Euro 2024 : une compétition presque à domicile pour la Turquie et son importante diaspora en Allemagne
Des rues habituellement si calmes le soir, qui deviennent en quelques minutes le théâtre de scènes de joie. A Paderborn, la ville de 150 000 habitants où logent les Bleus, comme ailleurs en Allemagne, l’importante diaspora turque fête tous les succès de son équipe à l’Euro, dont la qualification en huitièmes de finale. Contre l’Autriche, mardi 2 juillet, les Turcs joueront presque à domicile une nouvelle fois.
"On se sent fiers, c’est comme si on était chez nous", se réjouissaient des supporters turcs croisés aux abords du stade de Dortmund avant le match contre le Portugal en phase de groupes, pour lequel certains d’entre eux avaient parfois payé leur billet le triple du prix initial au marché noir face à la difficulté de trouver des places. Ils garnissaient à vue d'œil près de 75% des tribunes ce jour-là, mais très bruyants au début de la rencontre, ils se sont peu à peu éteints après les buts portugais (3-0). "L’Euro se joue en Allemagne, mais aussi un peu en Turquie", sourit tout de même Enver Maltas, directeur sportif du Türkgücü Munich, l’un des nombreux clubs turcs d’Allemagne, mais le seul qui a réussi à se hisser au niveau professionnel il y a trois ans avant de redescendre en quatrième division.
Fondé par plusieurs travailleurs immigrés turcs dans les années 1970, le Türkgücü Munich est l’une des illustrations de l’histoire qui lie l’Allemagne et la Turquie. "L’immigration turque commence en 1961, année de la construction du Mur de Berlin, explique Ulrich Pfeil professeur de civilisation allemande à l'université de Lorraine. Avant cela, beaucoup d’Allemands de l’Est ont quitté la RDA communiste pour l’Ouest et représentaient une main-d'œuvre. Avec la construction du Mur, la RFA doit aller chercher de la main-d’œuvre ailleurs, et en 1961, il y a eu un premier accord entre la RFA et la Turquie. Ce sont majoritairement des hommes qui sont venus avec l’idée de rentrer après quelques années, mais dans les années 70, leurs familles les ont finalement rejoints. Des équipes de foot turques se sont alors formées, car les clubs allemands ne voulaient souvent pas d’eux".
"Allemands quand on gagne, mais immigrés quand on perd"
Aujourd’hui, le nombre de Turcs est estimé à 1,3 million en Allemagne, mais au total, trois millions de personnes ont des parents ou grands-parents turcs. Et même si un projet de loi est actuellement discuté pour accélérer l’obtention de la nationalité allemande pour les étrangers, la communauté turque est une cible du racisme, comme l’ont affirmé à franceinfo: sport plusieurs Germano-Turcs rencontrés. "Aujourd’hui, les jeunes Turcs ont un lien plus étroit avec la Turquie. Lors des élections turques récemment, beaucoup de Turcs ont voté pour Erdogan depuis l’Allemagne. Et quand on vote pour lui en vivant en Allemagne, c’est le reflet d’un vrai problème d’intégration et de rejet de la société", commente Ulrich Pfeil.
En 2018, le footballeur allemand d’origine turque, Mesut Özil, avait quitté l’équipe nationale, dénonçant des insultes racistes après avoir publié une photo de lui-même en compagnie du président Erdogan. "Nous sommes Allemands quand on gagne, mais immigrés quand on perd", avait-il écrit sur ses réseaux sociaux. Comme lui, Ilkay Gundogan ou encore Emre Can ont choisi de représenter l’Allemagne, mais ces dernières années, plusieurs joueurs nés outre-Rhin choisissent désormais de jouer pour la Turquie. C’est par exemple le cas de Salih Özcan, Kaan Ayhan, Kenan Yildiz et Cenk Tosun, qui ont tous porté les couleurs allemandes en sélection de jeunes, avant d’opter pour celles de la Turquie.
"Quand vous regardez les jeunes de 18 ans formés en Allemagne, c’est souvent un combat entre la Fédération allemande et la Fédération turque pour les attirer. Il y a par exemple le cas d’un jeune attaquant de Nuremberg, Can Uzun, qui a marqué beaucoup de buts la saison dernière en D2 (19 buts) et il a finalement choisi la Turquie", raconte Ulrich Pfeil. "J’ai écouté mon cœur", a expliqué le jeune joueur, non retenu pour l’Euro. "De toute façon, il n’y a pas de mauvaise décision de jouer pour l’Allemagne ou pour la Turquie. Pour nous, issus de familles turques en Allemagne, nous avons un cœur mais deux pays", conclut Enver Maltas, dont le club possède un logo qui représente à la fois le drapeau turc et les couleurs de la Bavière. Comme lui, plusieurs millions de personnes rêvent désormais d’une finale entre l’Allemagne et la Turquie.
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