès dans une boîte de nuit parisienne...
On est partis à la Fédération française de football, puis quand on est allé manger, j'étais avec trois ou quatre coéquipiers, on a croisé Pelé en boîte de nuit. Il avait certainement été invité pour cette finale. Ça a été un plaisir de croiser ce personnage. C'était la première fois que je le voyais. Je le regardais à la télévision quand j'avais 10 ans. Le voir là, à ce moment, je peux te dire que ça a fait un effet... Parce que c'est lui et les Brésiliens qui m'ont donné envie de jouer au football dès le plus jeune âge.
Qu'est-ce que l'équipe de France de 2024 doit prendre de celle de l'Euro 1984 pour briller cet été ?
Qu'elle reste unie. Qu'elle garde cette belle ambiance que je vois autour de Didier Deschamps. Qu'ils soient à l'écoute du sélectionneur. Cette équipe est heureuse de jouer et de participer à une compétition. Il ne faut pas que chacun essaie de faire son jeu à l'écart du groupe, mais que tout le monde participe.
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