Euro 2021 : influences, avantages fiscaux... Avec le football, Viktor Orban tisse sa toile en Europe centrale
La Hongrie, deuxième adversaire des Bleus à l’Euro 2021 samedi, est dirigée par Viktor Orban. Le Premier ministre hongrois est un grand amateur de football.
L'Euro 2021 a beau avoir débuté par une défaite de la Hongrie face au Portugal mardi (0-3), la compétition est déjà une victoire pour Viktor Orban. Pour la première fois de son histoire, le pays accueille à Budapest plusieurs matchs d'une grande compétition internationale de football. Une réussite pour le Premier ministre, fervent passionné de football, qui a tout mis en œuvre pour avantager son sport favori depuis son retour au pouvoir en 2010. Au point d'en faire une arme politique de premier choix.
Viktor Orban, ancien joueur jusqu'à la fin des années 1990
Né en 1963, Viktor Orban n'a pas connu la grande équipe de Hongrie de la décennie 1950. Mais il a grandi avec le mythe du Onze d'or hongrois en tête et une passion dévorante pour le football. À tel point que celui qui deviendra Premier ministre de son pays en 1998 va jouer pendant plusieurs années au niveau semi-professionnel en Hongrie. "Le football est une folie de Orban", souligne Paul Gradvohl, professeur à Paris 1 et historien de l'Europe centrale.
Une passion démesurée qui en fait un adepte des zones VIP dans les stades. Depuis 1998, Orban n'a raté aucune finale de la Coupe du monde et a fait de son sport favori un instrument de pouvoir en Hongrie. Tout un système s'est développé pour abonder le football de deniers publics. "C'est un sport hyper politisé en Hongrie. On a affaire à un Premier ministre qui se sert du football pour accroître la corruption ambiante et redistribuer à ses proches", accuse l'universitaire.
Le TAO, outil de copinage et de financement du football
En 2011, un an après son retour comme Premier ministre de la Hongrie, Viktor Orban fait adopter le TAO (Tarsasagi Ado és Osztalekado), une loi qui octroie des abattements fiscaux aux entreprises qui financent le sport. Très vite, le football devient prisé des membres du Fidesz, le parti au pouvoir, et des entrepreneurs, qui n'hésitent pas à racheter les clubs de première et deuxième division. Ces derniers esquivent une partie de leurs impôts et financent leur propre club.
La mécanique est en marche et l'issue est flagrante : lors de la saison 2020-2021, onze des douze clubs de première division étaient dépendants de membres du Fidesz ou de proches du régime. L'Ujpest FC fait de la résistance, mais selon la presse hongroise, Roderick Duchâtelet, propriétaire belge de l'équipe, pourrait vendre le club à des proches d'Orban cet été. Finalement, depuis 2011, ce sont environ 2,6 milliards d'euros qui ont été versés au sport et en priorité au football, le tout dans des conditions très opaques.
"La passion d'Orban serait acceptable s'il n'utilisait pas son pouvoir pour transférer cet argent sans transparence. Ces milliards qui ont été versés profitent au régime, mais auraient dû faire partie du budget étatique", regrette Jozsef Peter Martin, directeur général de la branche hongroise de Transparency International, une ONG qui lutte contre la corruption. Le Puskas Akadémia FC, dauphin du champion Ferencvaros cette saison, est le club qui a le plus bénéficié des financements du TAO. Rien d'anodin car le club est basé à Felcsut, le village d'enfance d'Orban. Lorinc Meszaros, ancien plombier de la commune, en est le président depuis sa création en 2014 et est devenu l'homme le plus riche du pays en un peu moins de dix ans.
Le système porte tellement bien ses fruits que le football est devenu l'un des meilleurs moyens de se rapprocher du régime et donc du pouvoir. "Si vous soutenez le football, vous avez plus de chances d'être ami d'Orban. C'est le meilleur investissement aujourd'hui en Hongrie, ça permet d'avoir énormément d'avantages", souligne Jozsef Peter Martin. Paul Gradvohl va plus loin : "Toute personne qui a une entreprise avec un certain niveau de fortune est appelée à entrer en politique par le biais du sport, il est coincé."
Et gare à ceux qui ne joueraient pas le jeu : Laszlo Bige, l'un des hommes les plus riches du pays, a été arrêté en décembre dernier par le régime pour des faits de corruption. L'entrepreneur est visé depuis plusieurs années par le gouvernement d'Orban et a assuré qu'il aurait pu éviter des poursuites judiciaires s'il avait financé le club de Ferencvaros, qui a remporté le championnat cette saison.
Les stades, l'autre versant du système
Face au Portugal mardi dernier, Viktor Orban occupait la tribune présidentielle de la Puskas Arena, où plus de 55 000 spectateurs étaient présents. Ce stade, inauguré en 2019 et dont la construction a coûté plus de 500 millions d'euros, est à l'image de l'autre face de la politique du sport initiée par le gouvernement Orban en 2010. En dix ans, le régime a entrepris la construction de plus d'une vingtaine de stades, dans des villes qui n'en avaient pas la nécessité urgente.
Retour du côté de Felcsut : dans le village d'enfance d'Orban, la Pancho Arena, un stade flambant neuf de 4 200 places a vu le jour en 2014, alors que la population de la commune dépasse à peine les… 1 900 habitants. Dans ces enceintes, dont les gradins sont souvent déserts, les sponsors ne sont pas destinés à attirer les supporters mais à mettre en avant les entreprises des proches du régime. "Les stades de football sont des lieux qui permettent de renforcer les alliances du Fidesz avec les membres de la bourgeoisie locale. Les tribunes sont vides mais les loges VIP sont pleines de riches qui discutent entre eux", détaille Miklos Merényi, membre de K-Monitor.
Cette ONG qui lutte contre la corruption en Hongrie, surveille de près le secteur de la construction et de la rénovation des stades, tout comme Transparency International. "Les stades, c'est une grande passion pour Orban", explique Jozsef Peter Martin avant de poursuivre : "Mais cela pose d'autres questions parce que le secteur est énormément frappé par la corruption, avec le phénomène de surfacturation." Pour Orban, le bien-être (financier) de ses proches et les stades sont importants mais l'intérêt du football va également au-delà des frontières hongroises.
Des financements pour fidéliser les Hongrois de l'étranger
Si le régime de Viktor Orban arrose d'argent le monde du sport et du football en Hongrie, il le fait aussi à l'étranger. Dans les pays voisins de la région (Croatie, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Slovénie) vit une communauté de 5 millions de Hongrois étrangers, le plus gros contingent se trouvant en Roumanie avec plus d'un million de personnes d'origine magyare. Déjà politiquement acquise à la cause d'Orban - 95% des Hongrois de l'étranger autorisés à voter en 2014 ont glissé un bulletin pour l'actuel Premier ministre -, cette population est loin d'être négligée par le régime hongrois.
Ce dernier apporte des aides aux populations locales et des financements dans plusieurs domaines, dont le sport. En octobre 2018, Orban avait ainsi été invité dans la région de Vojvodina, en Serbie, pour inaugurer une académie de football financée à hauteur de plus de neuf millions d'euros par la Fédération hongroise de football, dirigée par le banquier Sandor Csanyi, l'un des hommes les plus riches du pays.
Le soutien hongrois est également palpable dans les clubs de première division du NK Osijek en Croatie, du Sepsi OSK Sfantu Gheorghe en Roumanie ou encore au DAC Dunajska Streda en Slovaquie. Cet appui financier n'est pas anodin puisqu'il permet à Orban et son gouvernement d'affirmer les valeurs magyares au-delà de ses frontières. "Cela permet aussi de faciliter les relations sur place. Ils peuvent nouer des relations, signer des contrats avec des dirigeants d'entreprises. C'est une forme de diplomatie par le sport", explique Miklos Merényi. La diplomatie par le sport, une facette de plus utilisée par le régime Orban qui fonctionne à plein régime lors de cet Euro 2021, avec quatre matchs accueillis par la ville de Budapest.
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